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 La Gascogne: Le "Parla gascoun" -page 3 

 
 Au cours de sa longue carrière, Césaire Daugé a vu la langue française prendre une place de plus en plus grande au détriment de la langue gasconne. Il déplore ce changement qu’il attribue à la politique centralisatrice de Paris. Il affirme que ce serait une grave erreur de délaisser la lenque mayrane au profit du seul français, tout autant que de se détourner du travail de la terre. Selon lui, la langue gasconne possède certaines qualités parmi les plus précieuses qui font défaut au français. L’exemple du Félibrige l’incite à croire à une renaissance du parla gascoun.

Il pense que l’abandon de la langue gasconne équivaudrait à un reniement de soi-même et se traduirait par un amoindrissement intellectuel et moral:
Perqué boulé pertout la mode pegourasse
De ha perde aus maynats la lengue dous anciens
Qui parlaben gascoun ? La lengue qu’é la race :
Enta dise en francés que seram meylèu niens.

Césaire Daugé, qui a fait le choix de la langue gasconne pour écrire une oeuvre poétique, théâtrale et narrative, raconte dans " Au cournè dou hoec " (H. e F., p.169) sa propre enfance où, sitôt sorti de l’école, où le français ne s’apprend qu’avec peine, il pratique avec jubilation sa langue maternelle :

A l’escole, oun hasèm mey de bren que de rése,
Que-ms hasèn espourga cauque tros de francés.
Mes nous, ente nou pas prene habe per cése,
A hort parla gascoun que passabem lous sés.

L’expression: ente nou pas prene habe per cése, dit bien ce qui, pour Daugé est une des qualités du gascon : dire les choses telles qu’elles sont, dans leur vérité, alors que le français aurait tendance à les déguiser. Il revient sur cette idée dans d’autres poèmes. 

Dans "La bertat" (F. L., p.167), il répond à un ami qui lui reproche la franchise, voire la rudesse de son parler et qui vante dans le français l’art d’atténuer les choses :
Ne sabs pas que toupins, pelinches e hartères (...)
Lou francés hè bira la lenque à l’aute part,
E qu’a lou co clabat s’ou parlen d’espourguères.
Ne diré pas " glaugnas ", mé que diré " machères ",
E que dit " orgulhous ", mé nou pas " bente hart " !

Et Daugé de répondre en opposant le gascon ami du vrai au français qui farde les choses:
Arré de bèt, pr’aco, coum dise la bertat.
Se lou Francés a pou de parla de " couhat ",
T’y hisis pas, que sab armigalha lou mounde.
Lou Gascoun n’ayme pas à gnaspa lou boucin.

Il précise cette dernière idée dans "Francés e Gascoun" (Sounets de Malau, XXVI): le français est une langue apprêtée, langue de l’apparence et du trompe-l’oeil :
Qu’at sey plan, lou francés que hè dou gran moussu.
Mey praube es un sounet, mey que l’abets cossu(...)

Le gascon, en revanche, est une langue de paysan, un parler franc sans rien d’emprunté, ce qui ne l’empêche pas d’avoir autant de ressources que le français :
Lou Gascoun, boun paysan, ayme à pourta capèt.
Més tabé, qu’éy tout soun so qu’a dessus la pèt,
E, coum lous de Paris, qu’a lou bros dab arrodes.

Le poète met en valeur les qualités du gascon par des adjectifs qui font ressortir son intégrité, sa saveur, sa sonorité, qualités qui en font une langue qui rend heureux celui qui la parle:
Assi qu’èm hilhs fidèus de la bielhe Gascougne
Au parla ta sancè, ta ringan, ta sabrous. (" A Isidore Salles ")
Qu’am un parla goarrut, eslindrat e sabrous
Qui-s passeje dempuch la ma dinc à la Neste.
Dab aquét bèt parla lou pay gran qu’ère urous
E que hasèbe prou lous ahas, plan auneste.(" A Mous de Lacoarret ").

Le gascon est présenté ici comme un parler nerveux - goarrut - et souple - eslindrat -, propre à la discussion, notamment en affaires. L’histoire que conte "Lou Petitoun" (H. e F., p.174) en donne un exemple de la saveur. Lou Petitoun est un métayer qui va porter les étrennes à son maître demeurant à Saint-Sever. Celui-ci le reçoit et lui offre un repas savoureux qu’il conclut d’un petit verre propre à ressusciter l’appétit du Petitoun: il s’agit d’une liqueur inconnue de ce dernier, une anisete de Bourdèu. A la question du maître : "ès counten?", le Petitoun répond:
"Moussu, se dit, au cot que se-m eslurre
Mey dous que mèu : que diserén
Un anje dou boun Diu que-m piche à la ganurre." 

Le poète apprécie en ces termes cette image savoureuse :
Que saberats que lou gascoun, coum lou latin,
N’ayme pas brigue à gnaspa lou boucin.

Le gascon est la langue de la franchise, avons-nous dit. Dans "Lou tros de ligue" (A. P., p.95), lou Jeantot a pu grâce à son maître voir s’accroître son bien. Le maître lui fait la leçon en ces termes :
(...) – Jeantot
A plan serbit lou tros de corde ?

L’endret sera lou toun se bos.
Parlam biarnés : balhe lous sos.
(...)

L’expression "Parlam biarnés" exprime la franchise avec laquelle doit se faire un marché. Les qualités propres au gascon sont encore mises en évidence dans Lou sauneyt de Coundom" ( A. P., p.74 ). Blaise de Monluc s’adresse à Dupleix et Bossuet, le premier né à Condom, le second qui en fut l’évêque mais n’y alla jamais:
Assi qu’aurets aprés un parla dous e boun.
Lou Mountaigne e-n disèbe un cop, se plan m’escasi :
"Se Francés nou y arribe, arribe-y tu Gascoun !"

Toujours dit par la bouche de Monluc, Bossuet s’il l’eût appris en aurait, qui sait, mieux écrit :
"Qui sab, ô Bossuet, se la boste pensade,
Bourin coum lou bin qui sort dou pot dou troulh,
N’auré pas hiélat hiu de mey boune telade,
Dequet qui la man hielèbe chens bourroulh!"

Daugé voit dans l’épanouissement de la poésie d’oc à travers le Félibrige une chance de renaissance de la langue gasconne. Dans "Ahèus e flous" ( A. P., p.19), il s’adresse aux auteurs d’un recueil de poèmes qui demandent à entrer à l’Escole Gastou Fébus :
Dab bous auts, lou Gascoun de bielhè ne s’endole.(...)
E la lenque mayrane a brut de gran moulin.

Dans "Cante de Gascougne" ( F. L., p.62 ), il proclame la renaissance de sa langue:
Dous terrès dou Biarn aus terrès de Bigorre,
De la lane sablude à la mountagne oun torre,
Un bén nabèt, passan per catsus lou branoun,
Tourne ha reberdi lou bielh parla gascoun.

Dans "Arrebiscoulade" ( H. e F., p.46 ), dédié "Au nouste castet de Maubezin", Daugé raconte l’histoire de ce château des Pyrénées que la générosité de son propriétaire a permis de faire le castet dous Felibres, et le poète présente la langue gasconne comme l’emblème de la Gascogne et une langue venue du ciel, c’est-à-dire immortelle:
(...) Quilhat de nau coum un drapèu
De la nouste Gascougne e la terre mayrane,
Que dits à la mountagne, à las bats, à la plane
Que lou parla gascoun qu’és un parla dou cèu.

Césaire Daugé a vu sa langue maternelle, le gascon, menacé par l’intrusion du français soutenu par une politique centralisatrice et l’influence des "modes venues de Paris". Pourtant, les qualités propres au gascon qui, à certains égards dame le pion au français, lui donnent foi en la possibilité pour lui de retrouver son prestige. Ce sont ces mêmes qualités qui lui ont fait élire le gascon pour composer son oeuvre littéraire. D’autre part, l’élan du Félibrige lui donne confiance en une renaissance possible.

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