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Ontologie de la mort:  
Esquisses épistémologiques pour une thanatologie qui se voudrait scientifique.

- Introduction - p.1
- L'impensable de la mort - p.2
- L'épistémologie paradoxale de la thanatologie - p.3
- Les invariants anthropologiques de la mort - p.4
- Les postulations métaphysiques de la thanatologie - p.5
- Éthique et ontologie de la mort - p.6
- Quelle thanatologie aujourd'hui ? - p.7

Les invariants anthropologiques de la mort

Edgar Morin a été parmi les premiers à tenter de déceler les invariants trans-historiques ou bio-anthropologiques de la mort en soulignant implicitement la dimension ontologique des deux thèmes fondamentaux qui remplissent la brèche anthropologique entre l'individu et l'espèce: Les deux mythes fondamentaux, mort-renaissance et double sont des transmutations, des projections fantasmatiques et noologiques des structures de la reproduction, c'est-à-dire des deux façons dont la vie survit et renaît: la duplication et la fécondation. La mort-renaissance est certes une vague métaphore du cycle biologique végétal, pourtant elle exprime non plus l'analogie mais la loi du cycle animal marquée par la mort des individus et la renaissance permanente de l'espèce. Le double, lui, correspond de façon extrêmement précise au mode fondamental et universel de reproduction [...]. Le double (que fabrique quasi - automatiquement l'expérience du reflet, du miroir, de l'ombre, le double, produit spontané de la conscience de soi) est un mythe universel. Pourquoi ne pas penser que ce mythe traduit de façon noo - fantasmatique un principe bio-génétique, et comment ne pas penser que le moment de la mort est celui de la duplication imaginaire ?(28). Edgar Morin introduit là une ontologie de la vie (29) que développera à son tour Louis-Vincent Thomas: l'unité dialectique des divers règnes du cosmos (minéral, animal, humain, sociétal, culturel, transcendantal), l'unité dialectique de l'être et du néant, l'unité dialectique de l'individu et de l'espèce.
Cette ontologie de la vie qui est simultanément une ontologie de la mort, comme l'avait déjà parfaitement saisi Georg Simmel (30), est aussi, et consubstantiellement, une ontologie de la survie ou de la survivance, ce que Louis-Vincent Thomas a appelé une "eschatologie philosophique" (immortalité, réincarnation, résurrection). Louis-Vincent Thomas reprend là les belles analyses de Michel Hulin (31) dans son article synthétique sur l'eschatologie de la mort où il développe une typologie en quatre temps :
1) L'Au-delà proche qui situe les survivants dans un univers semblable à celui des vivants, avec possibilité de réincarnation (chamanisme d'Asie Centrale, de Sibérie et d'Amérique du Nord, croyances négro-africaines traditionnelles).
2) L'Au-delà sans retour qui renvoie le pays des morts dans un monde autre et lointain (Mésopotamie ancienne, Égypte pharaonique).
3) L'Au-delà de la résurrection de la chair qui rendrait possible la réunion, voire la fusion du monde des vivants et celui des défunts: d'où le grand retour collectif des ressuscités, lié à la substitution au mythe du temps cyclique d'une durée orientée et non réversible (religions de l'Iran ancien, religions du Livre, eschatologie chrétienne).

4) L'Au-delà indien où l'Au-delà n'apparaît plus essentiellement sous la forme d'un espace ou d'un autre monde, mais dans l'ordre du temps. Il se présente comme la série des intervalles temporels qui séparent les unes des autres les réincarnations successives d'un même principe spirituel (transmigrations des âmes). Ces divers systèmes utopiques ou uchroniques s'articulent autour de quatre oppositions fondamentales : a) La distinction du proche et du lointain : l'Au-delà est-il un monde proche, semblable au nôtre, ou au contraire un univers lointain, sorte d'absolu indicible ? b) La distinction du corps et de l'esprit : les habitants du royaume des morts ont-ils un (ou leur) corps, ou sont-ils au contraire de purs esprits ? c) La distinction de l'événement unique (de la naissance et de la mort) -le destin eschatologique étant scellé une fois pour toutes à l'instant de la mort - et de la répétition des naissances et des morts (l'existence actuelle procède d'une existence précédente, pas nécessairement humaine, et conduit à une existence ultérieure qui peut-être ne comportera pas non plus cette forme. d) La distinction du Bien et du Mal : les injustices de ce monde sont-elles ou non réparées dans l'Au-delà, tout le monde accède-t-il à cet Au-delà, y a-t-il un tri qui  "pèse" les âmes suivant leurs actions mondaines (Paradis, Enfer) ? (32).
C'est précisément sur cette question métaphysique de la survivance après la mort que s'opèrent aujourd'hui les clivages épistémologiques au sein de la thanatologie. Nombreux sont ceux qui, par souci de respectabilité universitaire ou par prudence épistémologique, se gardent bien d'aborder ces questions au profit des thèmes ontiques dirait Heidegger de la quotidienneté mondaine de la mort : cimetières, deuils, suicides, économie de la mort, accompagnement des mourants, etc. Or, le mérite de Louis-Vincent Thomas a toujours été de maintenir dans une même préoccupation les deux versants ontologiques du mourir : l'Ici-bas et l'Au-delà, considérant même implicitement que c'est l'Au-delà qui donne sens à l'Ici-bas, comme la mort donne sens à la vie et le non-encore-advenu (le futur de la mort certaine) au déjà-vécu (le passé et le présent de l'existence). Et comme l' âme donne sens au corps. La thanatologie a ceci de spécifique qu'elle ne peut, sous peine de A mourir instantanément, récuser cette problématique ontologique de la survivance qui traverse au demeurant toute l'histoire de la métaphysique occidentale.

=> Les postulations métaphysiques de la thanatologie - p.5

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Notes

(28) Edgar Morin, L'Homme et la mort, Paris, Seuil, 1970, pp. 11 et 12. Le livre de Morin est une contribution fondamentale à une anthropologie philosophique, voire métaphysique, des figures historiques de la mort.
(29) Voir également les quatre tomes de La Méthode, Paris, Seuil, 1981, 1985, 1986, 1991.
(30) Georg Simmel, Métaphysique de la mort in La Tragédie de la culture (introduction de Vladimir Jankélévitch), Paris, Rivages, 1988, p. 171 : A à chaque instant de la vie nous sommes des êtres qui allons mourir et cet instant serait autre si telle n'était pas notre destination [...]. On voit maintenant clairement la signification de la mort comme créatrice de forme. Elle ne se contente pas de limiter notre vie, c'est-à-dire de lui donner forme à l'heure du trépas, au contraire, elle est pour notre vie un facteur de forme, qui donne coloration à tous ses contenus: en fixant les limites de la vie dans la totalité, la mort exerce d'avance une action sur chacun de ses contenus et de ses instants
(31) Michel Hulin, La Face cachée du temps. L'imaginaire de l'Au-delà, Paris, Fayard, 1985.
(32) Voir Louis-Vincent Thomas, L'eschatologie : permanence et mutation in Louis-Vincent Thomas et alii, Réincarnation, immortalité, résurrection, Bruxelles, Publications des Facultés universitaires Saint-Louis, 1988, pp. 17 et suivantes ; Louis-Vincent Thomas, "Mort et ontologie", op. cit., p. 1459. Ernst Bloch, dans Le Principe Espérance (trois tomes, Paris, Gallimard, 1976, 1982, 1991), procède à une vaste étude des utopies et eschatologies de la mort, visions culturelles et métaphysiques de la survie, "catalogue des rêves-souhaits humains  dans les grandes religions universelles", systèmes idéologiques ou représentations artistiques.

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