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   Michel HENRY  
conversation: Art et phénoménologie de la vie


1ère partie   -   2ème partie  -
Notes, bibliographie


  Vous avez évoqué l’intentionnalité du regard ou du visible, également l’intentionnalité de l’audition ou du musical. Pourrait-on évoquer d’autres intentionnalités, comme l’intentionnalité de la recherche, celle qui vise des champs et des objets non encore connus ou méconnus ?

   Husserl a découvert des champs d’objets nouveaux, des structures d’être différentes en étudiant des intentionnalités spécifiques. Dans ce champ d’analyse intentionnelle, il a découvert des champs ontologiques que personne n’avait encore explorés. Dans Logique formelle et logique transcendantale, qui est un livre fabuleux (15), il montre que l’intentionnalité est comme un projecteur qui fait voir des choses qu’on n’a jamais vues. Il a même essayé de faire cela pour la vie subjective en analysant la temporalité intérieure qui est totalement différente du temps objectif (16). Il a montré – ce qui institue le rapport essentiel du chercheur à son objet de recherche – que l’intentionnalité est un acte de l’esprit qui constitue le champ du sens, sens qui n’existe pas dans la nature. La géométrie par exemple constitue des figures géométriques idéales, des idéalités géométriques, qui n’existent pas dans la nature. Dans la nature, il y a des ronds, il n’y a pas de cercle. Le cercle est une figure idéale. L’homme a inventé des dimensions ontologiques qui n’existaient pas : l’art, ça n’existait pas, la géométrie non plus, l’homme les a créés comme des êtres idéaux. Dans le rapport du chercheur à son objet de recherche il y a également cet aspect d’idéalité créatrice et un chercheur qui met en jeu certains présupposés peut être complètement écrasé par ce qu’il découvre...

Toute intentionnalité est ainsi à la fois auto-affective en s’éprouvant elle-même, en tant que donnée à elle-même, et hétéro-affective dans la mesure où elle s’ouvre à quelque chose d’autre.

Si l’on admet la thèse phénoménologique classique que la corporéité, c’est l’incarnation, peut-on dire alors que toute œuvre d’art, toute perspective esthétique, se réfère à une ou plusieurs intentionnalités corporelles ? Autrement dit, la dimension esthétique ne saurait-elle se référer qu’aux arts majeurs du regard et de l’audition, ou est-ce qu’on peut généraliser l’art à toute intentionnalité corporelle, ce qui supposerait une déconstruction assez radicale de l’esthétique traditionnelle ?

  Absolument. Une phénoménologie du corps n’étudie pas seulement les cinq sens traditionnels qui sont des intentionnalités : la vue, le toucher, l’ouïe, etc. Il faut remonter au problème du corps pour répondre à la question (17). Il y a eu de nombreuses théories du corps, d’ailleurs dans votre article vous en donnez un très bel exposé, mais ce sont presque toutes des théories de l’image du corps. C’est le corps tel qu’on se le représente, avec son rôle symbolique, etc. Mais le problème originel du corps n’est pas là. Un seul penseur l’a vu, c’est Maine de Biran. Il y a chez lui une extrême attention accordée au mouvement, c’est le cœur de sa théorie du corps qu’aucune philosophie du corps n’avait élucidé auparavant. Le corps est un mouvement, mais le mouvement va mouvoir quelque chose. Or, il faut d’abord que le pouvoir qui prend ou qui meut soit en possession de lui-même. Et il est en possession de lui-même impressionnellement, c’est-à-dire que je suis un « je peux » et que ce «je peux» est donné à lui-même affectivement. Que mon corps soit un «je peux» de cette sorte, c’est la définition de l’être humain pour Maine de Biran. Pour s’exercer, il faut donc que ce pouvoir soit en possession de lui-même de la même manière que l’intentionnalité, qui ne peut former d’image que si elle est en possession de soi en tant qu’intentionnalité. Pour Maine de Biran le mouvement s’auto-affecte. Il est un avec lui-même, dans cette épreuve immédiate qu’il fait de soi. C’est seulement parce que le pouvoir de prendre est en possession de lui-même que je peux prendre. Autrement dit, le statut du pouvoir et du mouvement est le même : c’est une cogitatio au sens de Descartes. Le pouvoir est en rapport avec lui-même, s’éprouve lui-même immédiatement, exactement de la même façon que la crainte est en rapport avec elle-même et s’éprouve elle-même immédiatement. Le «je peux» suppose non seulement une corporéité intentionnelle, mais aussi une corporéité pathétique. Le corps, avant d’être ce qui me jette vers les choses – «mon corps se lève vers le monde» dit Merleau-Ponty – est pathétiquement un avec lui-même.

  On reconnaît là le problème de l’âme et du corps. Il est vrai que ce problème constitue une aporie à laquelle se sont heurtés tous les philosophes: Spinoza, Malebranche, Descartes, etc. Le problème est en effet de savoir comment l’âme peut agir sur le corps. Or, il est absolument à jamais impossible de comprendre comment une volition de l’âme peut déterminer un mouvement corporel objectif. Si ma volonté est une volonté subjective, spirituelle, comment peut-elle agir sur le corps objectif? C’est continuellement de la magie. La solution de Maine de Biran est celle-ci : en vérité le pouvoir originaire – «j’agis», «je peux» – est invisible. La relation à soi du pouvoir est comme la relation de ma crainte à elle-même : je suis dans mon pouvoir, mon pouvoir est latent, je l’éprouve, je suis le pouvoir et je le déploie sur le plan invisible. Mais ce pouvoir que je déploie dans l’invisible, en raison de la dualité de l’apparaître, du fait qu’il y a un monde, je l’aperçois de l’extérieur dans le monde. C’est-à-dire que je suis en possession de mon pouvoir comme de ma crainte : je l’éprouve, je l’exerce mais, comme tout est double, je me vois aussi de l’extérieur. Il y a deux corps comme il y a deux moi : un Moi transcendantal qui s’aperçoit dans le monde sous forme de moi empirique. Il y a un moi sujet et un moi objet. C’est-à-dire qu’il y a un moi qui n’est pas au monde et parce qu’il y a un moi qui n’est pas au monde il peut voir le monde.

Le mouvement est un problème difficile parce que le pouvoir est purement subjectif, il est vivant, je suis le pouvoir, pour cette raison je suis capable de le déployer et de l’accomplir mais je puis aussi l’apercevoir comme un objet du monde. La solution de Maine de Biran, c’est que le mouvement réel se déploie dans l’invisible et nous, nous le voyons de l’extérieur. J’ai deux expériences de mon mouvement: là où je le fais et là où je le vois. Je le fais en faisant effort, avec le sentiment de l’effort, donc l’effort est donné pathétiquement, et de l’extérieur je le vois. Ce qui suppose un double apparaître. Il y a un seul corps, je peux le voir de l’extérieur, mais je le vis de l’intérieur.

Qu’en est-il alors de cette intentionnalité corporelle ?

  Ce qui est originaire ce n’est pas l’intentionnalité, même dans l’intentionnalité corporelle. Vous voulez me questionner sur l’intentionnalité corporelle, mais je résiste pour dire : avant l’intentionnalité corporelle, il y a la corporéité. C’est-à-dire ce qui donne l’intentionnalité corporelle à elle-même: la vie. Pour Merleau-Ponty, le corps est immédiatement intentionnel. Pourquoi? Parce que la subjectivité husserlienne était intentionnelle. Merleau-Ponty a découvert un corps subjectif, mais un corps subjectif intentionnel, et il n’a pas vu que cette conception laisse dans l’ombre une dimension d’un autre ordre qui est la dimension pathétique. Or, notre corporéité est fondamentalement pathétique.

Vous venez d’évoquer le mouvement, l’effort, la forme pure du mouvement. Que dire de la danse et de la voix?

Kandinsky a montré que la danse n’avait pas à être mimétique. La danse n’est pas figurative, elle ne représente rien, elle a affaire aux mouvements mêmes du corps, à ses potentialités. Ce qu’elle va exprimer ce sont les capacités motrices du corps, les pouvoirs qui sont en lui tels que je les vis originellement (18). D’où l’idée d’une danse abstraite dans les écrits de Kandinsky. La danse ne raconte pas une histoire, elle dévoile des pouvoirs en les donnant à sentir au spectateur dans son propre corps. De même que les formes du tableau me font sentir les forces qui m’habitent, avec lesquelles je me confonds.

Il en va de même avec la voix. Chez Maine de Biran, il y a une activité de «phonation» comme il y a la vision, il s’agit d’un pouvoir situé dans le corps même. Il y a une respiration subjective. Dans cette activité de phonation, qui est du même ordre que l’activité de prendre, c’est un pouvoir subjectif que je déploie. Ensuite je me le représente. Lorsque je pousse un cri ou prononce certaines paroles il se produit un phénomène de redoublement en ce sens que j’entends moi-même ce cri ou ces paroles. Pour Maine de Biran je ne peux savoir que j’entends le cri que j’ai formé que parce que je suis d’abord le pouvoir qui profère le son. C’est pourquoi l’ouïe n’est en effet qu’un redoublement. Il y a comme un circuit qui fait que j’entends le son que j’ai proféré. Il y a un épanchement sonore, un son que j’entends, mais pour savoir que c’est moi qui parle et pas vous, il faut qu’il y ait en moi ce savoir primordial, dynamique et pathétique de la phonation, pouvoir avec lequel je coïncide. C’est parce que je sais, là où je forme le son, que c’est moi qui le forme, qu’il y a une ipséité dans ce pouvoir, que je peux dire: «C’est moi qui ai dit cela, et pas vous».

Tout ce qui procède du corps serait donc à l’origine de l’art?

  Oui, absolument. La théorie de la peinture de Kandinsky vaut pour tous les arts, c’est ce qui fait que les arts peuvent communiquer entre eux et qu’il peut y avoir un art global, ce qu’il appelle un «art monumental», c’est-à-dire un art qui ne serait plus seulement la peinture, la sculpture, la danse ou la décoration. Dans l’opéra, par exemple, nous sommes en présence d’un art où interviennent le chant, les couleurs, les décors, les mouvements des personnages, etc. Les éléments de chacun de ces arts semblent différents : la voix pour la chanteuse, la couleur pour les costumes ou les décors, le mouvement pour les déplacements des personnages, le texte pour le livret. Mais ces arts différents dont les éléments semblent différents peuvent dire la même chose parce que leur contenu subjectif est le même. Il y a un commun dénominateur qui est la réalité subjective de l’élément de chaque art. Objectivement, chaque élément est différent, mais subjectivement il est le même. On peut faire concourir des arts différents à un même effet, leur faire exprimer un même pathos. Il y a donc une espèce d’unité subjective, absolument fantastique, des éléments objectifs.

Si phénoménologiquement le corps est la source de toute esthétique, peut-on dire que la temporalité du corps, c’est-à-dire l’horizon d’attente du vieillissement et donc de la finitude et de la mort, serait le référent ultime de tout art? En dernière instance, toute ontologie esthétique n’est-elle pas une ontologie du temps?

  Ma réponse, là, est très précise, elle est négative. Pourquoi? Le temps phénoménologique, le temps qu’ont étudié Husserl et Heidegger, est encore un temps ek-statique, c’est-à-dire un temps éclaté. L’horizon, ce trou de lumière qui est le monde, est un horizon du lointain. C’est un horizon irréel, tridimensionnel, c’est-à-dire constitué par ce que Heidegger appelle trois ek-stases et qui sont celles du futur, du présent et du passé. Dans cet horizon ek-statique les choses coulent du futur au présent et au passé. Heidegger le dit littéralement : la présence se présentifie à partir de trois ek-stases qui font que les choses sont là dans leur venue au présent, à partir de l’horizon du futur et dans leur glissement au passé. Cet horizon du futur, pour l’homme, est borné par la mort. Et c’est ce qui vous a amené à dire ce que vous avez dit. Or, tout cela ne concerne que la phénoménalité ek-statique. La temporalité de la vie, elle, est totalement différente. Et par conséquent, vous ne pouvez plus dire ce que vous avez dit car la temporalité de la vie n’est pas ek-statique. Bien sûr, la vie se projette sans cesse vers son avenir et vers son passé, mais c’est la vie au monde, qui se représente dans le monde, qui se jette dans le monde. La vie en elle-même toutefois, à l’endroit où elle touche à elle-même, n’est pas dans le temps ek-statique. Le vivant, c’est quelque chose qui touche à soi, sans l’écart d’aucune distance, sans différer de soi d’aucune façon, qui s’éprouve soi-même en un sens radical. Notre moi vivant, notre Soi transcendantal ne se coupe jamais de soi. Et donc, il faut penser une temporalité pathétique, c’est-à-dire une temporalité où ce qui se transforme ne se sépare pas de soi. C’est ce que j’ai essayé de faire. Il faut décrire une temporalité sans intentionnalité, un simple devenir affectif. La vie ne cesse d’être éprouvée, même si les modalités de cette épreuve ne cessent de changer.

Mais là on tombe sur la butée de la mort ?

  Non, il n’y a pas de mort, justement. Il n’y a pas de mort, ou alors il faut en parler tout autrement, il faut travailler avec une philosophie radicalement différente. Parce que la butée de la mort, c’est la butée de la mort devant moi dans le monde. Il faut que je pense le monde pour que je pense la mort. Je me dis : je suis âgé, dans six mois peut-être, ou plus tard, je serai mort. Mais on raisonne alors dans l’ek-stase. Or, là où il y a la vie, dans son essence intérieure, il n’y a plus d’ek-stase, ni passé ni futur. C’est très difficile à comprendre, mais certains auteurs en ont eu l’intuition. Par exemple, Maître Eckhart quand il dit : « Ce qui s’est passé hier est aussi loin de moi que ce qui s’est passé il y a quinze mille ans ». Cela montre qu’il n’y a pas de rapport entre le moi et le temps, le temps ek-statique, il n’y a pas de mesure de l’écart...

Et l’imaginaire ?

  Pour Husserl, l’intentionnalité imageante part d’un support matériel et en prenant appui sur lui elle constitue un univers de significations vécues : mais on ne voit pas les constituants matériels de ce tableau, on voit l’immensité de la mer à Venise par exemple. De même, à partir de signes matériels, on voit l’espace. Chez les primitifs flamands il y a de grands personnages, la Vierge et l’Enfant, et puis une fenêtre qui ouvre sur un paysage infini. C’est dire qu’à partir d’éléments réels qui sont la matérialité de la peinture cette intentionnalité imageante, guidée par ces signes qu’elle perçoit, institue l’œuvre d’art. C’est pour cela que l’œuvre d’art est imaginaire. L’espace n’est pas dans le tableau puisque le tableau est plat et que dans un tableau classique vous avez un immense espace. Dans une peinture normale à trois dimensions, l’espace est fictif: à partir d’une œuvre plate, on croit percevoir une profondeur. Mais la profondeur est purement imaginaire, il n’y a pas de profondeur sur le tableau réel. De même, le volume d’un personnage est un leurre. Et ce leurre est créé par l’imagination esthétique puisqu’il n’y a pas perception mais imagination de l’espace. à travers un tableau se creuse un lointain à l’infini. C’est cela l’imaginaire, cette profondeur de la représentation picturale alors que son support matériel est plat.

 Pour Husserl l’imaginaire suppose l’intentionnalité imageante qu’on appelle l’imagination, mais cette imagination est une conscience imageante, elle doit se connaître elle-même en tant qu’imagination. Si l’imagination ne se vivait pas comme imagination, il n’y aurait pas d’imaginaire. Donc l’imagination, avant de projeter l’image qu’elle imagine, s’auto-affecte. L’acte d’imagination est un acte vivant, il se rapporte à lui-même en tant qu’acte en s’éprouvant immédiatement, mais pas du tout comme il se rapporte à l’image. Il se rapporte extérieurement, ek-statiquement, à l’image et il se rapporte pathétiquement à lui-même: c’est ce rapport pathétique primordial que les phénoménologues occultent le plus souvent.

Michel Henry - Professeur émérite de Philosophie - Université Paul Valéry - Montpellier III

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