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Paul
Claudel
-
L'échange -
par Joseph
Llapasset
Toutes
nos références renvoient à : Paul Claudel, L'échange, Folio n° 911 , Édition
2001.
1) Une
multiplicité représentée, ou les portes de l'avenir.
|
-
A
l'adolescent qui ne
désire pas choisir dans la multiplicité des voix qui, comme
autant de muses diverses, l'agitent de mouvements contraires, à
l'adolescent qui se meut selon les voies de l'expansion ou de la
rétractation, entre l'ouverture et la clôture monacale, le paradis
promis paraît bien loin du morne positivisme ambiant, la vraie
vie paraît toujours absente, selon la plainte de Rimbaud. Et
la quiète bourgeoisie se rassure: "il" se rangera comme
les autres et deviendra un vieux assis sur les tombes de toutes les
facettes sacrifiées au conformisme, sur toutes les interrogations
qu'il aura échangées contre la pacotille des propos assagis noyés
dans la résignation.
-
Eh bien, dans le concert des
parcours convenus, sitôt accomplis sitôt oubliés, Paul Claudel,
tout en filant les métaphores des échanges dans une carrière
diplomatique aux quatre coins du monde, assume pleinement ses voix
de la chair et de l'esprit, enfante dans la beauté des pièces de
théâtre pétries par la force des sentiments, leur conflit
préservé. Comme une mère qui refuse de choisir entre les enfants
de sa chair et de son esprit.
Pourquoi figurer la vraie vie dans des pièces
de théâtre? Parce que Claudel tient de Mallarmé que le théâtre est
la voie royale de celui qui veut mettre en scène la vraie vie en
objectivant la diversité qui l'habite sous la forme de personnages. A
celui qui ne veut pas se figer dans une de ses facettes, le théâtre
s'offre, non pas comme un jeu de l'âme mais comme le lieu de la
présence, de cette espérance, celle qui foisonne dans l'adolescent et
qui lui ouvre, au nom du rêve, "les portes de l'avenir"
(page 270). Ce que Mallarmé réduisait à des jeux de l'âme, comme
autant de signaux, Claudel l'étend aux affrontements de l'incarnation
dans L'échange entre la chair la plus sensuelle (Lechy), l'âme au
plus près de Dieu (Marthe), le prodigue le plus libertin (Louis),
le publicain qui ose mêler la sagesse divine et la sagesse pratique
(Thomas).
A l'effarement général, Claudel met cette multiplicité, cette
richesse, au service du travail bien fait avec comme résultat une
oeuvre où la vraie vie est présente, ou tout au moins présentée sur
les planches. Mallarmé avait réagi ainsi à Tête d'or : "Le
théâtre, certes, est en vous."
Mais, par quel miracle est-il passé hors de
lui? Par quel miracle ce tumulte interne a t-il été objectivé sinon
par le miracle de la création. Avec L'échange, nous allons nous tenir
au plus près de la création. Quel pont Claudel jette t-il entre le moi
et le monde?
Le fondement de l'échange apparaît ici.
Si l'échange est toujours possible, c'est que de l'un à l'autre des
personnages il y a plus une différence de degré, d'orientation et de
tension, qu'une différence de nature: par une conversion toujours
possible au bien ou au mal, chaque personnage peut changer et échanger
le rôle. Voilà pourquoi, le publicain Thomas "précèdera" peut être
dans le royaume de Dieu (page 263). Voilà pourquoi Marthe
"tend" la main à Thomas, à la fin de la pièce, désignant
ainsi à l'enfant qui naîtra d'elle le père qu'il nécessite et qu'il
mérite.
"Elle lui tend la main qu'il serre en silence" dit la
première version, page 127.
"Elle lui tend la main sans le regarder", écrit, cinquante
ans plus tard, Claudel dans la deuxième version, page 259.
Nous allons donc entrer en relation avec
un Claudel, véritable éléphant blanc, énorme à profusion, soucieux
de ne rien sacrifier de ce qui l'habite, mais qui veut conduire sa
multiplicité, l'ordonner à la création d'un nouveau monde par un
travail d'enfantement: les quatre personnages sont des délégués qui
le représentent sur la scène dans un conflit commençant par la
"prise" d'une femme (par Louis) et qui se résout dans
l'échange d'une main tendue , d'un enfant promis et accepté.
©
Joseph
Llapasset
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