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Paul
Claudel
-
L'échange -
par Joseph
Llapasset
Toutes
nos références renvoient à : Paul Claudel, L'échange, Folio n° 911 , Édition
2001.
Libérer
l'échange entre ce que je dis de moi et ce que l'on dit de moi
- Louis Laine -
|
-
S'il
s'agit bien de réagir contre une société confondant la réalité
avec le personnage qui la masque, s'il s'agit de représenter par
une mise en scène la vraie vie, selon le vœu de
Mallarmé il faut bien, pour libérer
l'échange et rendre possible le dialogue, que chaque interlocuteur
parle et fasse entendre sa différence, ce qu'il est le seul à
pouvoir dire de lui parce qu'il est le seul à l'éprouver, et qu'il
puisse écouter ce qu'on dit de lui, ce que les autres sont seuls à pouvoir
dire de lui.
A ce prix, au prix de l'authenticité, la vraie vie sera présentée
par des dialogues où s'échangent des sollicitations comme autant
d'appels à une reconnaissance de la vérité par consentement mutuel: ce qui est
échangé c'est la parole, ce qui exprime alors une vérité
profonde d'un individu. La vraie vie, ça bouscule les masques
figés dans des grimaces et chacun de tomber , sans avoir
toujours à qui se
raccrocher, dans l'essentiel qui le constitue , au risque d'être étourdi par la chute.
Nous allons suivre, pour chaque personnage de l'échange ce
"balancement" entre ce qu'il dit de lui et ce qu'on lui
dit, ce qu'on dit de lui.
Commençons
par Louis Laine.
1 - |
Je ne sais ce que c'est qu'hier et que demain
C'est assez que d'aujourd'hui pour moi |
Page 13 |
2 - |
Je ferai ce qu'il me plaît de faire |
Page 28 |
3 - |
Je prenais l'argent dans la caisse |
Page 16 |
4 - |
J'ai du sang d'Indien dans les veines |
Page 16 |
5 - |
Je ne fais rien du tout le jour, et je chasse tout
seul ... |
Page 18 |
6 - |
Je voudrais vivre dans l'eau profonde ...
Je voudrais être poisson, je volerais ... Je voudrais être un
serpent dans l'épaisseur de l'herbe |
P. 20, 21 |
7 - |
Que fais-tu de mon âme, l'ayant prise.?Je me
défie
de toi. |
P. 26,67 |
8 - |
Ma vie est à moi et je ne la donnerai pas à un
autre. |
Page 27 |
9 - |
Je serai libre en tout ! Je ferai ce qu'il me
plaira de faire. |
Page 28 |
1
- La possibilité même de l'échange est annulée: pas d'épargne
préalable qui exigerait de brider le goût pour l'immédiat, de
s'appuyer sur hier pour aller à demain, de donner une orientation
et un sens à sa vie par une promesse tenue: par exemple par
l'obligation de rendre compte d'un dire passé. Si aujourd'hui
suffit à le satisfaire c'est qu'il se contente des deux seules
choses qui sont données, le corps et l'instant, c'est qu'il se contente du milieu, le jour, la mer, et de son pouvoir, de sa vie, la
liberté naturelle qu'elle lui donne. Il se réduit à des noces
avec l'instant, toujours recommencé, avec la mer, avec son corps
dans la jouissance de sa vie.
En fait il n'est pas prêt à donner quoi que ce soit en échange et,
au début de la pièce, il arrive effectivement au jour de lumière,
réduit à son corps, nu comme un ver, pur comme un innocent. Il
renie le dire "ancien" pour s'engager à faire ce qui lui
plaît dans le refus de donner une part de sa vie, sans voir, et Marthe
le lui rappelle, pourquoi la vie lui a été donnée. Cela revient
à s'engager à ne pas s'engager, à ne jamais rien donner, à ne
jamais sacrifier l'immédiat de la jouissance (2 -)
3
- C'est d'ailleurs son premier choix de prédateur: il prend
l'argent non pas pour échanger mais pour le jeu, pour son plaisir.
Il vole, le fruit du travail d'un autre, il refuse de donner en
échange. Car échanger serait, lui semble-t-il , maîtriser cette liberté naturelle
qui l'enivre, se détourner du présent et du corps, renoncer à
vivre dans ce que sa jeunesse semble lui donner à profusion. Pour
toujours?
9
- Son futur est dans le présent de l'illusion d'une éternelle
jeunesse qu'il rêve de passer entre le ciel, la terre et la
fluidité de l'eau, dans des noces avec la nature, dans la
prétention d'annuler le temps, dans la répétition du même qui se
moque bien de l'altérité, de la prise en considération de
l'autre, de l'amour , cet amour qui se nourrit de sacrifices. Prendre, prendre à
l'infini de l'azur et d'une mer que pourtant la ligne d'horizon
ferme. (Je
ne fais rien du tout le jour)
6
- Dans l'épreuve de soi, dans sa vie il communie avec la nature et
rêve d'une expansion que rien n'arrêterait dans l'eau, dans l'air
et au plus prêt de la terre dans l'épaisseur de l'herbe.
Ce que Louis Laine
( à écouter
son nom on entend un écoulement, une fluidité comme
s'il glissait toujours ailleurs) nous dit de lui à travers ces
paroles c'est l'endroit, comme une revendication de sa jeunesse qui
veut tout sans rien donner en échange. C'est toute sa
"pente" qu'il lui faudrait remonter, pour ne pas s'annuler et
se noyer dans le narcissisme. Mais ce que l'on
entend, ce que Marthe nous fait entendre en parlant de lui, en lui
parlant, c'est l'envers de cette fausse gloire, le meilleur
de lui même : et c'est dans
l'échange avec Marthe que l'envers apparaît sans cesse, comme si
l'épouse, en contrepoint, était seule à pouvoir le sauver, à
l'enfanter à une vie d'homme. Marthe la douce, la servante au plus
près du Seigneur, et pourtant toujours amère parce que miroir où
viennent se briser les rodomontades du carpe diem.
Marthe ,la conscience de Claudel?
-
Ce
que Paul Claudel représente dans cette première scène de l'acte
I- (jusqu'à la page 32) c'est la nécessité de l'échange sans
lequel aucune vie humaine, aucune vraie vie ne peut apparaître.
Aussi bien l'échange du présent et de l'avenir, le sacrifice de
l'immédiat dans le "faire sa vie", l'échange du plaisir
contre la joie de réussir, l'échange de paroles par lesquelles
advient la lumière sur soi, par quoi les idées adéquates se
forment.
8
- L'affirmation d'une propriété qui ne veut pas s'échanger masque
mal le refus de jouer à qui perd gagne c'est à dire le refus de
l'échange. Y aurait-il jusque dans l'échange, d'une manière ou
d'une autre, le signe d'un don de soi, d'un renoncement: comme d'un
oiseau qu'on prend par les ailes tout vivant (page 16), selon la
traduction de Louis Laine, à contresens.
Et la scène I- après un échange flamboyant de vérité et d'authenticité se termine pourtant dans la confusion des sentiments
dans le mensonge et dans la méfiance.
©
Joseph
Llapasset
Ce que Marthe dit à Louis Laine et ce
qu'elle lui dit.
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