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Electre de J. Giraudoux -Des complications
psychanalytiques - page 4
L'énorme haine qui meut Electre tout au long de la pièce
serait amplement justifiée par les torts d'Egisthe et de Clytemnestre, mais on ne les
connaît vraiment qu'à la fin. Cette haine préexistante doit donc s'expliquer par la
personnalité de la jeune fille. Nous savons ce qu'on disait d'elle avant son entrée en
scène: une fille impossible. Maintenant observons-la, et écoutons les remarques de ceux
qui vivent avec elle, sa mère en particulier.
Elle est absence c'est à dire
refus:
des autres, son esprit est ailleurs
"Electre n'est jamais plus absente que du lieu où elle est.
de la joie, on n'a "jamais vu sourire Electre"
de la féminité, elle n'est "pas inscrite à
l'association des femmes", ni dans leur "confrérie", elle refuse de leur
ressembler ou d'être leur complice.
de l'amour, elle prend peur devant l'inconnu jeune et beau
qu'Agathe veut substituer à son fiancé l'humble jardinier, et "se débattra
jusqu'à la mort". Elle présente comme un défi le "visage" de "la
chasteté", alors que, d'après sa mère c'est une "fille que rongent les
désirs". L'attente (du père à la guerre, puis du frère au loin) "bonheur
pour vierges" suffit à remplir son existence. En fait dans son ignorance, elle ne
croit pas à l'amour: à l'aveu brûlant de sa mère "j'aime!", elle répond
"tu n'aimes pas tu n'as jamais aimé".
Electre est absente de la vie.
Elle est absente parce qu'elle ne vit que d'absences, seuls semble-t-il le passé et le
futur l'intéressent. Fuit-elle le présent?
Elle
s'est consacrée au souvenir de son père, elle a choisi d'habiter dans la
chambre qui donne sur son tombeau et elle le visite chaque jour. Dans cette fidélité,
elle met une obstination qui est:
- insultante,
"ton deuil est une offense aux vivants"
irréaliste, il faudrait "rendre la vie
à un mort", "j'attends le passé, je l'attends encore"
choquante, "je suis la veuve de mon
père", elle le pleure "non comme une fille mais comme une épouse".
elle porte en effet à
Agamemnon un attachement passionné: "dix ans j'ai attendu mon père".
A son retour elle l'a guetté pour être la première à l'embrasser, dans ce baiser (le
dernier) elle a "pris la mesure de son amour" et la "force" qui la
soutient encore. Depuis huit ans elle recueille tout ce qui peut la renseigner sur lui. Le
mépris de son mari que crie Clytemnestre lui est insupportable "O mon père
pardon!" et elle est prête à oublier le crime d'Egisthe s'il punit cette injure
"tuez-la Egisthe et je vous pardonne".
Ses sentiments filiaux
vont
exclusivement à son père "j'aime tout ce qui dans ma naissance revient à mon
père" et bannissent totalement la mère "depuis longtemps je ne regarde plus
mon miroir que pour m'assurer de cette chance: "je ne te ressemble en rien",
"je ne suis pas ta petite Electre", "je ne peux supporter d'elle qu'elle
m'ait mise au monde. c'est là ma honte". Cet aveu rejoint et explique le refus de la
féminité que nous notions, car Electre dit aussi "sa maternité n'est qu'une
complicité", "tu as voulu que je sois femme pour me mettre dans ton camp".
De son côté le mendiant observe à propos de la querelle sur la chute du bébé Oreste
que clytemnestre, qui est un "ventre", privilégie les filles, les ventres, et a
dû retenir Electre au détriment du petit garçon, qui n'est qu'une "souche"
Le résultat de ce refus de la mère, ou plutôt de
Clytemnestre comme mère, c'est "cette haine qui gonfle et qui tue", "je
déteste ma mère", "ne parle pas d'elle".
Leurs relations sont très amères, ce ne sont que:
- "perfidies ou insinuations":
Clytemnestre "a déjà conduit une fille au supplice", Electre porte le
deuil de son père "à défaut d'autres".
contradiction: "Non, aujourd'hui, j'y
suis!"
mépris, "disparais"
comédie odieuse, celle de son mariage avec
Oreste, que sa mère n'a pas encore identifié. (notons qu'elle en profite pour rejeter
l'héritage génétique -venant de sa mère- en parlant de leur ressemblance
de frère et soeur, comme "de celle qui ne vient qu'aux vieux époux")
rancune "tu m'as tout volé dans la vie" (que de choses à dire
sur ce cri d'une jeune fille mal dans sa peau face à une mère comblée!)
Electre veut entraîner
Oreste dans cette suppression de la mère "imaginons que nous ayons
été enfantés sans mère", "nous sommes là à nous créer, à nous libérer
d'elle." A Clytemnestre intriguée par Oreste elle crie "il n'a jamais eu de
mère", "jamais homme n'a été moins à toi"
Elle se substitue à sa mère "prends
de moi ta vie Oreste et non de ta mère". En le caressant elle rêve "je
t'appelle à la vie, je te forme mon frère", et elle s'attribue les sentiments d'une
mère "voilà bien l'ingratitude des fils!". Jalouse elle qualifie d'
"ignoble coquetterie maternelle" le moment d'attendrissement entre Clytemnestre
et son fils qu'elle interrompt cruellement "la minute est écoulée".
Cependant elle est liée à la mère:
Elle a "pitié d'elle" en la voyant vieillir, elle avoue "notre mère que
j'aime parce qu'elle est si belle! notre mère dont j'admire la voix, le regard" et
pourtant " notre mère que je hais!" C'est au titre de fille qu'elle s'arroge
les droits d'un "juge". Est-ce de la nostalgie qui s'exprime à propos de
"celle qui porte ce nom de bonheur, Clytemnestre", ou de la dérision?
Electre en tout cas aurait besoin d'une mère. Elle a manqué de baisers dans son enfance
prétendent les Euménides. Le jardinier affirme "elle se cherche une mère, j'étais
le seul homme qui pouvait être une sorte de mère". Elle adopte la femme Narsès,
une pauvre vieille mendiante, parce qu'elle admirait son père, accepte ses caresses et se
fait appeler "ma fille" par elle.
Cette suppression mentale de sa mère
naturelle (à qui elle vole même la maternité de son fils) au bénéfice
d'un père dont elle se dit "la veuve" est très évidemment le double féminin
du noeud oedipien (mais Oedipe, quand, dans les faits, il tue son père puis épouse sa
mère, ignore qu'ils sont ses parents). En revanche, il n'y a pas lieu, je pense, de
parler d'attitude incestueuse à l'égard d'Oreste, les paroles et les gestes d'Electre,
si excessifs ou ambigus qu'ils paraissent, n'expriment qu'une affection fraternelle
exacerbée par l'attente.
Quand au refus de son statut de femme, on
peut y voir le repli sur soi d'une adolescente craintive, ou la conséquence de sa
répulsion de tout ce qu'est sa mère, ou les deux.
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