"METAPHYSIQUE" peut être défini le geste,
d'expérience et de pensée tout ensemble, par lequel l'homme en vient à interroger l'intégralité de ce qu'il vit, en vue de découvrir la présence,
originelle et originale, fondatrice et fondamentale, qui porte, assure et
légitime le mouvement de toute réalité finie. L'intention est donc
inséparablement de totalisation unificatrice et de radicalisation
hiérarchisante: au cœur des apparences fluentes, ce qui est cherché et
désiré, c'est un essentiel premier et dernier, principe universel d'être et
d'intelligibilité, d'ordre et de stabilité. Ce geste se répète et se reprend
inlassablement au long des siècles, mais sous des formes singulières toujours
neuves qui répondent à des problématiques chaque fois particulières: la
Vérité est concrète, le "Même" ne se donne à penser qu'à travers
des figures autres et différentes.
Dans notre histoire occidentale notamment, cette aspiration
métaphysique se trouve affectée de manière décisive par la mutation qui,
depuis la Renaissance, amène la pensée à quitter les univers traditionnels
pour s'ouvrir aux perspectives de la modernité. La métaphysique classique, en
effet, était tournée vers l'être en sa vérité objective:
elle visait un savoir, fondé en raison, des principes
régissant le monde en son ensemble; et la diversité anarchique de l'ici-bas
empirique se rattachait ainsi pour elle à un au-delà transcendant, source
éminente de l'harmonie offerte à la contemplation. Une véritable révolution
se produit avec la progressive venue à la conscience de soi de la subjectivité
libre: découvrant l'originalité qui marque sa présence à soi, l'homme
s'interroge dès lors -dans l'immanence des conditions socio-historiques- sur
le sens et la portée de son action. L'essentiel désormais n'est plus séparé
et il n'a plus pour fonction d'assurer l'ordre objectif du cosmos; il est
requis simplement pour soutenir de l'intérieur le mouvement des libertés en
quête de reconnaissance.
Cette transformation, cependant, nous apparaît encore
intérieure à un même mode de penser: qu'il explore et expose le domaine de
l'Être Absolu ou celui du Sens Inconditionné, l'homme
"métaphysique" reste celui qui vise un système global, susceptible
de faire apparaître en son unité intelligible le tout de la réalité, offrant
la garantie d’une présence et la satisfaction d'un "chez-soi". Or
c'est cet optimisme spéculatif d'une raison pleinement assurée de soi, de son
Fondement et de son Sens, que le monde contemporain paraît questionner de
manière radicale: marquée par la conscience d'un savoir et d'un pouvoir accrus
et par l'expérience d'une adversité qui la renvoie à sa propre fragilité,
l'humanité actuelle ne semble plus pouvoir compter sur les garanties
sécurisantes de la Nature ou de la Raison, de l'Esprit ou de l'Histoire.
Renonçant à toute tentative de surmonter la mort et la finitude, elle serait
volontairement rivée aux limites indépassables d'une expérience totalement
immanente et relative. La sobriété opératoire de la science et le réalisme
lucide de l'action se conjugueraient pour engendrer une conscience nouvelle de
l'existence finie qui exclut, démystifie et détruit à sa racine toute
référence métaphysique possible. Nous ne vivrions plus seulement les
métamorphoses de la métaphysique, car nous serions entrés –qu’on le
déplore ou qu'on s'en réjouisse- dans l'époque de sa fin, de son extinction
ou de sa clôture. Voilà en tout cas la problématique que je voudrais inviter
ici à aborder en quelques points qui méritent réflexion.
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