-L'Expiation, voilà encore un titre génial dans la veine de
Châtiments, qui suggère un
coupable implacablement poursuivi par la colère divine.
On pense évidemment à la fuite d'Adam, meurtrier de son frère, dans la Conscience
de la Légende des siècles, Napoléon en est ici une préfiguration.
En sept épisodes:
I. Retraite de Russie.
II. Waterloo.
III Sainte-Hélène.
IV. Glorification posthume.
V. Mythe napoléonien.
VI. Retour des cendres en France.
VII. Gloire souillée par Napoléon III.
L'Expiation développe la
punition infligée à Napoléon Ier poursuivi pour une faute qui ne se découvre qu'au
dernier vers: |
- "...Je suis ton crime, dit la
voix...
Pareils aux mots que vit resplendir Balthazar,
Deux mots dans l'ombre écrits flamboyèrent sur César.
Bonaparte, tremblant comme un enfant sans mère,
Leva sa face pâle et lut: DIX-HUIT BRUMAIRE!"
L'effet de surprise,
magistral, annonce symboliquement le châtiment du neveu, responsable, lui aussi d'un coup
d'Etat. Un autre effet déjà observé dans tout l'ouvrage, est particulièrement mis en
uvre ici: |
- l'opposition entre la gloire du premier empereur et la piètre
figure du dernier. Victor Hugo, il nous le dit lui-même, n'était pas en extase devant le
grand empereur, mais il le magnifie pour mieux abaisser son successeur. Nous verrons ici
les deux premiers poèmes.
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LA
RETRAITE DE RUSSIE.
"Il neigeait, on était vaincu par sa
conquête"
Ce premier vers donne le thème: la
terre russe, terre hostile, a raison de ses envahisseurs.
Terre hostile, par ses habitants ("effrayants,
ténébreux, avec des cris pareils aux voix des vautours chauves, d'horribles escadrons,
tourbillons d'hommes fauves"...), mais surtout par son climat et par son
étendue, |
- "La solitude vaste, épouvantable à
voir,
Partout apparaissait, muette, vengeresse".
C'est "L'âpre hiver", avec
le gel, le "givre", la "glace", "la froide
bise", "le verglas".
Il neigeait, cet imparfait qui prolonge le temps indéfiniment, se répète trois fois en
dix vers, puis il devient cri désespéré "Il neigeait, il
neigeait toujours!". En "flocons blancs", la
neige s'accumule, épaisse", fond "en avalanches", s'étend à l'infini:
"Après
la plaine blanche, une autre plaine blanche", faisant "Pour
cette immense armée un immense linceul".
Piège mortel, "le désert dévorait le cortège. On pouvait, à des plis qui
soulevaient la neige, Voir que des régiments s'étaient endormis là". Dans une ambiance désolée, "sombres jours!", le
long calvaire de la Grande Armée sur cette terre sans mesure qu'elle croyait conquérir,
s'étire en imparfaits,
"l'aigle baissait la tête", "l'empereur revenait lentement",
"les grenadiers... marchaient pensifs", "on allait
pieds nus",
"C'était un rêve errant dans la brume, un mystère,
Une procession d'ombres sous le ciel noir." tout se désagrège:
"Ce n'étaient plus des curs vivants, des gens de guerre"
il n'y a plus ni dignité, ni discipline:
"groupe morne et confus, ils
fuyaient"... "On ne connaissait plus les chefs ni le drapeau." "On
jetait les canons pour brûler les affûts". "On s'écrasait aux ponts pour
passer les rivières."
les combattants ne sont plus que "fantômes",
"Ney... s'évadait, disputant sa montre..."Napoléon lui-même est "comme un
arbre en proie à la cognée".
La mort est partout: "chevaux
morts", "bouche de pierre", "chacun se sentant mourir", "qui
se couchait mourait"
"On s'endormait dix-mille, on se
réveillait cent".
"toute une armée ainsi dans la nuit se perdait",
Des
cris (nous en avons déjà cité deux) de désespoir, de tristesse ou de
pitié coupent la monotonie de cette infinie misère : |
"Sortira-t-on jamais de ce funeste
empire? Deux ennemis!"
"O chutes d'Hannibal! lendemains d'Attila!"
"Toutes les nuits, qui vive! alerte! assauts! attaques!"
La dernière partie du récit amorce la prise de
conscience de Napoléon: "épouvanté, stupéfait du
désastre", "ne sachant que croire", il "trembla", "comprit
qu'il expiait quelque chose", "livide, inquiet", il demanda:
"est-ce le châtiment?"
La réponse crée l'angoisse et le suspense:
"Alors, il s'entendit appeler par son nom,
Et quelqu'un qui parlait dans l'ombre lui dit: Non".
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