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Introduction:
Lorsque nous parlons, en utilisant de
façon personnelle une langue, nous sommes entraînés souvent à choisir une expression
sans trop savoir ce qu'elle recouvre ou si ce qu'elle désigne existe. Mais la
philosophie, fidèle à Socrate, exige cet effort de détermination pour savoir au moins
de quoi l'on parle avant de chercher si c'est du domaine de l'être ou du devoir être,
comme existence ou valeur.
Ainsi en va-t-il pour le terme humanité que
nous employons sans cesse avant d'assurer le sens du terme "homme": que signifie
"homme"? Qui est l'homme? A plus forte raison cette intersubjectivité sans
laquelle l'humanité ne serait pas apparue, exige le double effort de définition et
d'enquête car il est toujours possible qu'un besoin ou un désir soit à l'origine d'une
opinion ou d'une illusion portées par les termes: homme, humanité, intersubjectivité.
Intersubjectivité est composé de
"inter" qui suggère la relation entre, la communication et, de"
subjectivité" ou intuition du sujet par lui-même, de ce qui lui propre.
L'intersubjectivité désigne une relation de sujet à sujet dans ce qu'ils ont de propre,
leur existence en tant qu'elle serait alors affectée du signe "avec", selon
lheureuse formule de Gabriel Marcel, dans cette perception simple qu'ils ont
d'eux-mêmes.
La définition fait apparaître une
"broussaille" de questions: qu'est-ce qui est propre au sujet? Quel est le
processus de communication effectif sans lequel l'intersubjectivité ne serait
qu'imagination? Le sujet produit-il l'intersubjectivité ou est-ce l'intersubjectivité
qui fait émerger le sujet? Comment le sujet, qu'il soit donné ou constitué, peut-il
sortir de lui-même? Autrement dit comment une existence éminemment personnelle peut-elle
être affectée du signe "avec"?
Autant de chemins que la philosophie du XXème
siècle a suivis, de Husserl à Merleau Ponty de G. Marcel à Michel Henry, de Lachièze
Rey à Alain Renaut, en passant par l'incontournable Bergson.
Devant tant de travaux serait-il présomptueux
de demander: quel est le chemin parcouru, a-t-on avancé de quelques pas? Il est temps de
mesurer le parcours effectué et d'essayer de comprendre pourquoi la question de
l'intersubjectivité a décontenancé tant de talents? Quel effet a et aura sur
lintersubjectivité le développement dinternet qui permet des échanges et
des contraintes quasiment en temps réel?
Est-ce parce que, jusque là,
chacun, dans son existence, confondant l'individu et le sujet, soucieux avant tout de
tracer "son" propre chemin, dans son existence, pour laisser au terme de sa vie
une "pile de bois", que personne ne peut reprendre tellement elle lui est
propre, a témoigné par son refus du débat que l'intersubjectivité n'était qu'une
chimère démentie par un solipsisme réel à qui le choix quasi viscéral d'être
individu plutôt que sujet laissait le champ libre?
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-2- Et quand le débat a eu lieu, et s'est poursuivi entre Lachièze Rey et
Merleau Ponty nous essayerons de montrer qu'il n'a rien changé au parcours de chacun.
L'enjeu n'en demeure pas moins immense: fonder
l'intersubjectivité sur le sujet serait du même coup assurer les chances de la
démocratie: l'échec relatif de la démocratie est-il imputable au système ou doit-il
être imputé à des sujets qui se comportent comme des individus?
Essayons de comprendre, en relisant un
texte de Bergson, comment la réflexion sur l'intersubjectivité ne peut que se trouver
devant le même problème et risquer de déboucher sur la même aporie: l'ambiguïté de
l'immédiat et l'obscurité qui cerne tout lumière: pour avoir voulu donner la priorité
au catégorique, au détriment du parcours, de lenquête, comme si la quête de la
certitude avait fait oublier lavertissement de Parménide au jeune Socrate: "tu
es trop jeune", signifiant tu ne pourras le savoir quà la condition de le
chercher. Socrate a si bien compris le maître que nous le verrons toujours en mouvement
comme sil voulait quitter lignorance pour se diriger vers lobjet
désiré, le savoir.
Puisque lenquête ne peut être
omise, pour échapper à un dilemme ruineux (chap.1), elle devra porter sur
lintersubjectivité elle-même, celle du passé comme celle que permet la modernité
par les échanges.
On distinguera une intersubjectivité
diachronique entre des auteurs qui ne se sont pas connus comme Kant et Bergson (on aurait
aussi bien pu prendre Rousseau et Bergson) et une forme dintersubjectivité
synchronique entre des auteurs qui ont pu échanger comme Lachièze-Rey et Merleau-Ponty.
Restera à marquer la chance du XXIème siècle qui permettra des échanges, des
modifications de textes comme si loeuvre pouvait reprendre vie alors que dans le
passé, comme le remarque Platon, loeuvre écrite meurt instantanément comme si on
la jetait aux chiens ou selon lexpression de Mallarmé: "Aux noirs vols du
Blasphème épars dans le futur" (Mallarmé, Le Tombeau dEdgar Poe,
dernier vers).
Après ce qui peut être considéré comme
propédeutique nécessaire (comment en est-on arrivé à ce dialogue de sourds actuel que
lon masque mal en évoquant "des rationalités"?), nous ferons un effort
pour envisager ensemble une intersubjectivité nouvelle, plus authentique, entre des
sujets et non plus des individus. Elle est rendue possible par internet: elle serait
marquée du sceau de lhumanité vivante et délivrerait loiseau de Minerve qui
échapperait enfin à son rôle de fossoyeur.
--- > aller au chap.1:
-"Au-delà
du tiers exclu et du tiers donné: le tiers recomposé". |