Et parce que les sens y agissent: l'oeil et
l'oreille sont actifs:
Abondance de
verbes visuels (voir,
paraître, discerner),
Importance de l'obscurité, puis de la lumière,
Magnifique vision, sous l'immense ciel nocturne, de la mer, où vient d'apparaître
la flotte ennemie (v. 1273-1276):
"Cette obscure clarté qui tombe des
étoiles,
Enfin, avec le flux nous fit voir trente voiles,
L'onde s'enfle dessous et, d'un commun effort,
Les Mores et la mer montent jusques au port."
(on note, bien sûr,
l'obscure
clarté, dont l'apparent paradoxe suggère à merveille la lumière froide de la nuit,
l'abondance, dans les vers 1274-1275, des consonnes continues évoquant le mouvement
souple des eaux et des vents: f,v,l,f,l,n,f,v,v,r,r,v,l,l,f,l,s,f,r, et au vers
suivant, une allitération de trois m, qui suggère la progression des vagues et
celle des troupes ennemies).
Un très long
silence: "sans faire aucun bruit... profond
silence", prépare l'effet de surprise du
tumulte
qui va suivre:"poussons jusques au ciel mille cris
éclatants", tumulte repris presque textuellement
au moment de la fuite: "poussent jusques au ciel des
cris épouvantables".
Tout est dit très simplement.
Rodrigue ne fait absolument pas mousser cette belle action militaire
dont il est légitimement fier. Cependant, sa pitié et son admiration à l'égard
de tous les combattants lui inspirent un bref passage qu'on peut qualifier d'oratoire
(v.1299-1302):
"Et la terre et le fleuve et leur flotte
et le port
Sont des champs de carnage où triomphe la mort.
O combien d'actions, combien d'exploits célèbres
Sont demeurés sans gloire au milieu des ténèbres..."
On trouve là rassemblés plusieurs effets de
style:
v.1299, accumulation
rythmée (3-3-3-3), soulignée par la répétition "et", avec l'encerclement des
éléments liquides (fleuve-flotte) par les éléments solides (terre... port), qui ne
laisse pas d'échappatoire où éviter le massacre.
v.1300, une allégorie (=
personnification), où la force des mots "carnage" et "triomphe" donne
l'image de la totale désolation.
v.1301-1302, une
exclamation, "ô", vigoureusement balancée par la répétition "combien...
combien..." (elle chante comme plus tard celle de Victor Hugo: "O combien de
marins, combien de capitaines...") lance cette contradiction si injuste:
"exploits célèbres... restés sans gloire", avec "gloire" à
l'hémistiche, s'opposant à "ténèbres" en fin de vers.
Quant à la conclusion du récit, elle est
touchante de logique et de naïveté:
"Et le combat cessa faute de
combattants".
Malgré cette discrétion, une
émotion profonde anime tout le
discours de Rodrigue.
La puissance souveraine de la marche à l'ennemi ouvre la narration dans l'enthousiasme:
"Cette troupe s'avance
Et porte sur le front une mâle assurance...
Tant, à nous voir marcher avec un tel visage... "
Le courage contagieux de cette poignée de volontaires opère
un miracle dont eux-mêmes s'émerveillent: "nous
nous vîmes trois mille en arrivant..."
Pour ces hommes "brûlant d'impatience" et
pour leur jeune chef, ces moments resteront inoubliables: "une si belle nuit"!
On sent la tension de leur regard vers l'horizon où se profilent les voiles
sarazines, puis leur souffle suspendu, tandis que s'approchent les agresseurs:
"On les laisse passer, tout leur paraît
tranquille,
Point de soldats au port, point aux murs de la ville..."
Puis c'est l'excitation féroce et joyeuse
de la ruée:
"nous nous levons... les nôtres... répondent, ils
paraissent... nous les pressons... nous les pressons... Et nous faisons courir des
ruisseaux de leur sang".
Ensuite Rodrigue découvre l'atrocité des corps à corps, qui:
"De notre sang au leur font d'horribles mélanges".
Il connaît l'incertitude:
|
"jusque au point du jour",
|
puis le
soulagement:
|
"Mais enfin, sa clarté montre notre
avantage".
|
Il ne cache pas son
mépris
pour les fuyards:
|
"Le flux les apporta, le reflux les
remporte".
|
Il dit son
admiration pour
les deux rois qui,
|
"tout percés de nos coups,
"Disputent vaillamment et vendent bien leur vie".
|
Nous avons devant nous un vrai chef.
=Il assume ses responsabilités: "sous moi (= sous mes ordres), cette troupe s'avance".
=Il
prend ses risques: "je feins hardiment d'avoir reçu de vous l'ordre qu'on me voit
suivre et que je donne à tous".
=Il
organise rapidement un plan de combat:
"j'en cache... aussitôt qu'arrivé... la garde en
fait de même... mon stratagème..."
=Son autorité s'impose à tous, les
soldats du port comme sa propre troupe exécutent ses instructions en temps voulu.
Au cours de la bataille, il coordonne les efforts et ne plaint pas sa peine:
"J'allais de tous
côtés encourager les nôtres,
Faire avancer les uns et soutenir les autres,
Ranger... pousser...".
=C'est lui qui intervient auprès des rois au moment de leur reddition.
Et devant Don Fernand (IV 3), ceux-ci rendent hommage à leur vainqueur en lui
décernant le titre de Cid, qui, "en leur langue est
autant que seigneur".
|
Cette
première rencontre avec les dures mais exaltantes réalités de la guerre, Rodrigue l'a
vécue intensément. Le récit qu'il en fait est célèbre à juste titre pour sa
clarté,
sa vivacité, sa simplicité, l'émotion qui s'en dégage et la belle figure de jeune chef
qu'il met en lumière.
Aurait-elle eu lieu, cette éclatante victoire, si d'autres ne l'avaient
précédée et préparée?
Au cours de cette journée, Rodrigue, qui avait
appris
à renoncer à ses intérêts personnels pour donner la priorité à ses devoirs, n'a
pas hésité à risquer sa vie pour son pays. |
=Par ailleurs, l'épreuve de la rencontre avec le Comte lui avait donné conscience de
sa valeur et elle lui a permis d'assumer sans crainte son rôle de commandement.
Don Fernand est ravi: Rodrigue saura remplacer le
Comte qu'il a tué. Quant à Don Diègue, il n'a plus de crainte pour son fils, le voici
non seulement pardonné, mais en pleine faveur.
=A ce moment-là (IV 4), on annonce
Chimène! Aïe!
Rodrigue n'a que le temps de s'éclipser, pendant
que don Diègue confie au roi ce qu'il sait des sentiments de la jeune fille:
"Chimène le poursuit, et voudrait le
sauver".
=Pour l'éprouver, Don Fernand lui annonce alors
(IV 5) la mort du meurtrier de son père. Elle a un instant de faiblesse, mais elle se
remet très vite et prétend que seule la joie de la vengeance a causé son malaise.
Impossible
de lui faire avouer qu'elle aime Rodrigue!
Pire que cela, quand elle comprend qu'il est vivant, elle s'entête à réclamer sa
punition, elle promet sa main à celui qui le combattra victorieusement et fera
triompher sa cause.
Don Sanche se propose, il est accepté, mais le roi, qui n'est guère satisfait d'exposer
son héros, pose en principe que
le vainqueur épousera Chimène,
même si c'est Rodrigue.
Celle-ci, après une certaine résistance, semble accepter cette condition.
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Vers la victoire finale!
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