Le monde apaisé sera plus riche
de diversités et de couleurs que le monde tumultueux et brutal. C’est
la guerre qui est uniformité, monotonie, refoulement: «L’arc de
paix» avec toutes ses nuances est plus varié que le violent contraste
de la nuée sombre et de l’éclair dans le déchaînement de
l’orage. Quand Nietzsche fait appel pour diversifier le monde et pour
relever l’homme à une aristocratie nouvelle, il oublie de se demander
sur quelle base économique s’appuierait, dans le monde transformé,
cette aristocratie de privilège et de proie. Mais enfin ce n est pas
dans l’enceinte de nationalités exclusives et jalouses qu’il prévoit
le large développement des individualités humaines. Il affirme sans
cesse que l’homme nouveau doit être avant tout «un bon Européen», que l’Europe va vers l’unité,
et qu’il faut qu’elle y aille. Mais comment Nietzsche lui-même
pourrait-il nier que c’est l’action du prolétariat socialiste qui
est dès maintenant, et qui sera de plus en plus la force décisive
d’unification de l’Europe et du monde?
Et ceux-là aussi qui ont
proclamé que la guerre est la nécessaire et sévère éducatrice des
hommes voient leur idéal se dérober. Car les générations s’écoulent
dans l’attente inquiète de la guerre sans en recevoir la rude
discipline. Les vastes collisions deviennent trop rares, malgré tout,
et trop incertaines pour avoir une vertu. Le militarisme n’est guère
plus, durant de longues périodes, qu’une bureaucratie énorme dont
les facultés techniques subsistent peut-être encore, mais dont le
ressort moral se dissout dans l’équivoque d’une fausse guerre et
d’une fausse paix. Les hommes sont pliés sous le fardeau de la paix
armée, et ils ne savent pas si ce qu’ils portent sur leurs épaules,
c’est la guerre ou le cadavre de la guerre. La haute probabilité du péril
prochain, la certitude du sacrifice imminent, la fréquente familiarité
de la mort joyeusement acceptée ne renouvellent plus dans le
militarisme administratif les sources de la vie morale. La somnolente
barbarie de la paix armée est comme un marais dormant, où plonge
l’illusoire reflet de nuées ardentes. Quand donc le socialisme
international s’organise pour assurer la paix entre les peuples par la
suppression du privilège capitaliste et par l’émancipation du
travail, ce n’est pas seulement contre l’injustice et la violence
qu’il s’efforce ;
mais il lutte aussi contre les ambiguïtés et les contradictions
qui faussent à la longue la vie morale des peuples. Pour cette grande
oeuvre de révolution sociale et morale, le prolétariat allemand et le
prolétariat français peuvent beaucoup par leur union, par leur action
commune. Notre devoir est haut et clair toujours propager l’idée,
toujours espérer, toujours lutter jusqu’à la définitive victoire de
la démocratie socialiste internationale, créatrice de justice et de
paix. |