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Achille:
la sensibilité du héros
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(Page 18)
-Un moment inoubliable.
Le passage où se révèle toute la sensibilité du héros,
Homère l'a réservé pour le dernier chant. Sur les recommandations de sa
mère, Achille se résigne à faire cesser sa rancune, à accepter une
immense rançon et à rendre le corps d'Hector à son père.
Une intense émotion naît de la rencontre entre le
vieillard et le jeune homme, que rapproche en une miraculeuse compassion
l'expérience du chagrin.
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Protégé par Hermès, Priam est arrivé jusque devant
Achille, en suppliant, il saisit ses genoux: "Souviens-toi de ton
père, Achille pareil aux dieux. Il a mon âge... il est tout comme
moi..."
Il dit, et chez Achille, il fait naître le désir de pleurer
sur son père. Il prend la main du vieux et doucement l'écarte. Tous les
deux se souviennent: l'un pleure longuement sur Hector meurtrier, tapi aux
pieds d'Achille. Achille, cependant, pleure sur son père, sur Patrocle
aussi, par moments, et leurs plaintes s'élèvent à travers la demeure.
Mais le moment vient où le divin Achille a satisfait son besoin de
sanglots... il se lève, il prend la main du vieillard, il le met debout.
Il s'apitoie sur ce front blanc, sur cette barbe blanche..."
Il s'apitoie devant la tragique destinée de celui qui fut un
roi puissant et dont il a tué les fils.
Évitant au vieux père la vue du cadavre de son enfant, il fait
soigneusement préparer le corps hors de la chambre, puis il prend soin de
restaurer son visiteur.
"Et lorsqu'ils ont chassé la soif et l'appétit, le
fils de Dardanos admire Achille: qu'il est beau! à le voir, on dirait un
dieu. De son côté, Achille admire Priam, fils de Dardanos, il contemple
son noble aspect, il écoute sa voix... il se sont longuement complu à se
regarder..."
Achille veille ensuite au confort de Priam et à sa sécurité.
Il s'enquiert aussi de la trêve nécessaire aux obsèques d'Hector:
"Il en sera fait comme tu le demandes, vieux Priam: je suspendrai
la bataille aussi longtemps que tu m'en pries."
Pour ces brefs instants de grâce, nous pardonnons beaucoup
à Achille!
-5 -Est-il un héros?
Cette admirable machine de guerre est donc capable de
sentiments.
Malgré son caractère ombrageus et violent, il sait la douceur d'aimer
une femme, il connaît le prix de l'amitié, il goûte les joies
de la camaraderie. S'il voit rarement son père, la vue d'un
vieillard l'émeut toujours, et il avoue que la nouvelle de sa mort serait
une des plus douloureuses qu'il puisse apprendre (en revanche, il ne
s'attendrit pas sur sa mère, qui vient constamment le trouver...).
Nous sommes en face d'un homme, dont la beauté, la fortune,
les exploits guerriers font un véritable héros de légende.
Qu'est-ce à dire?
Entre lui et ses compagnons,
ceux que, pour leur bravoure ou leur abnégation, nous avons appelés des
héros, il y a une sorte de distance. Il est un des leurs, mais en
même temps, il est autre. Son origine divine, son évidente supériorité
militaire, l'appui constant des immortels, le mettent à part.
Mais une raison plus profonde fait naître autour de lui
l'admiration et la crainte: c'est un homme "voué à mourir
avant l'heure". Il le sait et, malgré tout le prix qu'il
accorde à la vie, il l'accepte parce que c'est la condition de son plein
accomplissement de guerrier, "sa gloire".
Chaque soldat qui part au combat ignore s'il en reviendra,
mais il espère toujours. Achille, lui, ne se berce d'aucune illusion:
il ne rentrera pas dans sa patrie, sa mère l'a averti qu'il périrait "sous
les murs de Troie".
Voilà la vérité de celui que nous pensions surprotégé. Certes, il
donne la mort avec une efficacité multipliée par l'aide des dieux, mais
il est prêt à la recevoir à son tour. En plein carnage, il
conserve assez de détachement et de lucidité pour dire sa propre
fragilité: "je suis beau, je suis grand, je sors d'un noble père,
une déesse fut ma mère. Et néanmoins la mort est sur ma tête, et l'impérieux
destin. Un matin viendra -un soir, un midi- où quelqu'un au combat
m'arrachera à moi aussi la vie".
Malgré cette certitude, il se jette à corps perdu dans la mêlée.
C'est là son héroïsme. On peut en contester l'utilité ou le mérite, parce
qu'il n'est pas motivé par l'altruisme, comme celui d'Hector, par
exemple, mais le sacrifice de soi qu'il implique éveille l'admiration.
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un magnifique soldat.
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