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LA MACHINE INFERNALE
de Jean Cocteau p.1-
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L'affaire d'Oedipe,
on en parle encore.
Quel génie avaient-ils donc, ces Grecs,
nos Anciens, pour nous avoir donné d'emblée les mythes dont se nourrit toujours notre
pensée? Sans cesse, renaît sous un éclairage neuf ce qui semblait avoir été dit de
façon définitive par les grands Tragiques de l'Athènes du V° siècle (avant J.C.)
Inlassablement, chaque époque ajuste à sa
sensibilité leurs fables inépuisables: noblesse et passion de notre période classique,
raisonnement et politique de l'âge des lumières, paroxysmes romantiques du XIX°
siècle, pour en arriver aux multiples avatars de l'ère contemporaine.
La trouvaille commune aux dramaturges d'aujourd'hui est une
réactualisation qui, enlevant aux protagonistes les ornements de leur antique dignité,
les présente comme de simples gens tels que nous en rencontrons tous les jours, et nous
permet d'accéder directement à leurs soucis.
Mais il en faut davantage pour soutenir l'intérêt d'une
aventure connue de tous. Ainsi, nous avons vu Jean Giraudoux poser durement dans Electre
les conséquence d'une exigeance absolue de vérité, et chez Jean Anouilh, la grande
Antigone sophocléenne s'humaniser en une pauvre enfant agressive et mal dans sa peau.
Ici, que va tirer Jean Cocteau du drame
d'Oedipe, ce cheval de bataille de la psychanalyse? D'abord, un titre, et qui
n'est pas si mal!
LA MACHINE
INFERNALE ...
Nous y sentons à la fois la férocité inconsciente d'un
objet, qu'on ne peut ni convaincre ni arrêter, et une menace d'autant plus effrayante
qu'elle émane d'une force invisible née des ténèbres et de la malfaisance. Comme nous
l'annonce l'auteur: "une des plus parfaites machines
construites par les dieux infernaux pour l'anéantissement mathématique d'un
mortel".
Est-il nécessaire de rappeler que les Dieux Infernaux
sont, dans la mythologie gréco-latine, les dieux du monde souterrain où descendent tous
les morts (les bons comme les méchants)? Ils n'étaient pas particulièrement mauvais, et
s'ils faisaient peur, ce n'était pas comme le Diable, tortionnaire des damnés dans
l'Enfer chrétien, mais comme les maîtres d'un au-delà triste et désincarné, sans
vraie lumière, ni vie réelle. Sans s'embarrasser de trop de précision mythologique,
Cocteau réunit ici les connotations les plus angoissantes du mot.
(notons cette liberté de l'auteur, qui lui permet de choisir à son gré dans les
différentes traditions ce qui illustre le plus efficacement son propos).
Comment se présente cette
Machine Infernale?
Elle comporte un court prologue suivi de quatre actes. Les
trois premiers sont de longueur sensiblement égale, tandis que le dernier n'est que la
moitié des précédents.
Comment fonctionne cette
Machine Infernale?
Au Prologue,
,
La Voix, qui fut celle de Cocteau lui-même lors de la
création, en avril 1934, nous révèle ce que nous pouvons ici nous permettre d'appeler
tous les rouages (le poète, nous le savons, est par vocation un prophète, celui
qui ouvre les yeux des hommes et leur enseigne des choses cachées).
Il y a d'abord, l'oracle d'Apollon,
annoncé
-
-aux parents, en deux affirmations au futur, sèchement
juxtaposées:
"Il tuera son père. Il épousera sa
mère".
-
-à leur fils devenu homme, d'une façon presque identique,
mais où le tutoiement, le mot assassiner et la coordination sonnent comme une accusation
anticipée :
"tu assassineras ton père et tu épouseras ta mère".
Ensuite, les parades croisées des
parents et de leur fils, qui ramèneront celui qu'on avait éloigné vers les victimes
qu'il fuit.
Puis le hasard et l'ignorance, qui
entretiendront les illusions.
-
-Le fils du roi de Thèbes, adopté par le roi de Corinthe,
se croit son fils, il se soucie donc peu du vieillard inconnu qu'il tue involontairement
au cours d'une querelle de circulation.
-
-La ville dont il obtient la royauté en épousant sa reine
lui est totalement étrangère.
-
-Cette reine, d'ailleurs, a de bonnes raisons de penser que
son fils est mort depuis longtemps.
Mais aussi des preuves et d'éventuels
témoins qui pourront un jour ou l'autre éclairer la mère et le fils:
-
-le nom même d'Oedipe qui fut donné à l'enfant à cause
de ses "pieds enflés", et que justifient encore les cicatrices de ses pieds
mutilés..
-
-le serviteur des princes de Corinthe qui a trouvé l'enfant
et sait bien qu'il n'est pas du sang royal.
-
-le lieu, connu de tous les thébains, où le roi Laïus a
trouvé la mort ( le carrefour où se croisent les routes de Delphes et de
Daulie).
Dans ce court prologue, nous voyons en
accéléré, par une suite de courtes phrases au présent, se dérouler tout le
destin d'Oedipe, c'est à dire d'un mortel dont se jouent les dieux (car il
faut, nous dit-on, "que les dieux s'amusent beaucoup").
Sans cesse présents, ils agissent de façon à mener leurs
proies où ils veulent. En effet, ce sont les dieux:
-
-qui inventent l'oracle pour que celui-ci, loin de
les prémunir contre le parricide et l'inceste, pousse victimes et bourreau les uns vers
les autres.
-
-qui envoient "le fléau
du sphinx" sans lequel Oedipe n'aurait pas songé à Jocaste.
-
-qui "compliquent...
les
noces monstrueuses" par des "années...prospères" et une
belle descendance.
-
-qui, au moment qui leur convient, font que "la peste éclate", alors, ils
"accusent un criminel anonyme... et exigent qu'on le chasse".
Grâce aux preuves et aux témoignages, "Lumière est faite. Avec son écharpe rouge, Jocaste se pend. Avec la
broche d'or de sa femme pendue, Oedipe se crève les yeux."
Puisque vous êtes dans le secret des dieux, vous avez sans
doute remarqué ces quelques mots-clés, ne les oubliez pas, vous les retrouverez souvent
au cours de la représentation: "Lumière est faite. Avec son écharpe
rouge, Jocaste se pend. Avec la broche d'or de sa femme pendue, Oedipe se
crève les yeux".
Précisons aussi que le mot sphinx appartient à une
racine grecque qui signifie étrangler.
Dans ce Prologue, la Voix nous a tout dit! Nous connaissons
la programmation complète, à quoi bon, nous attarder à la représentation?
Et si, justement, maintenant que nous savons
tout, il s'agissait de voir comment Cocteau réussit à "faire passer"
cette histoire énorme?
Il va, évidemment, exploiter les immenses
possibilités psychologiques, ou psychanalytiques du thème, mais ce n'est pas
l'essentiel de son propos.
Rendre sensible sur une scène parisienne l'intrusion des dieux
dans notre monde rationnel, voilà une gageure passionnante, et c'est ça, le pari que
tente l'auteur sur le thème oedipéen. Là se trouve la grande originalité de la pièce. A présent, voyons ce qui se passe dans la suite de nos quatre
actes.
-Nous prendrons d'abord la pièce au premier degré, pour voir le
scénario adopté par l'auteur.
-Au second degré, nous chercherons à mettre en valeur l'aspect psychologique.
-Au troisième degré, nous découvrirons l'approche du mystère, "l'intrusion des
dieux", disions-nous.
-Au quatrième degré...
QUE VA-T-ON
REPRÉSENTER SUR
LA SCÈNE?
Alors que Sophocle prend son récit au moment où la chance
tourne et va s'acharner sur Oedipe, roi respecté et aimé de son peuple, époux heureux,
père comblé par quatre beaux enfants, Cocteau part de plus loin,
il montre le héros avant sa réussite et se risque dans les épisodes les plus délicats
de sa légende:
-
Le premier, la victoire sur le sphinx, n'est pas crédible
pour des esprits rationnels.
-
Le second, les noces incestueuses, choque profondément la
morale.
-
Ils gênent, et c'est sans doute pour cette raison que le
tragique grec n'y fait que de brèves allusions.

Le quotidien, plus accessible à nos
mentalités.
La démarche différente de
Cocteau nous permettra peut-être, lorsqu'au dernier acte arriveront la révélation et la
punition, d'y être mieux préparés que chez Sophocle, où le châtiment, s'abattant sur
un prince vertueux, semble plus injuste et révoltant.
Comme souvent sur le théâtre contemporain, nous y
perdrons probablement en grandeur ce que nous gagnerons en simple
humanité..
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la pièce, les 4 actes
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