J'ai
à peine besoin de constater que c'est nous maintenant qui faisons les frais de ces sortes
d'accusations, et que cet échange de polémiques a cessé entre l'opportunisme et la
droite depuis que la droite s'est ralliée, depuis qu'elle est devenue une pièce
nécessaire, au moins un ornement de la majorité gouvernementale. (Applaudissements et
rires à l'extrême gauche.)
M.de la
Rochefoucault, Duc de
Doudeauville. Toute la Droite nest pas ralliée
M.JAURÈS.
Je n'ai donc point l'intention de demander au gouvernement de reprendre ce système de
polémique, et je ne veux pas non plus y revenir, pour mon compte. Je lui demande
simplement ceci "Pourquoi vous êtes-vous montré, depuis quelques mois, dans vos
recherches, dans vos perquisitions, si méfiant, si ombrageux envers des militants
ouvriers?
Pourquoi, sur les indices les plus vagues, sur les prétextes les plus futiles, sur de
simples délations de quartiers, sur des dénonciations anonymes, avez-vous multiplié
chez les pauvres gens les perquisitions et les arrestations? (Rumeur à gauche et au
centre. Applaudissements à l'extrême gauche) Et au contraire, pourquoi avez-vous
systématiquement ignoré des indices sérieux qui pouvaient compromettre, au moins devant
la conscience publique, certaines personnalités de la haute banque et du capital ?
Pourquoi aussi avez-vous systématiquement négligé de saisir ici, sur le vif, et de
signaler au pays les procédés, l'action, les ambitions de l'Eglise au travers de nos
agitations sociales?"
Messieurs, c'est un très curieux et un très saisissant paradoxe en effet,
mais très logique et très certain, que la conspiration multiple, variée de l'ordre
capitaliste avec l'anarchie qui veut le détruire violemment.
Et
tout d'abord, entre cette société qu'on appelle régulière et polie, d'une part, et
d'autre part, tous ces déshérités qui vivent sans pain, sans foyer, sans lendemain, au
hasard des embauchages et des renvois, l'ordre capitaliste a creusé un tel abîme que
pour surprendre les pensées criminelles qui peuvent germer dans les cerveaux des
misérables, il est obligé d'avoir recours précisément à leurs compagnons de misère.
C'est ainsi que vous êtes obligés de recruter dans le crime de quoi surveiller le crime,
dans la misère de quoi surveiller la misère et dans l'anarchie de quoi surveiller
l'anarchie. (Interruptions au centre. Très bien ! très bien ! à l'extrême gauche.)
Le F
, publiait un supplément illustré qui résumait les
provocations les plus brutales et les images les plus violentes contenues dans toute la
collection du Père Peinard. (journal anarchiste)
Et je
voulais faire simplement cette constatation que c'est le régime capitaliste lui-même
qui, pour accroître les dividendes et les bénéfices de ses grands journaux, servait aux
compagnons présents et futurs la quintessence des journaux anarchistes supprimés par
vous. (Applaudissements sur divers bancs. Mouvements divers.)
M. RENE VIVIANI - C'est le
journal de l'Elysée !
M. ALBERT PETROT - Et du pape !
M. JAURÈS - De
même, messieurs, vous déclarez que la justice doit être inexorable, qu'elle doit
frapper sans pitié; et les organes de la société conservatrice sont les premiers, en
publiant à l'avance les actes d'accusation contre les anarchistes traduits en Cour
d'assises, à faire tout ce qu'ils peuvent, dans un intérêt de dividende, pour énerver
l'action de la justice. (Très
bien ! très bien !)
Ils publient à l'avance les noms des jurés, en sorte que nous. avons vu et c'est une
contradiction où il y a quelque chose de sauvage - les mêmes journaux qui réclamaient
la tête d'Emile Henry, indiquer d'avance a' sa mère les hommes auprès de qui elle
devait aller la disputer. (Mouvements
divers.)
J'ai le droit de constater qu'un régime dont la maxime fondamentale
est "Chacun pour soi, tout pour l'argent!" produit d'aussi contradictoires
effets. (Applaudissements
à lextrême gauche. Bruits).
Pendant que vous permettez à l'Eglise non seulement sans l'inquiéter -vous
savez que nous ne le demandons pas- mais même sans avertir le pays, de continuer son
uvre de propagande ouvrière et paysanne, vous dénoncez tous les jours, vous
calomniez tous les jours, vous essayez de perdre dans l'opinion publique et devant les
consciences ce parti socialiste qui est une des parties vivantes de la République
elle-même, qui a toujours été républicain, qui a toujours défendu la République aux
heures de péril. (Applaudissements
sur divers bancs à gauche. Interruptions au centre)
Vous
avez montré un esprit tout à fait contradictoire selon qu'il s'agissait de la
démocratie elle-même, en ses fractions les plus ardentes, ou des ennemis sournois de la
démocratie. Aussi bien dans vos enquêtes de police que dans votre attitude de politique
générale, vous avez été tout indulgence, tout aveuglement volontaire et bienveillant
pour ceux qui essayaient de profiter des attentats anarchistes au bénéfice de la
réaction, et vous avez essayé de perdre un parti qui veut toutes les conséquences de la
République, mais qui en veut avant tout le principe même. (Applaudissements répétés à
1extrême gauche)
............................................
Là encore Jean Jaurès, en demandant un effort
de vérité et de justice, ne fait que demander le respect de lEtat de Droit,
légalité de tous devant la Loi qui fait la République laïque au delà des
clivages religieux ou partisans.
Comment confondre le socialisme issu
de la République et l'anarchisme qui veut la disparition de l'Etat, de l'ordre
républicain!
Aller
vers: Jean Jaurès et les enseignants
Suivre le parcours
intiatique: Jean Jaurès sur philagora
Retour à la page d'accueil
de philagora
|