Le valet mène les choses rondement. Après quelques approches
galantes, il réclame sans ambages: "Dites-moi
que vous m'aimez". Lisette, plus consciente des réalités,
nuance sa réponse: "Mon coeur vous aurait
choisi dans quelque état que vous eussiez été". Cette
affirmation amène en écho: "Quand vous ne
seriez que Perrette ou Margot, quand je vous aurais vue le martinet à la main
descendre à la cave, vous auriez toujours été ma princesse".
Après ces précautions oratoires, il va chercher à boucler l'affaire:
"Jurons-nous de nous aimer toujours..."
Bientôt, il annoncera sa "bonne aventure"
à son maître, son "bonheur qui va son train".
Il est convaincu qu'il va "faire fortune"
et réplique à Dorante, incrédule, qu"un
coquin peut faire un bon mariage". L'aveu de sa condition ne
lui semble pas menacer son projet: "J'espère
que son amour me fera passer à table en dépit du sort qui ne m'a mis qu'au
buffet", déclare-t-il d'une façon réaliste.
Après un assaut d'humilité, où chacun tâche de ménager sa
révélation, ils découvriront la vérité. Leur déception mutuelle sera
de courte durée,
nous y reviendrons à propos de l'opinion de Marivaux.
Ce qui est certain, c'est que, comme nous l'annoncions, nos deux serviteurs
trouvent dans leur déguisement l'occasion de se divertir. Sans
doute trouvent-ils un grand plaisir à se faire la cour, élégamment vêtus et
installés au salon, comme chez eux. Ils peuvent aussi jouer aux maîtres,
dont ils connaissent si bien les façons.
Lisette donne des ordres: "Je vais à ma
toilette, venez m'y coiffer, Lisette... un
peu d'attention à votre service, s'il vous plaît", et
Silvia s'y prête de bonne grâce: "Vous serez
contente, marquise!"
Arlequin, quant à lui, rabroue son monde: "Eh!
m'amie, revenez dans un quart d'heure, allez, les femmes de chambre de mon pays
n'entrent point qu'on ne les appelle". Il s'impatiente:
"Maudite soit la valetaille qui ne saurait nous
laisser en repos!". Il exhale sa mauvaise humeur et son
mépris: "Ah! les sottes gens que nos
gens!" . Il affiche une indifférence pleine de hauteur: "Un honnête homme ne prend pas garde à une chambrière".
Pour qu'on prenne soin de son valet, il précise,
goguenard: "Le gaillard est gourmet, il boira
du meilleur". Il prend un ton protecteur pour dire à Silvia:
"Je vous recommande Bourguignon, c'est un
garçon qui a quelque mérite".
Ils peuvent s'offrir le luxe de faire un peu enrager leurs maîtres.
Lisette s'amuse à faire rougir Silvia en la taquinant sur Dorante. Arlequin,
une fois détrompé, va se consoler en affirmant à son maître que la fille de
la maison l'accepte tel qu'il est: "Voulez-vous
gager que je l'épouse avec la casaque sur le corps?". Comme
Dorante menace de prévenir monsieur Orgon, il s'écrie: "Qui?
Notre père? Ah! le bon homme! Nous l'avons dans la manche!"
Et
il conclut d'un ton souverain: "Adieu! Quand
j'aurai épousé, nous vivrons but à but (= sur le même
plan)".
Des maîtres un peu coincés,
des domestiques sans complexes, le dénouement qui remet tout à sa
place va peut-être nous permettre de voir ce que Marivaux aurait à
nous dire.
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Marivaux
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