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Un cri de colère
de
plus de six mille vers, écrits en une année, où l'épopée
côtoie l'insulte, où la chanson populaire succède à
la plainte élégiaque, où le réquisitoire précède
la vision prophétique.
Pourquoi
cette colère? Comment un homme de Lettres se fait-il
justicier?
En 1845, Victor Hugo avait déjà réalisé plus de la
moitié de son oeuvre: Les Orientales, Notre Dame de Paris, Hernani, Ruy
Blas; Quatre
recueils de poésie lyrique (Feuilles d'Automne, Chants du crépuscule, Voix
Intérieures, Rayons et Ombres) avaient établi sa maîtrise dans tous les genres et
fait de lui le chef de file du Romantisme. Les Contemplations, La Légende des
Siècles, Les Misérables étaient à naître.
C'est alors que le
roi Louis-Philippe consacra cette gloire en accordant au poète le titre de Pair de
France, qui lui donnait accès à la politique. Ses convictions, à la vérité,
n'étaient pas très affirmées. Malgré son attachement aux valeurs républicaines, il
n'était pas ennemi de la monarchie, parce qu'il aimait l'ordre. Il avait un réel souci
de tous les malheureux, plaidait pour la justice, et fit de beaux discours pour la
liberté des peuples car il était porté aux belles idées et aux grands élans du coeur.
La révolution de Février 1848, qui tente avec de grandes
difficultés d'établir une République d'orientation socialiste, et les émeutes
meurtrières qui l'accompagnent inquiètent notre poète. Il croit trouver en la personne
du prince Louis-Napoléon, l'homme fort, capable d'établir une paix sociale. Devenu
lui-même député, il milite donc pour son élection à la présidence de la république:
elle a lieu en Novembre 1848.
Hélas, Victor Hugo perd vite ses illusions.
Le prince-président refuse à son supporter le portefeuilles de l'Instruction Publique
qu'il espérait, et il se montre plus soucieux de sa carrière que du bien public,
consacrant ses forces vives à une vigoureuse campagne électorale qui lui permettrait de
conserver le pouvoir au-delà de son mandat. Dans le même temps, il tente de faire
modifier la constitution pour se ménager l'accès à l'Empire, et, devant la résistance
de l'Assemblée, il mobilise ses partisans de l'Armée, la Police, l'Administration, et
met au point son complot.
C'est
LE COUP D'ETAT DU 2 DECEMBRE 1851: les chefs de la majorité parlementaire sont arrêtés,
l'Assemblée est dissoute. Les mouvements de protestations qui se forment dans la
capitale, dès le 4 Décembre, sont dispersés par des soldats en armes, plusieurs
dizaines d'innocents périssent dans les fusillades, des milliers d'opposants sont
déportés en Guyane, et en Algérie. Dès le 20 Décembre 1851, les français ratifient
par un plébiscite, avec une énorme majorité la prise de pouvoir de celui qui devient un
an plus tard, le 2 Décembre 1852 (date anniversaire d'Austerlitz) l'Empereur
Napoléon III.
CE COUP DE FORCE FAIT DU
POETE UN REVOLTE!
Victor Hugo, qui avait dénoncé en
vain les ambitions du prince-président, essaie d'organiser la résistance du Peuple,
après le coup d'état qui l'a muselé, et le plébiscite. Il ne peut y parvenir. Devenu
ennemi public, il doit quitter la France. Il passe en Belgique puis dans les Îles Anglo -
Normandes, à Jersey d'abord (qu'il doit quitter en 1855 sur la demande du gouvernement
anglais), puis à Guernesey. C'est à Jersey qu'il compose les Châtiments.
L'exil donne une
tribune au révolté!
Pendant 18
ans, de 1852 à 1870 il vivra hors de son pays, refusant l'amnistie que lui offre
l'empereur et n'y reviendra qu'après sa chute.
Il affirme dans ULTIMA VERBA:
"Oui, tant qu'il sera là, qu'on cède ou qu'on persiste,
O, France! France aimée et qu'on pleure toujours,
Je ne reverrai pas ta terre douce et triste,
Tombeau de mes aïeux et nids de mes amours." Faisant allusion à certains de ses compagnons qui acceptent de se rallier,
il s'engage à demeurer au nombre de ceux qui ne cèdent pas,
"Et s'il n'en reste qu'un, je serai celui-là".
On peut admirer le courage de cet homme de 50 ans, qui par
fidélité à ses convictions, renonce aux privilèges d'une célébrité nationale pour
s'exposer aux aléas et aux chagrins d'une vie d'émigré. Il faut sentir quel immense
sacrifice représente ce choix. Nous en trouvons des échos poignants:
"Je t'aime exil, douleur je t'aime!
Tristesse sois mon diadème!
Je t'aime altière pauvreté!
J'aime ma porte aux vents battue,
J'aime le deuil, grave statue
qui vient s'asseoir à mon côté." (II 5)
N'imaginons pas cependant (malgré les poses de persécuté qu'il aime prendre!), le
poète voué, tel son héros Hernani, à l'errance et aux dangers perpétuels. Dès 1855,
il se fixe à Guernesey, y achète une maison agréable où il s'installe avec sa famille
et qui deviendra un lieu de ralliement pour tous les opposants au régime du Second
Empire.
Qu'a-t-il à dire?
Sans porter, sur le bien fondé de sa révolte et de
ses opinions, un jugement qui n'appartient pas aux littéraires que nous sommes, mais aux
historiens nous allons nous interroger sur le message de Victor Hugo dans Châtiments.
¨Il crie son mépris à
celui qu'il appelle NAPOLEON LE PETIT.
¨Il veut provoquer un
sursaut du peuple français en lui rappelant les grandes vertus de quatre - vingt -
treize: L'APPEL AU PEUPLE.
¨Il annonce un avenir
de réconciliation, de progrès et de paix: contrairement aux apparences les Châtiments
sont fondamentalement un message d'espérance.
Vous avez dit
espérance!
Alors que le clan Bonaparte triomphe, que ses opposants sont arrêtés ou
doivent s'enfuir, que les français dans leur immense majorité se montrent satisfaits et
rassurés par l'arrivée au pouvoir d'un "homme fort", que les têtes
couronnées saluent l'avènement de ce nouveau monarque, le républicain Victor Hugo
relève le défi: à celui qui justifie son coup de force en affirmant qu'il a SAUVÉ le pays, le poète répond par
l'ironie.
¨Il reprend, pour en faire les titres des différents livres de ses Châtiments,
les 6 points du Bulletin de victoire de "L'homme de Décembre", qu'il fait
suivre d'un septième titre "LES SAUVEURS SE SAUVERONT"!!!
¨L'ensemble débute par une introduction au nom sombre comme la période
présente "NOX", et
s'achève dans une conclusion de joyeuse clarté "LUX" qui annonce, après l'épreuve, la venue de temps meilleurs. Nous
sommes donc dans une dynamique résolument optimiste.
¨Voici la structure de l'ouvrage:
NOX (9 poèmes
notés ici en chiffres romains)
I. "La société est
sauvée" (15 poèmes notés ici en chiffres arabes)
II. "L'ordre est rétabli" (7
poèmes . . . . .)
III. "La famille est restaurée"
(16 poèmes . . . . .)
IV. "La religion est
glorifiée" (13 poèmes . . . . .)
V. "L'autorité est
sacrée" (13 poèmes . . . . .)
VI. "La stabilité est
assurée" (17 poèmes . . . . .)
VII. "Les sauveurs se sauveront"
(17 poèmes . . . . .)
LUX (5 poèmes
notés ici en chiffres romains)
Rappelons que les poèmes ne correspondent pas à ce qu'annoncent les titres choisis par
dérision.
Conseils de lecture:
Pour prendre connaissance lire attentivement des extraits des Châtiments avec
leurs notes explicatives (par ex: ceux de Bordas), ensuite pour le plaisir, pour se gorger
de mots, d'images, de rythmes, emprunter le texte intégral dans une bibliothèque, et
lire, sans intellectualiser, en se laissant seulement emporter par le flot verbal. Un
régal!
Nous nous proposons de traiter successivement ces
différents points avant d'aborder quelques-uns des textes les plus prestigieux de notre
grand auteur national.
Auparavant nous verrons ce qui donne autorité à Victor Hugo pour se poser ainsi en
arbitre.
Aller à Victor
Hugo, Châtiments: la honte!
Aller
à Victor Hugo: Châtiments, page/index
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