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Rubrique
épistémologie http://www.philagora.net/epistemo/rubrique.htm
La métaphysique en
question par Francis Guibal.
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7- Expérience -
Vie et
pensée
Expérience
Cette attitude, qui
déborde aussi bien l'efficacité opératoire que les luttes concrètes, invite
à se tourner vers l'expérience en son intégrité, vécue et décrite comme le
lieu où la réalité se montre dans sa rationalité contingente. Dans la
conversion aux choses mêmes se trouveraient surmontées les prétentions
rationalistes de la métaphysique. Mais le projet phénoménologique n'est pas si innocent: il est secrètement animé, voire aimanté, par l'attirance de la lumière,
d'une lumière que Husserl rapportera finalement à la sphère de l'Ego (du
sujet pensant). Aussi l'ouverture respectueuse à l'altérité et au dehors
prend-elle facilement la forme d'une réduction assimilatrice: à la relativité
problématique de l'expérience nue se substituent de nouvelles constructions.
C'est que la fragilité rationnelle a besoin de s'assurer contre les menaces de
la violence, du corps et du temps, de l'intersubjectivité et de l'histoire; il
lui faut se donner un monde habitable en se constituant en "horizon" de l'expérience. Et cette idée d'une destination historique raisonnable
reste celle d'une subjectivité toujours
proche de soi qui ne cesse de référer l'exil des signes au royaume de la
présence primordiale et finale (22). Lumière, conscience, vie présente à soi:
nous ne sortons pas de l'univers métaphysique de la modernité.
Il est cependant une
autre manière pour l'expérience phénoménologique d'évoquer "le
métaphysique" inhérent aux paradoxes de la condition humaine: par
le simple éveil à ce que le surgissement du sens au coeur de la vie individuelle et
sociale comporte à jamais de problématique et d'étonnant. La positivité de
la réalité quotidienne, "le monde, les autres, l'histoire de
l'humanité, la vérité, la culture", tel serait son "objet";
mais cette "connexion vivante de moi avec moi et de moi avec les autres" au sein d'un monde sensé serait perçue et pensée dans "le
miracle de son apparition" (23). Par-delà les constructions a priori de
la métaphysique classique pourrait être retrouvé ce que leur langage visait
en l'occultant, "un rapport avec l'être, les autres, le monde" (24)
qui implique enracinement charnel et transcendance interrogative, qui ne se fige
jamais en donné objectif. Le mouvement même de l'existence, comme ouverture à
l'univers naturel et socio-historique, relancerait sans fin la quête
ontologique, en n'oubliant jamais "en même temps que la signification
"être", l'être de la signification et la place de la signification
dans l'Etre" (25).
Vie et
pensée
Des tensions analogues
peuvent être décelées à l'intérieur de la destruction généalogique d'un Nietzsche et d'un Heidegger.
L'antimétaphysique du premier n'a-t-elle pas
précisément été dénoncée par le second comme l'achèvement et
l'accomplissement même de la métaphysique? Le vouloir affirmatif de la vie
façonnerait encore un être adéquat à une subjectivité anthropomorphe posée
comme "le centre et la mesure de l'étant comme tel et dans sa totalité" (26). La
maîtrise sur-humaine resterait de style hyper - anthropocentrique,
incapable de jamais interroger l'Être lui-même en son manque et son absence, en
son occultation et son mystère. Mais on sait également la partialité
éminemment discutable d'une telle interprétation qui force les perspectives
fulgurantes de Nietzsche à entrer dans les cadres trop sages et trop classiques
d'une problématique ontologique, qui méconnait l'exubérance et la
décentration qui caractérisent la création nietzschéenne. Car, si
métaphysique il y a, ce n'est point celle d'un Être oublié en raison de
l'obsession des étants, plutôt celle d'un acquiescement amoureux au passage
ludique et à la joie tragique de la vie dionysiaque en ses éternelles
métamorphoses.
La pensée heideggérienne, de son côté, s'efforce de surmonter les représentations
objectivantes de la métaphysique en acceptant la perte de tout "vouloir-fonder", en accueillant l'ouverture originelle qui accorde
l'existence et le monde, en célébrant pour lui-même le jeu sans pourquoi de
l'Être et du Temps. Soucieuse d'évoquer exclusivement le don de l'Être qui
rassemble ciel et terre ainsi que divins et mortels, il semble même qu'elle
tente parfois pour ce faire de laisser à lui-même son passé métaphysique...
La démarche, pourtant, n'est pas si simple. Car l'oubli et l'errance dont
témoignent les systèmes métaphysiques constituent une fatalité
incontournable, un destin et une histoire de l'Être même. Aussi le
"surmontement" de la métaphysique est-il identiquement un "retour à son fondement" en vue de s'approprier le don
de l'Être à
travers son retrait et sa réserve. La pensée méditante ne s'ouvre au jeu de
l'Être
qu'en se tournant vers son "demeurer manquant" (27), en questionnant
son absence, seule trace perceptible de sa venue secrète et toujours déjà
dérobée. Geste de rupture, sans doute, et très original, mais aussi inscrit
dans une tradition irréductible à la clôture métaphysico -représentative:
"ce n'est pas la première fois que l'être doit être biffé pour être
reconnu dans sa réserve et sa générosité, sa retenue et sa gratuité"
(28). La question de la vérité de l'être appartiendrait encore aux mondes
traditionnels qu'elle contribue à ébranler: le fondamental, l'authentique et
l'originaire, mais aussi le propre et le proche, l'écoute et la voix, autant de
"valeurs" suspectes toujours suspendues finalement au privilège
symptomatique de la "présence du présent"(29). Ce qui permet de
retourner ironiquement certaines accusations en évoquant la possibilité
légitime de voir dans la pensée méditante le "dernier sursaut
ensommeillé de l'Homme supérieur" (30).
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Notes:
22) J. Derrida parle à ce propos du
"Schème d'une métaphysique de la présence qui s'essouffle inlassablement
à faire dériver la différence" (La Voie et le Phénomène, PUF, page
114); la différence indéfinie de l'expérience Husserlienne resterait prise
dans l'horizon de l'infinité positive du savoir absolu Hégélien.
23) Merleau-Ponty, Sens et Non-sens, Nagel, page 165.
24) "Partout et Nulle Part", Eloge de la philosophie (Gallimard,
Idées), page 239.
25) Le Visible et l'Invisible Gallimard page 160.
26) Heidegger, Nietzsche, Gallimard, Tome 2 page 103
27) Nietzsche tome 1, page 289.
28) Ricoeur, La Métaphore vive page 397.
29) Cf. J. Derrida "Les Fins de l'homme", Marges, page 157: "Si
Heidegger a radicalement déconstruit l'autorité du présent sur la
métaphysique, c'est pour nous conduire à penser la présence du
présent."
30) Marges page 163.
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