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(III, 3) Chimène, après
avoir poliment éconduit Don Sanche, va enfin pouvoir se laisser aller, elle a vraiment
besoin de pleurer. Jusqu'ici, elle s'est comportée avec une maîtrise remarquable,
mais cet effort l'a brisée. Elle ignore, évidemment, que Rodrigue l'entend
(Corneille s'est permis là une situation qui est plutôt dans le style de la comédie).
=La confidente jouera
pleinement son rôle, nous la verrons amener sa maîtresse, par ses questions, à
préciser non seulement ses sentiments mais ses intentions. On peut même penser qu'elle
se fait un peu l'avocat du diable, pour mieux informer Rodrigue.
Dans son immense détresse, Chimène
n'est plus que larmes, elle voudrait s'y anéantir:
"Pleurez, pleurez, mes yeux, et
fondez-vous en eau!
Des deux êtres qui comptaient pour elle,
l'un est devenu le meurtrier de l'autre:
La moitié de ma vie a mis l'autre au
tombeau".
=Cette curieuse formule, presque
mathématique, résume très efficacement le tragique de sa situation: que lui reste-t-il?
Et que faire? Impossible de commander aux sentiments, elle aime toujours Rodrigue:
"C'est peu de dire aimer, Elvire, je
l'adore".
Cependant, elle doit venger son
père:
"Je ne consulte pas pour suivre mon devoir,
Je cours sans balancer où mon devoir m'oblige".
=Souhaite-t-elle vraiment obtenir gain de
cause? Hélas, non! Alors, n'a-t-elle pas assez montré sa piété filiale par sa
démarche auprès du roi? Ce n'est pas suffisant, à ses yeux:
"Il y va de ma gloire, il faut
que je me venge".
"Ma
gloire", nous avons déjà rencontré
l'expression chez nos différents antagonistes. Quand il s'agissait de la fille du roi, ou
de guerriers, on pouvait penser, sans approfondir, qu'il s'agissait de quelque chose
d'officiel, mais pour cette jeune fille, il faut envisager une autre explication.
La gloire, chez
Corneille, c'est le respect admiratif qu'on inspire aux autres, c'est aussi, voilà
le plus important, l'estime que l'on se porte à soi-même, et là, nulle
tricherie, nul faux-fuyant ne sont possibles.
S'agirait-il de
conscience morale? Pas vraiment: un homme tout simplement honnête et bon se contente
d'être en paix avec lui-même et n'a pas souci de cette sorte de gloire un peu
orgueilleuse, car il n'est pas un héros cornélien.
=Comme celui-ci
choisit (nous
l'avons vu à, propos des stances) de suivre la voie la plus difficile, cela exige
de lui des efforts et des renoncements qui ne sont pas à la portée de tout le monde.
Sa gloire, c'est la réalisation de l'idéal qu'il s'est fixé, y renoncer, même
pour des raisons mille fois excusables, serait déchoir à ses propres yeux.
=Nous devinons ce que va
décider notre héroïne:
"Pour conserver ma gloire et
finir mon ennui,
Le poursuivre, le perdre (=le faire mourir), et
mourir après lui".
=Voilà
Rodrigue renseigné. A quoi bon s'attarder? La sagesse lui conseillerait de s'éloigner
discrètement. Mais il est jeune, plein de fougue et très amoureux. Il a besoin de
revoir Chimène. Il ne songe pas qu'il va lui causer une émotion épouvantable en lui
imposant la présence du meurtrier de son père chéri.
Il suit son idée: premier devoir, mon père, c'est fait, second
devoir, ma fiancée, si elle me tue,
tant mieux. Et n'y aurait-il pas, malgré tout, un petit espoir de la faire évoluer?
d'obtenir d'elle un signe favorable?
Rodrigue s'élance (III, 4):
"Eh bien, sans
vous donner la peine de poursuivre,
Assurez-vous l'honneur de m'empêcher de vivre".
=Il reprend très
précisément les paroles de Chimène, dans les mots ou les idées, non seulement
pour montrer qu'il les a entendues, mais parce qu'il les comprend parfaitement. Il
commence par la vouvoyer, parce qu'il se présente devant son juge, mais très vite, les
deux jeunes gens retrouveront. La familiarité du
tutoiement et leur rencontre sera d'autant plus déchirante que leurs
conceptions et leurs sentiments sont en plein accord.
Voyons-en le mouvement général
(je préfère cette expression à celle de plan, qui suppose des parties coupées au
cordeau, or, c'est rarement le cas et on peut "découper" autrement que je ne
l'ai fait)
I
- (v. 849-870): La
Mort Obsédante,
II - v. 869-933:
l'Honneur
aimé d'Amour.
III - (933-962):
Punition
Immédiate!
IV - (963-997) Duo
d'Amour. "Va, je ne te hais point".
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suivante: Le mouvement de l'oeuvre
en général.
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