Rodrigue aime
Chimène, qui l'aime aussi, ils sont tout à fait assortis par l'âge et le milieu
familial. Leurs deux pères, qui ont fait la guerre ensemble, se connaissent et
s'apprécient beaucoup. Don Diègue va bientôt faire la demande pour son fils, nous
savons qu'elle sera acceptée par le comte de Gormas, le père de la jeune fille, qui doit
choisir pour elle entre deux prétendants.
La fille du roi,
l'Infante (nous sommes en Espagne) aime elle aussi notre beau jeune homme, mais il n'est
pas question pour elle d'amourettes, ni de mésalliance, car le mariage d'une princesse
concerne l'État. Alors, pour éviter de rêver inutilement sur ce sentiment qu'elle garde
secret, elle a imaginé de favoriser autant qu'elle le peut le mariage entre Rodrigue et
son amie, la jeune Chimène.
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Observons ces deux
jeunes filles.
Chimène n'a
pas dit à son père lequel de ses soupirants elle préférait, si, par malchance, il
choisissait l'autre, elle l'épouserait, et tant pis pour son bonheur et celui de
Rodrigue. Pourquoi ce silence qui semble vraiment absurde?
Pour deux raisons, qui vont peser
lourd dans la suite.
1- La première, c'est qu'elle est totalement
soumise à son père et lui donnera toujours raison.
2- La seconde, c'est qu'une jeune fille bien
élevée n'avoue pas facilement ses sentiments. |
L'Infante ne songe pas un
instant à épouser Rodrigue parce qu'elle a ce qu'on appelle le sens du devoir, auquel il
est normal de sacrifier sa propre satisfaction. Elle a aussi le sens de la loyauté, ce
qui lui interdira toute intrigue auprès d'un homme marié.
Voilà deux
demoiselles pleines de principes!
Les règles qu'elles
suivent nous paraissent à juste titre très contraignantes. Si elles donnaient à ceux
qui les respectaient de solides repères pour se conduire dans la vie, elles posaient
parfois, nous allons le voir, des cas de conscience terribles.
Mais quel bonheur fou pour
celui qui, en dépit de toutes les objections a suivi la voie qui lui semblait juste,
celle que lui dictait l'honneur, et qui a réussi!
Pensez à cette
équipe de sauveteurs qui vient d'accomplir dans la Vanoise un exploit inespéré, pensez
à ce navigateur qui a renoncé à ses chances de victoire et s'est détourné de sa route
pour tirer de la tempête une concurrente en grand péril, pensez et à tant d'autres,
qui, plus obscurément, risquent eux aussi leur tranquillité ou leur vie pour porter
secours à des inconnus en danger! Comme nous leur sommes reconnaissants, et comme nous
voudrions être assez généreux pour les imiter!
Mais revenons à nos jeunes filles, si
réservées. Évidemment, elles n'ouvrent leur cur qu'à des personnes très sûres.
On trouve ainsi auprès de la plupart des héros un proche, ami, ou serviteur, qui lui
sert de confident, il est pour lui une sorte de miroir, un miroir parlant, où non
seulement il s'observe, mais qui l'informe, l'interroge et l'amène à bien préciser sa
situation. Grâce à ces gens fort précieux, nous savons exactement où en sont leurs
maîtres. Un autre procédé, plus artificiel, mais plus frappant, le monologue, permet
aussi à un héros de s'exprimer en toute liberté.
Tous deux contribuent à donner sur
l'action ce qu'on appelle parfois "le regard de Dieu", c'est à dire une vision claire et complète des choses. En effet, notre
théâtre classique prend forme au moment où se développe la réflexion logique, sous
l'influence du philosophe Descartes, dont le Discours de la Méthode pour bien conduire sa
Pensée est édité en 1637. On dit, depuis cette époque, que les Français ont l'esprit
cartésien, un esprit qui raisonne!
=> ... Hélas! Pendant que nous
raisonnons, pour Rodrigue,
Tout bascule (I-3, I-4)!
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