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Paul
Claudel
-
L'échange -
par Joseph
Llapasset
Toutes
nos références renvoient à : Paul Claudel, L'échange, Folio n° 911 , Édition
2001.
Ce
que Marthe dit d'elle. (page 1)
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Ne perdons jamais de
vue pour comprendre cette pièce que Claudel vient de se convertir:
entré par "hasard" dans une église, appuyé à un de ces
piliers qui représente un arbre s'élançant vers le ciel, il a été
ébloui et il a répondu à l'appel de cette lumière en se maintenant
tourné vers elle: le voilà réchauffé par cette vive flamme, par la
douceur de l'amour et éclairé par elle, par l'amertume , effet de la
lumière.
Le voilà saisi et étourdi par cette profondeur de lui même qui se
révèle à lui dans un regard qui le traverse: cette volonté du bien
qui, au sens le plus strict l'anime, sans que pour cela son esprit
comprenne très bien en quoi ce don de soi, cette aliénation totale
peut bien être la meilleure manière de se retrouver: comment l'âme,
au plus près de Dieu, l'intuition peut-elle être la compagne de
l'intelligence qui se perd dans les détours, comment le conflit qui va
l'habiter, la crise qu'il va souffrir pourra organiser son chaos
intérieur.
Étourdi, certes, au point de croire que le don de soi passe par le don
de sa liberté, que la fidélité exige l'apparente passivité de la
contemplation, et que la liberté reste ce fardeau dont on ne peut se
décharger. En pleine crise intérieure où tout se réorganise, exilé
loin de ses racines, car il faut que l'homme quitte la terre
natale de sa famille, Claudel découvre, après avoir traversé
l'océan, des êtres humains qui reflètent les composantes de sa vie
intérieure, les interlocuteurs qui le hantent et le bouleversent et dont
il ne peut se séparer sans disparaître. Il va donc falloir faire avec
eux, et, tout au plus, les objectiver, les mettre en scène pour prendre
cette distance qui permet, dans le dialogue la recherche de la vérité.
Marthe c'est présentement ce qu'il y a de meilleur en lui: anima,
l'archétype divin, le dynamisme qui s'élance pour créer, pour donner
le vie, pour enfanter et pour bâtir dans une oeuvre commune de toutes
les composantes de son être: deux hommes (Louis et Thomas), deux femmes
(Marthe et Léky). C'est dire que Claudel voit affleurer au plus profond
de lui-même une réceptivité bien féminine une fidélité dans
l'exil acceptée avec sincérité, une servante du Seigneur. Et
parce qu'il ressemble à un hibou ébloui par le soleil qu'il a vu, dans
l'illumination de sa conversion, Claudel ne voit d'abord que la passion
d'un don de soi absolu, où il semble que le moi se soit perdu dans
l'amour et la vérité, sans jamais pouvoir se retrouver. Douce-amère,
aimante et humble, c'est Marthe, c'est l'âme: cinquante ans plus tard,
Claudel aura mesuré sa "bourde", grâce à des acteurs
exceptionnels et dans la deuxième version de sa pièce il reviendra sur
ce premier aveuglement bien compréhensible: cela nous vaudra la
deuxième version de L'échange avec une Marthe pleinement épanouie,
pleinement retrouvée: une puissance, une force qui met toute son
intelligence et son âme au service du bien: elle ne veut plus que le
bien, elle est le bien qu'elle poursuit. La contemplation ne peut plus
être distinguée de l'action: contemplation et action bien unies, parce
que l'action se nourrit de la contemplation.
Mais dans la première version à laquelle nous nous attachons ici,
Marthe ressemble à une épave, qui souffre la nuit des sens et de
l'esprit, qui confond le don de soi avec sa perte, avec la passivité,
pour peu que Laine la lâche, et ne tienne pas ce pari sur la vie qu'est
le mariage. Elle en reste à la réciprocité de l'échange qui
l'aliène à autrui, à sa bonne foi. En effet, pour elle, le mariage a
été cet échange, ce contrat sur lequel on ne revient pas: le don
total que rien ne peut payer si ce n'est le don total de l'autre. Elle
n'a pas réalisé qu'il ne s'agit plus d'un échange mais d'un acte de
foi. Si dans le mariage chacun retrouve ce qui lui manque c'est pour
accomplir l'œuvre de création. Chacun donne ce qu'il est et reçoit la
collaboration de ce qu'il n'est pas: mais tout est ordonné à une
oeuvre, aimer c'est regarder dans la même direction disait l'auteur du
petit prince, puisque, pour chacun être c'est se faire grâce au
dynamisme qui l'habite. Nous voilà prêt à comprendre ce que Marthe
dit d'elle. ©
Joseph
Llapasset
Ce
que Marthe dit d'elle. (2)
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