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Paul
Claudel
-
L'échange -
par Joseph
Llapasset
Toutes
nos références renvoient à : Paul Claudel, L'échange, Folio n° 911 , Édition
2001.
L'intérêt
de ces jugements portés sur Thomas par son entourage, c'est qu'ils sont
en réalité autant de manière dont Claudel accède à cette promesse
d'avenir qu'il porte en lui, avec ce bâtisseur qu'est animus (pour la
distinction animus/anima dont l'origine est Jung, suivre ce lien: animus
- anima lien
ouverture nouvelle fenêtre)
Dans la
vraie vie, on ne compose pas, on ne cherche plus à paraître: sous le
regard de l'âme, chaque personnage accède donc à autrui dans une
subjectivité partagée, parce que les masques tombent. La vraie vie est
dans la vérité d'une subjectivité transparente et sans obstacle, ce
qui ne vas pas sans conflits et sans crise: bien au contraire, cela les
exaspère puisque l'hypocrisie a disparu. De part en part, la vraie vie
est authentique. 1-
Lechy - C'est ainsi que Léchy allie dans ses propos
l'objectivité du jugement et la lucidité de la donnée immédiate: Thomas a le regard fixe comme un boxeur qui rit, toujours prêt à
concourir, à échanger mais aussi toujours prêt au don, à la
générosité, parce que l'échange n'est pas pour lui une passion mais
un jeu, un divertissement dont il peut à tout moment se déprendre en
donnant ce qu'il a gagné. Car comment pourrait-il donner sans retour
s'il ne commençait pas par posséder en toute justice? Il a donc bien
"le regard fixe comme un boxeur qui rit" (page 35),
c'est un "ours blanc'" qui combat comme on joue dans
une royale liberté, au cœur de l'échange, la fin de la pièce en
témoignera. Il est prêt à tout abandonner pour peu qu'il trouve cette
perle exigeante, ce bleu regard du devoir, qui n'a pas de prix: Marthe:
"Vous serez heureuse avec Thomas" (page 94) prophétise
avec une lucidité supérieure Léchy. C'est dire que Thomas ne déçoit
pas: il va jusqu'au bout de son engagement et pas plus loin. C'est le
juste prix: "tant par mois" (page 91), se plaint Léchy
qui préfère les surprises. Léchy ne peut prévoir le bouleversement
que Thomas commence à vivre: il comprendra que dans l'amour
celui qui semble perdre tout, gagne tout. Pourtant, elle le pressent ce
détachement: "C'est pourquoi il a fait sa fortune car il faut
bien faire quelque chose." (page 56). 2-
Louis - Il ne voit d'abord que la richesse et la puissance de
Thomas: "Il est riche comme un roi!" (page 65) mais il
reconnaît vite une qualité extraordinaire: "si riche et si
simple" (page 65), parce que détaché, lucide. "Il
prend d'une main et il donne de l'autre." Autant dire que
Thomas reste libre dans tout ce qu'il fait, libre de retrouver quand il
veut la pauvreté. Pour Thomas, c'est l'existence qui compte et qui
prime sur l'avoir, la royale liberté des enfants de Dieu. 3-
Marthe - Parce qu'elle écoute et qu'elle voit, c'est Marthe qui
reconnaît le mieux et le plus profondément Thomas:
= Charitable : "Vous avez bien voulu nous prendre chez vous."
Notez l'ambiguïté qu'introduit le verbe prendre.
= Par ses questions, elle l'amène à se remettre en question, à
découvrir ce qu'il sait déjà, non plus sous la lumière de l'esprit
mais dans la certitude de l'âme: la vanité de l'avoir qui circule dans
l'échange:
"N'êtes-vous pas le maître ici?" (page 108)
"Homme grand et riche"
"Pourquoi êtes-vous venu le (= Louis) tenter?"
(page 112)
= Thomas est un pêcheur qui vient de rapporter dans ses filets plus
qu'il ne pense: ni plus ni moins que l'amour de Marthe.
- Ce que j'aime en vous: "Il y a plusieurs choses que j'aime en
vous ..." (page 116)
Texte capital dans lequel se révèle la capacité d'intuition de
l'âme et les qualités propres d'animus: tout d'abord la foi quand
il agit; puis la connaissance de la valeur des choses car il les
réfère à elles-mêmes, à leur valeur d'usage et non à des
illusions. De plus, il est en contact avec les réalités: il ne
vent pas du vent. Grâce à lui ce qui est bon est utilisé. Cela permet
de satisfaire les besoins.
= Thomas est à la fois équilibré, hardi, actif, patient, rusé,
opportun; il sait s'appuyer sur les autres qu'il respecte. Il fait donc
tout ce qu'il peut même s'il ne dispose pas du hasard des circonstances
...
Enfin, qualité suprême d'un homme aux yeux de Marthe, il sait
soumettre son désir à la raison, ce qui témoigne d'une liberté
parfaite.
= Ce que le plus profond de Claudel, cette nappe phréatique touchée
par Dieu, aime dans animus c'est cette parfaite maîtrise de soi: être
raisonnable sans jamais perdre la raison, sans pour cela prendre la
raison au sérieux et se noyer dans le rationnel ! C'est le triomphe de
la sagesse humaine, sur laquelle Marthe aimera bien s'appuyer ,la
pauvreté en esprit.. Mais tout
cela n'est rien par rapport à l'absolu, ce qui a sa raison d'être en
soi: "Je suis pauvre !" s'exclame Thomas. Alors,
quelqu'un qui a toutes ce qualités et qui les vit dan la pauvreté,
n'est-ce pas quelqu'un qui va prendre au sérieux la vie sans pour cela
se prendre au sérieux, le partenaire que cherche Marthe pour son oeuvre
de création. Voilà
pourquoi Thomas accepte si facilement que sa "dame" lui fasse la leçon et
l'invite à apprendre (il en aura besoin !): "Apprenez"
(page 127), quatre fois adressés, comme une injonction à s'ouvrir au
prochain, sans le juger, pour apprendre: apprendre du prodigue, de
l'avare, de l'homme ivre, du jeune homme enchaîné par le désir, des
femmes.
Elle lui tend la main qu'il serre en silence (didascalie* de la page
126): échange et don, sagesse humaine et sagesse divine, union des
contraires.
©
Joseph
Llapasset *Didascalie
= Instruction donnée par l'auteur aux interprètes. Par exemple dans La
paix d'Aristophane, les didascalies étant perdues, cela limite la
valeur de certaines explications et laisse la place à des hypothèses.
Lechy,
que dis-tu de toi-même ?
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