Cet ahurissant pamphlet, où
les divagations de l'utopie humanitaire suivent sans transitions les attaques les plus
virulentes, qui prendrait le risque de
l'imprimer? Qui prendrait le temps de le lire?
Après quelques
hésitations, le grand éditeur Hetzel, qui lui aussi s'était exilé, se charge de la
parution de l'ouvrage. L'une datée de Bruxelles, est relativement prudente, car on y a
supprimé:
les passages vraiment trop diffamatoires, l'autre, qui donne une adresse fictive à
Jersey, contient l'ensemble du manuscrit. Tous les textes sont publiés dans l'année
1853.
Châtiments arrive
clandestinement en France pour l'anniversaire du sacre...
Le succès est immédiat. Cet ouvrage réquisitoire - leçon de morale, est reçu
avec enthousiasme.
La parole tonnante du
grand exilé n'était, certes, pas suffisante pour entraîner un mouvement de la nation et
renverser l'empereur, mais il n'était guère confortable pour lui de se voir mis
en
pièces par le plus illustre de ses compatriotes: peu d'années plus tard, ses
gestes
d'apaisement pour tenter de ramener le poète dans la mère patrie l'ont prouvé.
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Quelles raisons pouvaient inciter à lire
Châtiments?
Il y avait le prestige
personnel de l'auteur,
Il y avait les convictions politiques de chacun, républicaines ou anti -
bonapartistes,
Il y avait une curiosité maligne et le plaisir de voir des hommes
en vue ridiculisés,
Il y avait les grandes idées soutenues par l'auteur,
Il y avait surtout la PERFORMANCE LITTÉRAIRE.
Victor Hugo a mis en oeuvre ici toutes ses ressources verbales et poétiques, avec une
virtuosité qui séduit, exalte et entraîne l'adhésion.
Comment ne pas BARBER, en RABACHANT sur plus
de trois cents pages quatre ou cinq IDÉES FIXES?
(Je risque ces expressions peu académiques pour mettre
tout le monde à l'aise en reconnaissant que certains passages m'ont terriblement
ennuyée!)
Ce sont:
-ceux où, en nommant ses ennemis (qui sont pour nous des inconnus), l'auteur se laisse
aller au ton acerbe de la satire politicarde, -ceux où il développe ses convictions sur le Progrès de lhumanité d'une façon
grandiloquente et naïve.
(mais peut-être ces deux aspects de l'oeuvre étaient-ils ceux qui passionnaient le plus
les contemporains?) |
Victor HUGO va éviter la
monotonie par ... la VARIETE.
Il va soutenir l'intérêt par l'INVENTION.
Il va toucher par la PERSONNIFICATION d'entités abstraites.
Une LANGUE parfaitement maîtrisée ( mises à part
de rares lourdeurs et quelques obscurités), soutenue par des moyens rhétoriques (FIGURES
DE STYLE) très efficaces, sert à merveille les intentions de lauteur.
La VARIETE
- Un style
Variété dans la LONGUEUR des pièces,
qui se succèdent sans ordre apparent: les plus courtes ont une dizaine de vers, les plus
importantes, quelques centaines.
Variété dans le VERS utilisé.
Les alexandrins (12 pieds) sont largement majoritaires, en suite
ininterrompue, ou en couplets, ou alternant avec dautres mètres (vers),
mais on trouve aussi une très grande quantité d'octosyllabes (8
pieds), en suite ininterrompue, en couplets, ou alternant avec d'autres mètres,
les décasyllabes (10 pieds), les demi -
alexandrins ou hexamètres (6 pieds), se rencontrent surtout en alternance avec
d'autres mètres, de même que quelques vers de 4 et de 2 pieds.
Les impairs sont peu fréquents, mais nous avons des couplets
d'heptasyllabes (7 pieds), par exemple en I 9, des vers de 5
pieds en alternance avec des décasyllabes (leur double), par exemple en VI 4, et
trois pieds alternant avec des hexamètres (leur double) dans le refrain de Il 2.
*Variété dans le RYTHME, qui diffère
suivant le vers choisi:
l'octosyllabe ou l'hexamètre sont plus vifs que l'alexandrin et servent souvent de
base aux chansons, l'impair donne un très léger déséquilibre (d'autres éléments
conditionnent le rythme: structure du vers, organisation de la phrase, choix des sons et
des mots, nous en rencontrerons des exemples).
*Variété dans les RIMES, qui soulignent la quantité du vers: elles sont
généralement PLATES (a-a, b-b, c-c...) dans les longues pièces en alexandrins suivis.
Beaucoup de couplets de six vers présentent une rime
PLATE (a-a) suivie d'une rime embrassée (b-c-c-b), par
exemple en Il 5.
On trouve souvent
des rimes
CROISÉES dans les rythmes vifs (mètres de dix pieds et moins) des chansons, par
exemple en VII 14.
Variété surtout des
GENRES
POETIQUES et du TON:
satire féroce,
chanson populaire, fable à la Florian, vision
prophétique, méditation, récit familier, témoignage, morceau déloquence, effusion lyrique, fresque épique se
succèdent au fil des pages, jetant le lecteur dans le ravissement ou lhorreur, le
rire ou la colère, la pitié ou la haine, l'irritation ou l'amusement, l'admiration ou le
mépris, l'enthousiasme ou le découragement, sans lui laisser le répit de
l'indifférence, tant la charge émotionnelle est prenante.
Feuilletez Châtiments: un coup d'oeil vous
convaincra de son étonnante diversité pour soutenir l'émotion.
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