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Paul
Claudel
-
L'échange -
par Joseph
Llapasset
Toutes
nos références renvoient à : Paul Claudel, L'échange, Folio n° 911 , Édition
2001.
LECHY,
que dis-tu de toi-même ? -
LECHY, ce
qu'on dit d'elle .
|
En
1937, Paul Claudel la présente, Lechy, dans le programme de Georges
Pitoëff, comme une figure de la liberté mais d'une "liberté
dérisoire qui donne sous l'amorce des sens le dérèglement de
l'imagination." (page 263.) C'est aussi bien la promesse qui
ne peut être tenue.
Mais, ce n'est pas un des moindres personnages de la pièce: elle ne
saurait être absente de la vraie vie car on ne se débarrasse ni du
désir ni de l'imagination qui, en étendant la mesure du possible, l'exacerbe.
Claudel la porte et la portera en lui, éprouvera comme une passion sa
présence lorsque, sur un bateau, il tombera amoureux fou d'une autre
femme que son épouse: il rencontrera Lechy incarnée et la
reconnaîtra, cette figure de l'impossible accord des sens et du devoir,
cette illusion qui confond liberté naturelle et autonomie ,dans une
impossible réconciliation ,rêvée, du plaisir et du devoir: tomber
amoureux d'une autre femme que la sienne, c'est l'écharde, humiliante
au possible, qu'il portera dans sa chair. Mais,
LECHY,
que dis-tu de toi-même?
-
"Je veux voir" (page 36). Répétée, l'expression fait
apparaître la curiosité d'un regard avide d'une vérité qui se
dérobe sans cesse comme des pelures d'oignons ou un emboîtement infini
de poupées russes.
- "Je mourrais s'il fallait que je travaille." (page
41). Elle inspire l'imagination comme une muse mais dans la stérilité
puisqu'elle s'évanouit à l'effort, comme le plaisir.
- "Moi, je connais le monde". (page 42) Elle est
certaine de connaître parce qu'elle a beaucoup vu, dans les voyages de
son illustre théâtre; mais elle confond voir et connaître. C'est un
corps, une imagination ,une intelligence, qui jouent et se réjouissent
de l'illusion, sur les planches du théâtre. Elle vit dans le "comme
si c'était vrai" (page42). C'est une image de l'absence, de ce
qui sous le masque se dérobe sans cesse, de ce qui est
représenté, un reflet de ces spectateurs qui viennent fuir leur
contingence radicale, leur effroi de ne pouvoir répondre aux questions
fondamentales sur l'origine et la fin de l'existence (page 43). Elle
objective ce que l'homme porte en lui, elle n'est plus que la projection
sur la scène du désir de l'homme, qui l'achète comme on achète un
cheval.
- "Je suis toute à tous". (page 44) Elle se donne à
voir, ivre du pouvoir qu'elle exerce sur tous: "Et quand je
crie, j'entends toute la salle gémir" (page 44). Certes, son
expérience lui permet de comprendre, mais c'est
l'expérience de la passion, une expérience subie.
- "Mais je puis pénétrer jusqu'à l'âme" . (page ) Jusqu'à
signifie, jusqu'au contact de, sans entrer. Elle peut tout
comprendre par la parole qui épouse la pensée, elle accède a tout ce
qui relève d'animus mais, elle ne peut pénétrer l'intimité de l'âme
car l'âme c'est ce qui n'est séparé de soi par rien. Même le Prince
de l'intelligence, le porteur de lumière, Lucifer ne peut y accéder.
Parce qu'elle est exilée dans l'objectivité, dans ce qui se voit, ce
qui exige la distance, la séparation, Lechy est une nomade qui ne se
repose jamais, qui se fuit toujours dans le mauvais infini d'un désir,
qui croit sans cesse se satisfaire d'un horizon. Elle est prise dans un
jeu qui finit par une capture (page 58) et elle se nourrit de la
souffrance des autres, voilà pourquoi elle est si triste. (pages 74 et
78)
- Elle apparaît comme la liberté (page 79 et 84) dans le chatoiement
d'une multiplicité toujours possible bien propre à affoler le désir
(pages 72 et 80).
- "Je suis tellement triste! O! si tu savais la tristesse qu'il
y a en moi !" (page 84). Elle est triste comme le plaisir.
- "Pourquoi ne vous tuez-vous pas ?" (page 91); Lechy
est possédée par le diable, c'est l'auxiliaire du diable, la
tentatrice, qui pousse au désespoir, au refus du salut dont le suicide
n'est qu'une figure. "J'ai des idées diaboliques !" (page
93). "Vous êtes entre mes mains" (lire le texte de la
page 96: "Et le mal n'est point pour un seul mais il se propage
sans fin"). elle crache la mort sur celui qui voudrait se
sauver: "Sûrement il est mort! qu'il n'espère pas m'échapper!
Déjà elle brûle: "Et moi aussi je brûle! et toi, tu
brûleras aussi dans le milieu de l'enfer où vont les riches ..." (page
119).
On comprend que l'idée fondamentale de la première version, L'échange
I. fut une idée religieuse (page 267) Ce
que dit Lechy d'elle c'est qu'elle est cette promesse qui ne sera pas
tenue et qu'elle le sait. Le monde semble lui avoir été donné mais,
l'essentiel, l'intimité de l'âme, la force de l'amour qui en jaillit,
lui sont interdits. Autant dire que tous ses succès ne sont que des
figures de l'échec, d'où sa tristesse incontournable. LECHY,
ce qu'on dit d'elle ?
-
Marthe la découvre avec horreur. "Certes il faut que tu
sois le diable pour avoir trouvé ce mot là!" (page 96)
"Silence, louve!"
- Louis Laine nous en dit plus: "Elle (Lechy) te
vaut bien" (page 61).
"Il y a l'intelligence! ... l'on peut causer avec elle" (page
61)
"Tu sais, c'est une artiste, et elle dit que je suis un artiste
aussi; elle ne tient pas à l'argent" (page 66)
"Il (Thomas) l'a ... comme on a un
cheval"
Mais il finit par reconnaître: "Elle ne te vaut
pas,... et elle n'est pas honnête" (page 75)
- Thomas nous en dit peu et beaucoup à la fois:
"Lechy, je ne puis supporter votre profanité" (page
119).
Effectivement Lechy se situe en dehors du temple.
©
Joseph
Llapasset
. A
suivre : L'échange, deuxième version (en préparation)
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