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les personnages  
LA MACHINE INFERNALE de Jean Cocteau.
  p.3 - les personnages- Qui voyons-nous sur scène?

Rubrique http://www.philagora.net/auteurs/cocteau.htm

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Le second degré est, disions-nous, celui des personnages. Les plus simples assurent l'actualisation, ils donnent à la pièce un côté familier, ce sont les soldats, la mère et son enfant, l'ivrogne. Nous observerons aussi, dans ce registre, certaines attitudes de Jocaste et d'Oedipe.
Viennent ensuite les protagonistes, ceux entre qui se joue l'action, Oedipe, Jocaste et, plus accessoirement, Tirésias.
Ceux qui suggèrent un ailleurs, Laïus et le Sphinx avec, comme repoussoir parce qu'il est imperméable à ce monde insaisissable, Créon, auront leur place au troisième degré.

DES GENS DE TOUS LES JOURS.

L'actualisation doit donner l'impression du vrai, elle nous permet de garder les pieds sur terre dans une histoire surréaliste, surtout pour ses deux premiers épisodes, et c'est effectivement dans l'acte du fantôme et dans celui du sphinx qu'apparaissent nos braves gens (sauf l'ivrogne). La nuit de noces et le dénouement de l'énigme policière, qui constituent la suite de la pièce, ont en eux-mêmes assez de réalité pour s'imposer à nous.

Les deux soldats ont les points de vue de leur âge et de leur condition.

  • Le plus jeune ne supporte pas son inaction, il brûle de faire quelque chose et c'est lui qui décide de divulguer les visites du fantôme, il est naïf et rêveur, dans son esprit, la reine est une jeune femme, le Sphinx doit être accueillant aux jeunes hommes.

  • Son camarade a perdu cette fougue, il mesure les risques d'une entreprise et se moque de la témérité de son collègue qui veut affronter le monstre, il le dissuade de transmettre à la reine le message de son mari, il prend garde à ses paroles en s'adressant à son chef.

  • Il a ses idées sur les Grands et sait que leur caprice peut changer une destinée, positivement ou négativement.

  • Il donne les opinions de l'homme de la rue sur la reine: une étrangère un peu folle qu'on n'aime pas vraiment, et sur les personnages en place, le prêtre Tirésias, le prince Créon: des malins qui s'arrangent entre eux pour gruger le pauvre monde.

(Notons, nous y reviendrons peut-être, que ce sont eux, de simples soldats, qui voient et entendent le fantôme, alors qu'aucun des gens de pouvoir n'y parvient).

sphinx.jpg (6264 octets) La matrone, qui s'est attardée avec son enfant à une fête campagnarde et se hâte maintenant de regagner la ville, outre qu'elle rend présente l'angoisse inspirée par le Sphinx, engage un dialogue très simple avec le monstre, dont nous découvrons ainsi la sensibilité.
Après avoir donné des avertissements maternels à celle qu'elle prend pour une jeune fille, elle lui dit ses préoccupations, ses chagrins, les discussions acharnées de ses grands fils sur la conduite à tenir face au fléau, elle se remémore avec une précision poignante le sort tragique de son aîné, "mort au Sphinx", elle raconte ses histoires de bonne femme et ses croyances naïves. 

  • Par elle, nous connaissons l'insatisfaction générale des thébains , sur la vie chère, les violences, les désordres, les intrigues de la police, des prêtres, du prince. "Il nous faudrait un chef qui tombe du ciel, qui l'épouse (la reine), qui tue la bête, qui punisse les trafics, qui boucle Créon et Tirésias, qui remonte le moral du peuple, qui l'aime, qui nous sauve, quoi! qui nous sauve!" Il y a vraiment une place à prendre!

  • Pas un instant, cette bavarde n'imagine qu'elle a devant elle la cause de ses maux. C'est le petit garçon qui, tout ingénument, pose la question: "Maman, dis, c'est cette dame, le Sphinx?" ...et il se fait rabrouer par sa grande personne de mère!

Nous avons déjà dit un mot de l'ivrogne, dont la chanson termine la scène des noces. Comme les soldats, comme l'enfant, il voit les choses de façon simple et directe. Il a, de plus, cette curieuse dignité de celui qui est au-dessus des contingences et qui se sent de plain-pied avec tout le monde (vous rappelez-vous le Mendiant, dans Electre?).
Sa courte intervention a une saveur incroyable: "Ho! tiens un mort!...Pardon excuse: c'est un soldat endormi... salut, militaire, salut à l'armée endormie... La politique... c'est une honte... Je dirais à la reine: "madame, un junior ne vous convient pas... prenez un mari sérieux, sobre, solide... un mari comme moi"...Salut à l'armée réveillée.." Cocteau, dont je plaisantais les efforts pour faire populaire, a réussi là un joli petit morceau. 

En somme, ces gens du peuple, pourvus d'un bon sens élémentaire et en même temps nourris de vieilles croyances qui les gardent accessibles au surnaturel, sont encore les héritiers, sur un mode simplifié, des grands chœurs de la tragédie antique.

Pourquoi, direz-vous peut-être, ne pas nous parler aussi du messager et du vieux berger qui amènent le dénouement: des gens de la campagne, voilà qui complèterait parfaitement notre collection!
Si vous voulez!
Sautons jusqu'au quatrième acte, écoutons-les parler:..."si j'osais...votre indifférence n'est pas de l'indifférence. Je peux vous éclairer sur elle"..."Princes, que ne suis-je mort afin de ne pas vivre cette minute!...hélas!..."
Sentez-vous le soin qu'ils prennent en s'exprimant, à ménager à la fois l'importance de leurs interlocuteurs et celle des choses qu'ils ont à révéler? Ils ont le ton noble et émouvant qui convient à la tragédie. Ici, et ce n'est pas une critique, au contraire, nous renouons avec la grande tradition classique, celle qui en effet convient à l'exceptionnelle gravité de la situation. Cocteau ne s'y est pas trompé, en renonçant ici au pittoresque facile du quotidien pour laisser toute la place à l'horreur sacrée.

Oedipe, en revanche, se maintiendra dans le registre de la comédie de boulevards, tant qu'il n'aura pas senti, ou voulu sentir l'étendue de son malheur.

LES PROTAGONISTES.

Ils sont engagés malgré eux dans une terrible histoire. Malgré eux? C'est à voir! Examinons le cas de chacun, de Jocaste, d'Oedipe, et de leur témoin, Tirésias. JOCASTE
Dès le premier contact, elle est femme d'une façon presque caricaturale. (oserai-je insinuer qu'en la peignant ainsi, Cocteau ne montre pas une admiration inconditionnelle pour le beau sexe? Ceci est une autre histoire, et pourtant...)
Avant même de la voir, nous entendons ses exclamations: "Encore un escalier! Je déteste les escaliers! Pourquoi tous ces escaliers? On n'y voit rien! Où sommes-nous?"
Le ton , vif et un peu agressif, n'a rien de royal, ni la désinvolture avec laquelle est traité le très digne devin confident (précisons toutefois que le curieux surnom dont il est affublé était, il y a soixante ans, absolument neutre).

Les réactions de cette reine, qui se rebiffe contre des obligations ennuyeuses, qui préfère un jeune et beau seconde classe à un vieux gradé distingué, qui aimerait voir ce qui se passe dans les mauvais lieux, qui réclame de s'amuser ...sont très féminines. Nous pourrions aussi bien les trouver dans un vaudeville, mais une double infamie, celle de l'infanticide et celle de l'inceste, est attachée au personnage. Comment est-ce possible?

Envisageons d'abord, l'infanticide

Qu'a-t-elle fait?
Écoutons la Voix du Prologue:

  • "Il tuera son père. Il épousera sa mère." Pour déjouer cet oracle d'Apollon, Jocaste, reine de Thèbes, abandonne son fils, les pieds troués et liés, sur la montagne."

  • Ainsi, elle seule agit, on peut même se demander si le père a eu connaissance de l'oracle et s'il a vu son enfant (nous apprendrons au dernier acte qu’elle avait chargé un berger de faire les choses à sa place). Les aveux que, sous le couvert d'une lingère, ou plutôt de sa sœur de lait -une autre elle-même, en quelque sorte- lui arrache la vue des cicatrices de son jeune époux à l'acte III nous éclairent:

  • Le mari n'est pas en cause, puisqu'à la question d'Oedipe sur son attitude, Jocaste répond: "Tous crurent que l'enfant était mort de mort naturelle et que la mère l'avait enterré de ses propres mains".

La raison du crime, voici comment elle l'exprime: "les oracles prédirent à l'enfant un avenir tellement atroce qu'après avoir accouché d'un fils, elle n'eut pas le courage de le laisser vivre".

S'agissait-il dans son esprit, de l'avenir de son enfant, de celui de son mari, du sien?

Elle ne devait pas songer à l'enfant pour lui-même puisqu'elle lui laissait peu de chance de survivre. En effet, non contente de l'éloigner,"elle troua les pieds du nourrisson, les lia, le porta en cachette sur une montagne, l'abandonnant aux louves et aux ours".
Du mari, elle se souciait médiocrement
, car, dit-elle parlant de la jeune femme: "elle vénérait son mari malgré la grande différence d'âge", ce qui correspond aux sentiments manifestés par Jocaste pour son vieil époux défunt, une sorte d'affection, qui peut vite conduire au désintérêt et à l'oubli. , car, dit-elle parlant de la jeune femme: "elle vénérait son mari malgré la grande différence d'âge", ce qui correspond aux sentiments manifestés par Jocaste pour son vieil époux défunt, une sorte d'affection, qui peut vite conduire au désintérêt et à l'oubli.

Dans cette affaire où il semble évident qu'elle n'a consulté qu'elle-même, n'a-t-elle pensé qu'à elle?
Ou bien a-t-elle voulu par générosité, assumer en silence la vilaine besogne pour épargner les siens?
Ou encore, a-elle agi par impulsion et sans réfléchir à la gravité de son geste?

La suite nous permettra peut-être de le discerner. En tout cas, elle a fait preuve d'une grande détermination: "imagine la force qu'il faut à un malheureuse pour supprimer...".

A-t-elle des excuses?

Objectivement, il y a la jeunesse, dix huit ans, et la crainte de l'oracle, "une femme se trouve si stupide, si faible en face d'eux".

Jocaste, pour défendre "sa sœur de lait", présente les circonstances de façon aussi pitoyables qu'elle le peut: "tâche de te mettre à la place d'une gamine, crédule aux présages et qui plus est, grosse, éreintée, écœurée, chambrée, épouvantée par les prêtres..."

Pour des raisons différentes, elle ne convainc personne, ni Oedipe qui n'a pas peur des oracles et ne connaît rien aux femmes, ni nous, parce que, nous venons de l'observer, commettre toute seule ce crime presque parfait montre une personne qui savait s'organiser et parce que nous pensons qu'elle invente la prétendue pression exercée par les prêtres sur la jeune mère. En effet, le seul qui aurait pu connaître l'oracle, à cause de son intimité avec le couple, c'est Tirésias, et il vient de dire lui-même à Oedipe qu'il ignore ce qui va exactement se passer, il n'avait donc pas été mis au courant autrefois.

A-t-elle des remords?

- Devant la réprobation de son nouvel époux, elle affiche la plus grande horreur pour cet acte: "supprimer la vie de sa vie, le fils de son ventre, son idéal sur terre, l'amour de ses amours". Elle en rajoute peut-être un peu, mais il est sûr que ce souvenir la poursuit, c'est "quelque chose que j'essaie toujours d'oublier".
- Elle garde auprès d'elle le berceau de l'enfant, elle s'attendrit devant un contemporain de ce fils, dont elle rêve: "si j'avais un fils, il serait beau, il serait brave... il reviendrait vainqueur". "Il aurait dix neuf ans, Tirésias, dix neuf ans!" Elle conserve comme une blessure au fond de son cœur la place laissée vide et, instinctivement, elle retrouvera les gestes maternels qu'elle n'a pas pu prodiguer à son bébé. .
- Elle a des regrets, oui, sans peut-être avoir de remords.
Mais face à Oedipe dont elle tient à conserver l'amour à tout prix, elle éprouve une honte qui l'empêche d'assumer sa responsabilité, l'oblige à un demi silence et lui fait taire une révélation capitale: le contenu de l'oracle.

Ces silences de Jocaste, dont nous avons déjà parlé, à propos du dernier acte, pèseront lourd dans la destinée du couple.

-Dans l'affaire de l'inceste, Jocaste est-elle coupable, consciemment coupable?
-Son caractère la prédisposait-il à cela ?

Observons-la.  Avant la venue d'Oedipe.

Nous voyons une femme qui parle à tort et à travers, s'impatiente de tout, énonce des ordres impossibles. Elle ne dort pas , ou plutôt, elle craint le sommeil, qui lui apporte d'horribles cauchemars, "le Sphinx, le meurtre de Laïus m'ont mis les nerfs à bout", dit-elle. Elle vit, en effet, avec l'assassinat de son mari et l'apparition d'un monstre dévastateur à l'entrée de sa cité, des moments terriblement éprouvants. Sa fébrilité se justifierait parfaitement. Regardons-y de plus près.
Du Sphinx, elle ne parle que dans le passage cité à l'instant, et pour se faire plaindre, sans paraître soucieuse à aucun moment du malheur de ses sujets, ce n'est donc pas ce problème qui l'empêche de dormir.
Quant à son récent veuvage, elle le ressent surtout comme une contrainte. Au rappel de Tirésias: "Vous portez le deuil de Laïus", elle réplique vivement: "tous sont en deuil... et ils dansent, et je ne danse pas. C'est trop injuste..."

Il est vrai qu'elle tient beaucoup à rencontrer ce qu'on dit être le fantôme de son époux, mais Tirésias qui la connaît bien n'a pas tout à fait tort d'appeler sa démarche une "escapade", ce bon prétexte lui permet de sortir, et comme nul revenant ne se montre, elle concentre son intérêt sur le joli soldat. Elle imagine ensuite de "revenir par la ville haute, par les petites rues, et nous visiterons les boîtes".

Nous n'avons pas devant nous une veuve accablée de sa perte, mais une femme curieuse, fantasque, capricieuse, qui veut vivre, refuse les obligations de son titre de reine et n'en accepte que les prérogatives.

Encore que, là-dessus, les avis soient partagés: "La reine Jocaste est encore jeune, de loin, on lui donnerait vingt-neuf, trente ans", évalue la thébaine, "cette matrone", s'étonne le petit soldat sans l'avoir reconnue, elle se sent jeune (la présence d'un vieillard à ses côtés le lui avait sans doute interdit jusqu'alors).

Avec plus d'aplomb qu'une gamine délurée, elle ne cache pas combien le garde lui plaît. Non contente de le manger des yeux et de s'exclamer tout haut, "il est beau!...il est beau!..." elle le tâte et le fait tâter sans retenue, se moquant de sa gêne, "n'aie pas peur...le papa est aveugle. Dieu sait ce qu'il imagine, le pauvre, il est tout rouge!"

Ce petit jeune homme la trouble profondément: "lorsque j'ai touché le corps de ce garde... j'ai failli m'évanouir. Il aurait dix neuf ans..." ("il ", c'est son fils). Pulsion érotique et tendresse maternelle se confondent dans son émotion.

Spontanément, comme si la parole de l'oracle avait lentement germé en elle, Jocaste lance l'idée de l'inceste: "Est-il plus doux ménage, ménage plus doux et plus cruel, ménage plus fier de soi que ce couple d'un fils et d'une mère jeune?"
Nous avons donc une femme ardente que n'embarrassent pas les préjugés, une femme en attente qui ne laissera pas passer ses chances de bonheur. Tirésias, qui a pour sa "colombe" une tendresse de grand-père, la voit, lui, "faible, crédule, romanesque"...

Quoi qu'il en soit, il y a dans la vie de Jocaste comme dans sa cité, une place à prendre.

Quand arrive Oedipe, auréolé de son double titre de vainqueur et de sauveur, Elle l'accepte sans réserve, heureuse, certainement, de donner sa personne en récompense à un jeune et beau garçon. Il faut cependant reconnaître que cette reine prend des risques extraordinaires en épousant un inconnu, un "aventurier", disent certains, et qui plus est, un garçon qui a la moitié de son âge. Si le peuple de Thèbes accepte avec enthousiasme son libérateur, ce mariage la disqualifie dans bien des esprits, "noces extravagantes", dira Tirésias, tandis que le pochard se dit: "et pourquoi pas moi!". Mais elle est au-dessus du qu'en dira-t-on., auréolé de son double titre de vainqueur et de sauveur, Elle l'accepte sans réserve, heureuse, certainement, de donner sa personne en récompense à un jeune et beau garçon. Il faut cependant reconnaître que cette reine prend des risques extraordinaires en épousant un inconnu, un "aventurier", disent certains, et qui plus est, un garçon qui a la moitié de son âge. Si le peuple de Thèbes accepte avec enthousiasme son libérateur, ce mariage la disqualifie dans bien des esprits, "noces extravagantes", dira Tirésias, tandis que le pochard se dit: "et pourquoi pas moi!". Mais elle est au-dessus du qu'en dira-t-on.

Observons-la au troisième acte, à la nuit de noces.

Jocaste admire Oedipe, c'est son héros, celui qui en délivrant sa ville, la libère: "Il était temps que tu viennes, je n'en peux plus". Il lui apporte la promesse d'un bonheur juvénile qu'elle n'a pas connu avec Laïus. Tout de suite, elle est amoureuse: "mon roi, mon amour".

Extasiée, soumise, elle craint par dessus tout de le voir contrarié, "j'ai peur que cette chambre te devienne une prison", "veux-tu que j'ôte le berceau,", "écoute, mon garçon chéri, tu vas te fâcher..." , "ne me gronde pas"..."mon chéri, ne te vexe pas. Tu m'en veux?" Nous sommes loin de la princesse qui tyrannisait tout le monde au premier acte, l'amour l'a transformée.

Son obsession, c'est sa différence d'âge avec son mari, et le vieillissement qui la guette. Le plus habile serait de n'en rien dire, mais la malheureuse y revient sans cesse: "Il a dû te démontrer que tu étais trop jeune pour moi... Que j'étais vieille"..."Suis-je donc si vieille... si vieille?" (elle pleure)..."Voilà l'âge et ses tours!"... "Jeune! Oedipe... il ne faut pas de mensonges"..."Je somnole comme une grand'mère au coin du feu"......"Je suis trop vieille. Tirésias avait raison"... "J'irai aussi jeter un coup d'oeil au miroir. Voulez-vous embrasser une mégère?"

Apercevant le soldat rencontré sur les remparts, elle a un charmant mouvement de coquetterie: "J'aimerais te rendre jaloux", mais son tourment la reprend aussitôt et elle ne peut s'empêcher de dire bien maladroitement à Oedipe que ce garde l'a émue parce qu'il lui ressemblait, ou plutôt, corrige-t-elle, parce que son "fils aurait presque son âge".

Lorsqu'elle entend l'ivrogne chansonner, elle prend soin qu'Oedipe ne l'entende pas et le visage contre le miroir vide, se remonte les joues à pleines mains. Quel pathétique dans ce moment où elle découvre la distance périlleuse qui sépare ses rêves de la réalité!

- Sans l'avouer, elle sait bien qu'elle pourrait être la mère d'Oedipe. Et, nous l'annoncions, elle retrouve pour lui des gestes et un langage maternels: "mon petit fou"..."mon garçon chéri"..."c'est le marchand de sable,comme disent les petits"..."mon petit, c'est moi"..."là, là, c'est fini!"... "quelle était cette méchante dame?"..."Je t'ai laissé t'endormir avec ces étoffes lourdes, ces colliers d'or"..."Allons! quel gros bébé!" (Elle le soulève, lui ôte sa tunique et le frotte... Elle le déchausse)... "ta petite figure furieuse"..."Tu es un enfant"..."Là, là, sois sage..."
- Comprend-elle qu'elle est la mère d'Oedipe? Les affreuses cicatrices qui la bouleversent et la similitude d'âge sont des coïncidences qui devraient l'éclairer, mais elle ne veut pas être éclairée. Elle va donc éviter les sujets délicats, monter la garde contre ses rêves dont elle craint les révélations et mener le jeu ambigu de la mère-amante. . Et, nous l'annoncions, elle retrouve pour lui des gestes et un langage maternels: "mon petit fou"..."mon garçon chéri"..."c'est le marchand de sable,comme disent les petits"..."mon petit, c'est moi"..."là, là, c'est fini!"... "quelle était cette méchante dame?"..."Je t'ai laissé t'endormir avec ces étoffes lourdes, ces colliers d'or"..."Allons! quel gros bébé!" (Elle le soulève, lui ôte sa tunique et le frotte... Elle le déchausse)... "ta petite figure furieuse"..."Tu es un enfant"..."Là, là, sois sage..."
- Comprend-elle qu'elle est la mère d'Oedipe? Les affreuses cicatrices qui la bouleversent et la similitude d'âge sont des coïncidences qui devraient l'éclairer, mais elle ne veut pas être éclairée. Elle va donc éviter les sujets délicats, monter la garde contre ses rêves dont elle craint les révélations et mener le jeu ambigu de la mère-amante.

Délicieusement ambigu? Je l'avais écrit tout d'abord, mais je l'efface: le silence de Jocaste au soir de ses noces sera trop chèrement payé. Combien de fois, au cours de ces dix sept années de vie conjugale aura-t-elle à serrer les dents pour garder la ligne de conduite où elle est engagée? Combien de fois tremblera-t-elle, avant le coup final, d'entendre ce qu'elle ne veut pas envisager lucidement?

Elle a caché sa responsabilité dans l'infanticide par honte devant Oedipe, pour éviter des questions qui la mettaient mal à l'aise et peut-être des recoupements dangereux. Elle s'est tue spontanément, pour protéger son bonheur et celui de son bien-aimé, assumant seule un secret très lourd. Comprenait-elle la gravité du risque? je ne sais pas, mais nous voici à l'heure de vérité: au Quatrième Acte.

Comment réagit Jocaste?

L'annonce de la mort de Polybe, père de son mari, lui permet d'entendre sans s'émouvoir outre mesure la prédiction symétrique de la sienne faite à Oedipe, "je serais son assassin et l'époux de ma mère", puisque, de toute évidence, il n'a pas tué son père et, corollairement, n'a pas épousé sa mère, qui est la reine Mérope.

Mais si ensuite, la découverte de l'adoption d'Oedipe par ce couple remet seulement en cause pour les autres le problème de son origine, en revanche, elle réveille chez Jocaste un terrible doute. Pourtant, elle espère encore, et elle essaie de couper court à de nouvelles révélations en mettant son mari en garde: "tu t'exaltes... tu t'exaltes... tu crois tout ce qu'on te raconte et après..."

L'explication des cicatrices, elle la pressentait depuis le premier soir, la voici maintenant, elle lui fait mal, mais elle fera plus de mal encore à celui qu'elle aime et qu'elle veut protéger: "Oedipe, Oedipe... remonte (= dans le temps) ... on croirait que tu aimes fouiller tes plaies avec un couteau".

Tout s'effondre lorsqu'elle apprend que le vieux roi Laïus a été tué par Oedipe: "Au carrefour de Daulie et de Delphes!... (elle disparaît comme on se noie).

Laissant encore à Oedipe un sursis d'illusion, elle va se pendre dans le silence de sa chambre, cette chambre "rouge comme une petite boucherie", qui bientôt sera de la couleur du sang de son mari. Silence du chagrin, silence de la honte, silence du désespoir d'avoir perdu son fils, son époux, Oedipe, son unique bien-aimé.

En mourant, elle fait disparaître la cause de la faute.
Pense-t-elle ainsi le sauver?

     Aller à Oedipe: mais, qui est-il?

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