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Jean Jaurès dans tous
ses états, une pensée et un cœur
(par Joseph Llapasset).
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I. Jean Jaurès, une pensée
et un cur.
Au début de ce parcours
initiatique, qui na pour but que de rendre justice à Jean Jaurès en nous mettant
à lécoute de ses écrits et de ses paroles, nous vous proposons un des
témoignages les plus émouvants : Jaurès évoque son arrivée à Paris : un
jeune de 21 ans au regard, pénétré dintelligence et de sensibilité, qui se
porte sur la pauvreté de la foule et sétonne dune soumission sans contrainte
extérieure, comme si cette foule de souffrance et de pauvreté était pliée au joug
social par la vie et l'habitude.
Au-delà de cette surprise on sent poindre une hypothèse explicative
et le projet duvrer pour un ordre nouveau. Écoutons-le...
"Je me souviens qu'il y
a une trentaine d'années, arrivé tout jeune à Paris, je fus saisi un soir d'hiver, dans
la ville immense, d'une sorte d'épouvante sociale. Il me semblait que les milliers et les
milliers d'hommes qui passaient sans se connaître, foule innombrable de fantômes
solitaires, étaient déliés de tout lien Et je me demandai avec une sorte de terreur
impersonnelle comment tous ces êtres acceptaient l'inégale répartition des biens et des
maux, comment l'énorme structure sociale ne tombait pas en dissolution. Je ne leur voyais
pas de chaînes aux mains et aux pieds, et je me disais Par quel prodige ces milliers
d'individus souffrants et dépouillés subissent-ils tout ce qui est? Je ne voyais pas
bien : la chaîne était au cur, mais une chaîne dont le cur lui-même ne
sentait pas le fardeau; la pensée était liée, mais d'un lien qu'elle- même ne
connaissait pas. La vie avait empreint ses formes dans les esprits, l'habitude les y avait
fixées; le système social avait façonné ces hommes, il était en eux, Il était, en
quelque façon, devenu leur substance même, et ils ne se révoltaient pas contre la
réalité, parce qu'ils se confondaient avec elle. Cet homme qui passait en grelottant
aurait jugé sans doute moins insensé et moins difficile de prendre dans ses deux mains
toutes les pierres du grand Paris pour se construire une maison nouvelle, que de refondre
le système social, énorme, accablant et protecteur, où il avait, en quelque coin, son
gîte d'habitude et de misère. Il a fallu à une élite prolétarienne un effort d'esprit
prodigieux pour arriver à entrevoir, au-dessus de l'ordre social présent, la
possibilité d'un ordre nouveau. Mais cette élite même, précisément parce qu'elle
comprend le capitalisme, ne le rejette pas totalement."
Jean JAURES, L'armée nouvelle - Ed. Sociales, 1977, p.269.
Après un long et lourd silence, ce texte
dintelligence et de générosité nous parvient enfin, au delà des clivages
religieux et politiques, comme un appel à comprendre que le sensible peut toujours être
sauvé par lintelligible.
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Vers page suivante: Jean Jaurès et laffaire de Panama.
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