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Rubrique Littérature : http://www.philagora.net/frindex.htm 

Diderot- Jacques le Fataliste. 

"Le Titre et la Chose".(page 4)

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1- L'affrontement. - 2- Un Arbitrage Positif. 
-3- Une mise au Point valorisante pour le Valet. 
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4- Vers une Amitié Véritable?

1 L'affrontement.

"Si Jacques n'avait pas valu un peu mieux que son maître..." ose dire le valet, évoquant sans discrétion un de ses exploits. La réaction est immédiate:
- "Jacques, vous êtes un insolent, vous abusez de ma bonté. Si j'ai fait la sottise de vous tirer de votre place, je saurai bien vous y remettre. Jacques, prenez votre bouteille et votre coquemar et descendez là-bas."

Voilà donc notre homme chassé de l'étage noble et renvoyé avec la valetaille! Loin de baisser le nez, il fait cette réponse incroyable: "Je me trouve bien ici et je ne descendrai pas".
C'est la rébellion! Elle s'explique fort bien de la part de qui s'est toujours conduit à sa guise, et ne peut croire à ce brusque changement de ton, ni à cette prise de distance tellement inhabituelle.

Quelle humiliation et quelle déception!
"Comment, Monsieur, après m'avoir accoutumé pendant dix ans à vivre de pair à compagnon... Après avoir souffert toutes mes impertinences... Après m'avoir fait asseoir à table à côté de vous, m'avoir appelé votre ami..."
Le maître, qui a perdu toute autorité personnelle par sa trop grande familiarité, ne peut plus se prévaloir que de son rang: "Vous ne savez pas ce que c'est que le nom d'ami donné par un supérieur à son subalterne"...

Cela n'impressionne pas le révolté! Il refuse encore d'obéir, on insiste, les gestes se font plus secs, le ton monte... L'aubergiste accourt, alertée par le bruit. Elle sait que la polémique entre eux n'est jamais très loin, Jacques, la veille, n'avait-il pas déclaré que l" on compterait peut-être plus de bons valets que de bons maîtres"!
Pour l'instant, il crie: "C'est mon maître... il est fou!" celui-ci corrige, prenant bien tardivement conscience de sa faiblesse à l'égard de son valet: "C'est bête que tu veux dire."

2 Un Arbitrage Positif.

Fort heureusement, les deux hommes s'accordent pour accepter l'arbitrage de leur hôtesse. C'est une femme raisonnable: "après tout, fait-elle admettre, un maître est un maître..."
Elle écoute attentivement l'exposé de Jacques et conclut "que son maître est un bon, un très bon, un trop bon maître et que Jacques n'est pas un mauvais serviteur", encore qu'il ait commis l'erreur de considérer comme définitivement acquis un traitement de pure faveur.

Elle obtient de l'un qu'il descende avec elle en signe de soumission (mais il pourra remonter aussitôt!), de l'autre qu'il accueille son serviteur avec des mots d'amitié, en lui tendant la main. Tous deux promettent qu'il ne sera désormais plus question entre eux de prérogatives.
Alors, "Jacques donna le bras à l'hôtesse, mais à peine eurent-ils passé le seuil de la chambre que le maître se précipita sur Jacques, l'embrassa, quitta Jacques pour embrasser l'hôtesse et les embrassant l'un et l'autre, il disait: "Il est écrit là-haut que je ne me déferai jamais de cet original-là... qu'il sera mon maître et que je serai son serviteur..."

"Vous ne vous en trouverez pas plus mal tous les deux!" conclut l'hôtesse.

3 Une mise au Point valorisante pour le Valet.

Jacques va tirer parti de ce moment d'attendrissement:
"je sens et je sais que vous ne pouvez vous passer de moi, j'abuserai de ces avantages". Son maître, un peu inquiet de ce préambule, doit pourtant le laisser poursuivre:
"il est aussi impossible à Jacques de ne pas connaître sa force et son ascendant sur son maître qu'à son maître de méconnaître sa faiblesse et de se dépouiller de son indulgence, il faut que Jacques soit insolent et que, pour la paix, son maître ne s'en aperçoive pas". Après avoir balayé les objections de son maître, un peu vexé, malgré tout, par la rude franchise de ce constat, il conclut:
"Toutes nos querelles ne sont venues jusqu'à présent que parce que nous ne nous étions pas encore bien dit que vous vous appelleriez mon maître, et que c'est moi qui serais le vôtre" (autrement dit, que "vous auriez le titre et que j'aurais la chose").

4 Vers une Amitié Véritable?

Après cette mise au point, les relations s'établissent sur un pied d'égalité entre les deux compagnons de voyage. Peut-être libéré, de ce fait, le maître prend plus de relief, nous le découvrons intelligent, efficace et humain.
Pour ménager les cordes vocales de son valet, il lui arrive d'assumer à sa place le rôle de conteur. Il narre alors avec brio ses folies de jeune homme, il fait confidence de ses mésaventures amoureuses, et il ne se ménage pas en avouant l'incroyable naïveté avec laquelle il s'est fait plumer par deux filous. Une telle simplicité, face à un "je-sais-tout" comme Jacques mérite notre sympathie!
Les discussions ne sont plus des monologues où brille le seul valet, mais des échanges de vues. Le maître se montre capable de contrer Jacques sur les sujets les plus variés, la liberté par exemple, avec beaucoup de force et de bon sens.
Inquiet de l'extraordinaire perspicacité du garçon, il feint, pourtant, un jour, de la croire d'origine diabolique, et suggère à son invétéré buveur de vin de "se mettre à l'eau bénite pour toute boisson"!
Notre incorrigible, lui, continue à tirer les ficelles: n'invente-il pas, pour faire reconnaître à son maître qu'il a toujours été "sa marionnette", "son polichinelle", de lui préparer par jeu une chute de cheval où il aurait pu se briser les os! Il est vite pardonné pour ce vilain tour!

Mais celui que nous prenions pour un balourd et un peureux sait lui aussi faire preuve de présence d'esprit, et d'agilité: voyant surgir à l'improviste un personnage qui a un vieux compte à régler avec lui, il tire son épée aussitôt, et, dans le duel qui va suivre, met vite son ennemi définitivement hors d'état de nuire.
Lorsque cet événement, obligeant l'un et l'autre à la fuite, les sépare pour quelque temps, la fidélité du maître ne se dément pas: il "ne prenait pas une prise de tabac, ne regardait pas une fois l'heure qu'il était, qu'il ne dît en soupirant: "Qu'est devenu mon pauvre Jacques?"
La chance provoque leurs retrouvailles. Jacques épouse enfin son amie, la jolie Denise, et il obtient la charge de concierge au château où réside son maître. Va-t-il connaître le bonheur et le tranquillité?
Hélas! le maître et ses amis sont tous plus ou moins amoureux de la jeune femme! Verrons-nous donc se rompre ici une bonne amitié?
Diderot n'en a pas le coeur et nous laisse dans l'incertitude:
Le maître "se disait le soir à lui-même: "S'il est écrit là-haut que tu seras cocu, Jacques, tu auras beau faire, tu le seras. S'il est écrit, au contraire, que tu ne le seras pas, ils auront beau faire, tu ne le seras pas. Dors donc, mon ami"...

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