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LE CID  de Corneille  (p.6)

- Grand affolement!

 

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p.1- Beau comme Le Cid
p.2- Pour Rodrigue tout bascule
p.3- La plus difficile victoire
p.4- Vers une décision
p.5- Une difficile rencontre
p.6- Grand affolement!
p.7- L'amour aimé d'honneur
p.8- Le mouvement en général
p.9- Coup d'essai, coup de maître
p.10- Un style ---
p.11- Vers la victoire finale.
p.12- Le dialogue final

Don Gomès est vaincu par cette inflexible volonté. C'est lui, maintenant, qui invite au duel, avec cette réplique qui rachète toutes les autres, cette réplique qui dit non seulement son acceptation, mais son entière approbation:
"Viens! tu fais ton devoir, et le fils dégénère
Qui survit un moment à l'honneur de son père".

=Car un fils se disqualifie s'il accepte, sans réagir aussitôt, qu'on déshonore son père.
Dans cette lutte difficile, Rodrigue ne s'est laissé troubler ni par sa situation de petit lieutenant, face au général en chef , ni par celle d'amoureux face au père de sa belle. Sa détermination ardente et pourtant pleine de déférence, a triomphé de toutes les réticences du comte et elle a forcé son estime.
Voilà la deuxième victoire de Rodrigue. Toute morale, elle préfigure celle qui va se réaliser immédiatement dans le duel (mais vous connaissez suffisamment les règles classiques pour savoir que cet épisode sanglant se passera en coulisses).

GRAND AFFOLEMENT!
Les nouvelles vont vite, à la Cour. Tout le monde sait la dispute, et voici Chimène en pleurs chez l'Infante (II, 3), elle connaît assez les deux hommes pour avoir de quoi s'inquiéter, elle partage leur sens de l'honneur, elle ne peut trouver que chagrin dans le choix que fera Rodrigue:
"Soit qu'il cède ou résiste au feu qui me l'engage,
Mon esprit ne peut qu'être ou honteux ou confus..."

Si le duel a lieu, elle perd un être cher, s'il n'a pas lieu, elle aura honte de son fiancé.

=Chez le roi (II, 6), l'atmosphère est orageuse, Don Fernand est furieux:
"Au milieu de ma cour, on me donne ma loi!...
Il verra ce que c'est que de n'obéir pas",

et il donne l'ordre d'arrêter le comte.

C'est alors (II, 7), qu'arrive la nouvelle incroyable:
"Sire, le comte est mort.
Don Diègue, par son fils, a vengé son offense".

=JUSTICE!
Bientôt (II, 8), apparaissent la fille de l'homme tué et le père du meurtrier. Nous allons assister à deux plaidoyers, dont l'habileté nous rappellera que Corneille a exercé la profession d'avocat.
Après un échange très vif en demi-vers (en hémistichomythie), où s'opposent les deux parties, le roi donne successivement la parole à la plaignante, puis au défendeur.

£Chimène vient de voir le corps de son père, elle ne peut détacher son esprit de cette vision, qu'elle évoque avec horreur et réalisme: "mes yeux ont vu son sang couler à gros bouillons... ce sang... ce sang... ce sang qui tout sorti fume encore... répandu... couvrir la terre... son flanc était ouvert... son sang, sur la poussière... en cet état... sa plaie... triste bouche..."

Elle est dans une émotion et un chagrin intenses: "j'ai couru sur les lieux sans force et sans couleur... excusez ma douleur... la voix me manque.. récit funeste... mes pleurs et mes soupirs... misère... émouvoir..."

Elle veut faire partager son indignation par le roi, devant ce sang répandu "pour d'autres que pour vous... qui tant de fois garantit vos murailles... qui tant de fois vous gagna des batailles... que n'osait verser la guerre... et dans lequel "se baigne" "un jeune audacieux".

Elle peint Rodrigue comme un sanguinaire, un téméraire, un orgueilleux insolent, bravant les lois, bafouant la gloire des "plus valeureux" et mettant l'ordre public en péril: "votre couronne,... votre grandeur... votre personne... le bien de tout l'Etat".Car elle le poursuit, dit-elle au souverain, "plus pour votre intérêt que pour mon allégeance" (mon soulagement).

Avec une violence presque barbare, elle réclame "justice... punition... vengeance... supplice..." Elle crie, elle répète: "vengez... immolez... immolez..." et elle exige durement qu'on rachète "le sang par le sang".
Son discours, jailli d'instinct de son atroce souffrance, touche directement, par des émotions et des images violentes jetées en cris véhéments que rythment des répétitions.

=Il est cependant beaucoup moins simpliste qu'on pourrait le croire à première vue. Progressivement, une argumentation s'organise et prend de la hauteur. La notion de "justice" lancée au départ va s'affiner: il s'agit d'abord de "punir", et, même de "venger", Chimène, ensuite, rectifie le tir, elle abandonne le point de vue personnel pour mettre en avant une punition par l'exemple qui assurerait le bien commun.
Ainsi, après avoir évoqué son "devoir" filial, très habilement, elle élargit sa cause, pour lui donner plus de force et d'intérêt auprès du souverain.
=Tant d'intelligence et de finesse psychologique chez cette très jeune fille sont remarquables.
On peut aussi s'étonner de la vigueur acharnée avec laquelle elle réclame la mort de celui qu'elle aime. Vous rappelez-vous ce que nous disions sur son dévouement à son père, sur le sens du devoir et de l'honneur? Ce sont ici, n'en doutons pas, les grandes motivations de Chimène.
J'y ajouterai l'énergie du désespoir...

=Après les vives attaques de Chimène, le plaidoyer de Don Diègue, plein de tristesse et de dignité, risque de nous paraître un peu plat. En effet, tout son premier mouvement (v. 697-714) est une redite (je n'ai pas dit un radotage!) du dialogue avant la dispute et du monologue du premier acte. =Il ne peut donc plus nous intéresser ni nous apitoyer autant, mais il s'agit de toucher le roi, qui, lui, n'a pas encore entendu ces considérations.
Le rappel par Don Diègue de tous ses états de service veut, c'est évident, contrebalancer l'éloge du comte fait par sa fille, mais il a un caractère vraiment très "égocentré" et très appuyé.

=Ces souvenirs et ces plaintes visent à éveiller l'indignation à l'encontre du comte donneur d'affront et présentent sa mort comme une nécessité: "ainsi, ces cheveux..., ce sang,... ce bras... descendaient... infamie, si... un fils... il a tué le comte, il m'a rendu..., il a lavé..."

"Montrer du courage..., venger...", la faute ainsi posée doit-elle être punie? ("si..., si... mérite un châtiment...")

=Dans l'affirmative, Don Diègue se désigne comme le vrai responsable, le seul coupable, c'est donc lui, le vieux guerrier, qui doit être châtié:
"Sur moi seul doit tomber l'éclat de la tempête".

=A notre avis, il ne risque pas grand'chose, mais ce serait lui faire tort que de croire à un calcul, il est de la même étoffe que les deux duellistes et il est absolument sincère lorsqu'il affirme:
"Mourant sans déshonneur, je mourrai sans regret".

=De toute façon, sa proposition, tout à fait logique, est habile, elle répond aux exigences de Chimène:
"Immolez..., Immolez...
- immolez donc..."
"Le sang...
- aux dépens de mon sang".
"Vous perdez...
- conservez pour vous..."

Et elle ajoute certainement à l'embarras du roi.

Don Diègue répond d'une façon intelligente, circonstanciée et adroite aux accusations, à l'argumentation et à la demande de châtiment de Chimène. De plus, celui que nous accusions d'égoïsme se montre ici généreux et honnête à l'égard de son fils.

Peut-on parler d'héroïsme? Non, car il est juste qu'il cherche à réparer le préjudice causé à Rodrigue par son altercation, et la vie, il le disait, lui importe beaucoup moins que l'honneur.

Le préjudice causé à Rodrigue... En a-t-il saisi toute la profondeur?

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