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Rubrique Littérature : http://www.philagora.net/frindex.htm 

Molière - Don Juan et Sganarelle  

http://www.philagora.net/auteurs/moliere.htm

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-Regards de Serviteurs- page 1

Dans la littérature, et particulièrement au théâtre, on rencontre beaucoup de valets, de servantes, de nourrices. Placés dans l'intimité d'une maison, d'une famille, d'une personne, si nécessaires et si intégrés à la vie quotidienne qu'on oublie parfois leur existence propre, ils sont des témoins de chaque instant. Les maîtres, d'ordinaire, ne se sentent pas de réputation à soutenir devant eux. Ils se montrent tels qu'ils sont, et personne ne les connaît mieux que leurs serviteurs.
Nous allons donc interroger Sganarelle, Jacques le Fataliste, Figaro et quelques autres. Sans doute ont-ils des observations intéressantes à nous communiquer.

Au service de Don Juan: Sganarelle en voit de belles!

Constamment à ses côtés, il observe et juge chaque parole, chaque geste de son maître, qui ne lui cache ni ses projets, ni même le fond de sa pensée.

La chose ne nous surprend pas de la part de Molière, qui donne généralement aux domestiques des rôles d'importance. Loin de les cantonner aux tâches matérielles, il leur fait partager la vie et les soucis de la famille. Ils écoutent les confidences, donnent des conseils, élaborent des solutions, participent à leur réalisation, et leurs interventions dans l'action sont souvent décisives.

Pourtant, le valet de Don Juan fait exception. Il est, certes, le compagnon obligé de toutes les équipées, mais, toujours rabroué, ou raillé, jamais écouté, il n'exerce pas d'influence visible sur quoi que ce soit.

Il a donc bien des raisons de se plaindre de son patron, ou de le désapprouver, et il n'y manque pas, chaque fois que l'absence de ce dernier lui permet quelques confidences.

  • I- Que nous apprend Sganarelle sur la personnalité de Don Juan?

Dès la première scène, sa mise en garde à Don Guzman, l'écuyer de Done Elvire est effroyable. Sous l'exagération bouffonne, les termes naïfs, les traits pittoresques, Sganarelle, avec son simple bon sens, nous fait pressentir la course à l'abîme où se perdra son maître.

Car toute l'action est déjà là, tendue comme un ressort, dans le caractère intrépide que nous dépeint le serviteur, et cette attitude de défi perpétuel, donne à la comédie une formidable unité, malgré son apparence de roman picaresque. C'est: 

"le plus grand scélérat que la terre ait jamais porté, un enragé, un chien, un diable, un Turc, un hérétique, qui ne croit ni Ciel, ni Enfer, ni loup-garou, qui passe cette vie en véritable bête brute, un pourceau d'Epicure, un vrai Sardanapale qui ferme l'oreille à toutes les remontrances qu'on lui peut faire et traite de billevesées tout ce que nous croyons...

il me vaudrait bien mieux être au diable que d'être à lui... il me fait voir tant d'horreurs que je souhaiterais qu'il fût déjà je ne sais où. Mais un grand seigneur méchant homme est une terrible chose. Il faut que je lui sois fidèle en dépit que j'en aie: la crainte en moi fait l'office du zèle, bride mes sentiments et me réduit d'applaudir bien souvent à ce que je déteste".

Pourtant Sganarelle reste au service de ce terrible maître! C'est qu'on échappe difficilement, nous dit-il, à 

"un grand seigneur méchant homme".

Les actes donnent-ils raison à Sganarelle?

Son jugement terriblement sévère est peut-être excessif. Voyons si les faits dont le serviteur sera témoin tout au long de la pièce (rappelons que Sganarelle est constamment présent sur la scène) justifient ce pessimisme radical.

Grand seigneur, Don Juan l'est, à coup sûr!

"Pensez-vous que, pour être de qualité, pour avoir une perruque blonde et bien frisée, des plumes à votre chapeau, un habit bien doré et des rubans couleur de feu... vous soyez plus habile homme, que tout vous soit permis...? "

ose lui dire son valet, qui sait parfois montrer du courage, même si ses remontrances ne servent à rien.

  • Don Juan profite en toute occasion des avantages de son rang.

Il a le comportement des privilégiés. Tout lui semble dû, de la part de ceux qu'il considère comme ses inférieurs, il ne ressent à leur égard aucun devoir de reconnaissance, ni même de simple respect.

Que Sganarelle coure la ville pour trouver des armes, ou un déguisement, qu'il assume l'ennui d'éconduire un importun, ou l'embarras de justifier une conduite inqualifiable, qu'il prenne le risque de recevoir des coups destinés à un autre, qu'il s'épuise sur les grands chemins pour les aventures de son maître, c'est tout à fait naturel, puisqu'il est à son service. Pour sa peine, il recevra peut-être en prime rebuffades ou menaces, mais soyons justes, il n'est jamais réellement battu, comme, par exemple, Maître Jacques par Harpagon..

Que des paysans sauvent Don Juan de la noyade au péril de leur vie, qu'ils l'hébergent chez eux et le remettent sur pied, cela mérite si peu de considération qu'il n'aura aucun scrupule à courtiser leurs amies, du moment qu'il les trouve à son goût.

Qu'un pauvre ermite, après lui avoir indiqué sa route, lui demande en retour une petite aumône, il ne lui viendra pas à l'esprit que ce brave homme peut avoir vraiment besoin d'aide, ni que toute peine mérite salaire.

Qu'un commerçant, lui ayant prêté de l'argent, souhaite rentrer dans ses fonds, il ne tiendra aucun compte de ce désir bien légitime et, au lieu de régler sa dette, il forcera son créancier au silence, avec de débordantes protestations d'amitié.

Reconnaissons que de tels abus n'ont absolument pas disparu avec l'Ancien Régime. La Révolution, si elle a modifié la donne, n'a pas transformé les mentalités. Des gens puissants par leur fortune, leur situation ou leur savoir imposent encore leur volonté à plus faibles qu'eux, car il existera toujours des dominateurs et des dominés.

  • Don Juan, c'est évident, fait partie des premiers.

  • Il a aussi l'avantage d'appartenir au sexe fort, et, machiste dans l'âme, il n'attache aucune importance à l'affectivité des femmes, leur bonheur ou leur malheur lui sont absolument indifférents. Il n'a jamais dû se demander ce qu'elles attendaient de l'amour.

  • L'amour, pour lui, est un jeu aussi glorieux que la guerre, aussi passionnant que la chasse. Il en détaille les approches avec une gourmandise sensuelle, mais son intérêt s'épuise aussitôt le but atteint et il ne se renouvelle qu'en variant l'objet de sa poursuite. Sa perpétuelle course vers d'autres amours, est, dit-il, l'hommage qu'il doit universellement aux femmes et ce serait les offenser que de les en priver! "Mon coeur, dit-il, est à toutes les belles, et c'est à elles à le prendre tour à tour et à le garder tant qu'elles le pourront". Voilà donc justifiée son infidélité de principe.

Méchant homme,

il n'hésite pas à faire du mal pour satisfaire son bon plaisir.

Il éveille l'amour dans le cœur d'une jeune fille destinée à la vie religieuse, et, pour faire taire ses scrupules, lui inspirer confiance et la convaincre de sortir du couvent, il s'engage avec elle dans les liens d'un mariage légitime. Puis il l'abandonne sans même l'en prévenir dès que sa passion pour elle est devenue moins excitante.

Témoin de la tendresse que se témoignent deux jeunes fiancés, il en éprouve de la jalousie et il décide de se mettre en travers de ce bonheur. Ses efforts de séduction auprès de la belle n'ayant obtenu aucun succès, il n'hésite pas à monter un enlèvement (qui échouera).

A peine tiré de la noyade par les sympathiques paysans qui le ramènent dans leur chaumière, le sèchent et le réconfortent, il réajuste sa tenue de la façon la plus avantageuse, pour éblouir ces braves gens et courtiser successivement, puis simultanément les deux jolies filles du voisinage. Il leur fait miroiter mariage et vie de château, jette la zizanie entre ces deux amies et tente de couvrir de ridicule son sauveteur, qui est le fiancé de l'une d'elles.

Non content de refuser un secours à l'ermite mendiant, il le blesse en se moquant de ses convictions religieuses.

Il désole son père par son inconduite, et, lors d'une visite de celui-ci, au lieu de manifester un semblant d'intérêt aux exhortations du malheureux, il l'offense par des marques de respect et des prévenances insultantes à force d'exagération, qui soulignent sa parfaite indifférence à la douleur paternelle.

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