"Un poète ne
fait guère que développer un dessein préétabli".
Paul Claudel.
Gilbert Gadoffre commente dans l'article de l'Encyclopédia
Universalis, tome IV, page 1210: "Ce dessein qui
transparaît dans toute l'œuvre, n'est autre ici, que la
conquête du monde par l'homme et son intelligence". |
Le problème jaillit souvent d'un calcul déçu: on s'attendait à
"imaginer" et dès le début notre sujet fait référence
à la pensée dont l'essence est la liberté, grâce à laquelle le
sujet se place sous le regard de tous et utilise sa raison en
s'efforçant d'être à la fois rationnel et raisonnable: en effet
un simple discours rationnel ne sera pas nécessairement accepté
par tous, surtout si on cherche à l'appliquer à l'homme, être
raisonnable sensiblement affecté, doué d'un "je peux"
qui lui assure l'exercice de la liberté.
Au lieu de se décourager devant un tel sujet, commençons par le
tableau de définitions qui nous orientera vers la problématique
Penser |
Par
la pensée je m'élève à l'absolu(Hegel), à ce qui a sa
raison d'être en soi, ce qui porte en soi sa propre valeur. Par là elle
dépasse nécessairement le monde de la connaissance, le monde de ce qui
est donné à la sensibilité, et accède à un monde autre que celui dans
lequel nous vivons. C'est un risque que prend la pensée , qui la sépare
de la passion et dans lequel elle s'oriente vers des Idées.
|
nécessairement |
Est nécessaire ce qui ne
peut pas ne pas être: le terme s'oppose à contingent , qui
aurait pu être autre. L'adverbe signifie donc dans tous les cas,
sans aucune exception.
|
Disqualifier |
A la lettre ce verbe signifie frapper
de discrédit, diminuer le crédit de et donc la confiance en ... En
quelque sorte, enlever de la valeur, maudire: ce qui est
disqualifié n'est plus dans la course, il devient inutile, il ne concerne
pas ce qui importe et ce qui importe pour un vivant c'est la vie, la vraie
vie qui est absente d'un monde, ce qui amène à le disqualifier.
|
Celui |
Désigne le monde dans lequel nous
vivons, ce monde qui nous apparaît dans un milieu d'extériorité:
"Tout ce qui se montre et devient visible en lui se montre comme
extérieur, comme autre que nous, comme différent de nous."
"L'apparaître du monde n'est indifférent à tout que ... parce
qu'il est incapable de poser son existence." Michel Henry.
Autant dire qu'un tel monde est celui de la distance, de l'indifférence,
de la séparation, d'un jeu de masques - "Voix d'autrui, des
lointains dans des brouillards." Verlaine-
|
Dans lequel |
C'est comme une prison, un bocal. |
=Pour
la problématique:
Le point de départ est donc le verbe penser:
il ne s'agit pas d'imaginer simplement une sorte d'anti-monde dans
lequel on mettrait le contraire de ce qui nous fait souffrir, un peu
comme Baudelaire qui rêve d'un autre monde de fidélité, de désir
calme (!), de luxe, dans un pays qui lui ressemblerait, à lui et à
celle qu'il aime, dans lequel rien ne le heurterait ... Un monde où
le sensible et l'intelligible, la nature et la raison, seraient
réconciliées, l'union des contraires. Il s'agit bien plutôt
d'utiliser la raison pour produire l'Idée d'un autre monde
organisé rationnellement et raisonnablement.
Si la problématique va dégager un problème qui plonge dans
l'embarras, c'est que d'une part cet autre monde sera le meilleur
des mondes et que il sera impossible , non seulement de ne pas le
préférer au monde dans lequel nous vivons , mais aussi et surtout
de ne pas dévaloriser ce en quoi nous semblons enfermés: et que,
d'autres part , cette disqualification amène l'espoir dans une
autre vie ailleurs et semble orienter vers la mort
(souhaitable).Cela sert-il à quelque chose de fermer les yeux pour
ne pas voir et l'illusion ne consiste t-elle pas à croire qu'on
voit mieux dans la cécité?
=Pour
la recherche des idées et du plan:
1)
Demandons-nous ce que peut désigner un autre monde.
- Le monde du théâtre ou selon le vœux de Mallarmé dans "Divagations",
la vraie vie serait représentée en attendant qu'elle soit vécue:
ce vœux, Paul Claudel le réalise dès le début de son oeuvre en
particulier dans L'échange. Il s'agit de libérer l'échange
dans le dialogue, de fonder l'échange sur le travail bien fait, et
puisque l'homme est un nœud de relations de montrer à quelles
conditions la communication peut devenir ce qui s'échange dans
l'authenticité et le refus des masques. http://www.philagora.net/claudel/claudel2.htm
Il
s'agit de méditer sur la création à l'œuvre dans le monde dans
lequel nous vivons.
- Ce peut être aussi un monde après la vie, un monde qui
désespère la vie et dévalorise la terre. "Rester fidèle à
la terre" répète Nietzsche et , en écho, Albert Camus dans Noces.
- Ce peut être un monde meilleur, rendu meilleur par l'action des
hommes dans l'histoire, un peu comme le démiurge de Platon qui
crée les yeux fixés sur un modèle, avec tous les risques pour la
liberté sans laquelle la vie ne vaut pas la peine d'être vécue.
(Voir La République de Platon).
- Ce peut être L'Utopie selon l'œuvre de Thomas More ou le Phalanstère
de Fourrier.
- ...
2)
Pour quelles raisons les accusent-on de disqualifier le monde dans
lequel nous vivons?
- En quoi y aurait-il un refus du devenir réel des hommes?
- Serait-ce des mythes? (l'âge d'or ..) des sortes de refuges pour
la belle âme qui refuse d'agir (voir de Sartre, Les mains sales)
- Bien entendu, l'absolu disqualifie toujours le relatif mais ce qui
est présenté comme une oeuvre de la pensée n'est-ce pas en
réalité une oeuvre de l'imagination, qui étend la mesure du
possible (Rousseau), et qui concilie aisément l'inconciliable: le
rationnel et le raisonnable, ce qui lui permet de discréditer
l'histoire et de la juger.
(Voir les critiques de Marx ou de Jonas, mais aussi celles de
Machiavel:tenir compte du monde dans lequel nous vivons , de ce qui
est et non de ce qui doit être).
3)
Pour quelles raisons penser un autre monde ne disqualifie pas
nécessairement le monde dans lequel nous vivons? Trois pistes:
- Se pourrait-il que le monde dans lequel nous vivons participe,
d'une manière ou d'une autre, au Beau, au Vrai, au Juste et à
travers ces trois éclats au Bien. Loin de disqualifier ce monde,
l'autre monde, celui des idées nous permettrait de comprendre que
le monde dans lequel nous vivons est animé par une aspiration:
serait-ce celle du désir qui porte l'infini en lui? Cet autre monde
"qualifierait" le monde dans lequel nous vivons, lui
donnerait le crédit que donne l'aspiration à la valeur. (voir
l'espérance)
- Voir le recueil de conférences de Marcuse, intitulé La fin
de l'utopie http://www.philagora.net/grenier/marcuse.htm
dans lequel cet excellent professeur montre que l'utopie loin de
disparaître est devenue possible. Loin de disqualifier le monde
dans lequel nous vivons, elle nous permet simplement de le
transformer à partir des valeurs positives qu'il incarne déjà
comme des esquisses.
- Bien distinguer l'espoir et l'espérance.
Évidemment l'espoir qui voit le présent à travers un futur rêvé,
le maudit, le disqualifie, le discrédite: il n'y a rien à en faire
et il ne reste qu'à attendre un autre monde ailleurs (voir Noces de
Camus).
L'espérance au contraire voit l'avenir à travers le présent, à
travers le monde dans lequel nous vivons et voit luire la
possibilité d'une amélioration comme des paillettes qu'il faut
rassembler.
Avec cette distinction n'est-il pas possible de trouver une solution
au problème et une réponse à la question posée: Penser un autre
monde ce n'est pas nécessairement disqualifier le monde
dans lequel nous vivons si on distingue l'espoir et l'espérance,
c'est à dire si on pense vraiment le monde dans lequel nous
vivons: nous obtenons alors un autre monde, un monde pensé.
=
Rappelons
que ce qui précède n'est qu'une esquisse, certainement pas un
corrigé, tout au plus une aide pour débuter, pour commencer à
penser par soi même avec les autres, et d'abord avec les grands
textes
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