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Le
personnalisme.
Le personnalisme, une philosophie qui a la fraîcheur de la vie |
On le voit, cette définition articule deux aspects qu'elle noue inextricablement : le pouvoir de penser par soi et le vouloir de vivre pour soi. Cette imbrication forme le noyau dur du paradigme de l'individualisme. C'est cette association qui sera dénoncée par le personnalisme, ce paradigme de la seconde modernité.
Le mot " personne " se révèle lui-même très significatif du fond humain de l'existence que scrute inlassablement la philosophie personnaliste . Ce mot permet de situer l'objet de son discours, lequel forme une " philosophie des visages ". Car, la seule langue natale des hommes, selon Christian BOBIN, " c'est celle des visages ". Le mot " personne " s'y réfère pleinement. En latin, " persona " est un mot d'origine étrusque qui désigne le masque que portaient les acteurs du théâtre. On y verra une métaphore du visage humain dans la mesure où le visage parle en échappant à la capture des descriptions qui le figent (celles qui " dé-visagent " littéralement). En grec, le mot " prosôpon " désigne un autre aspect de la personne, lui aussi encore lié au visage : " être face aux yeux d'autrui, face tournée vers l'Autre, en relation, en rapport avec autrui, être-en-communion " (André BORRELY).
La philosophie personnaliste procède donc d'une réflexion sur ce fond humain de la vie. Elle examine " ce qui se passe " dans le concret de la relation nouée au-delà de la séparation des êtres. Qu'advient-il lorsque les hommes se rencontrent, se font face ? Ce fond vital est fait de situations, de pensées, de paroles et de gestes. La philosophie qui s'efforce de comprendre le " sens " de ces événements se présente ainsi d'abord comme une interprétation (on dit : une " herméneutique ") : pourquoi, comment, l'homme devient-il véritablement homme dans la rencontre de l'autre homme ? Qu'est ce qui surgit du puits de cette rencontre ? C'est à ces questions d'une insondable profondeur que se sont attachés des philosophes aussi marquants que Martin BUBER (1878-1965) et Emmanuel LEVINAS (1905-1995).
L'épreuve existentielle du vécu et sa compréhension intuitive précèdent toute démarche philosophique. C'est pourquoi, la pensée personnaliste, qui se construit à hauteur d'homme, a la saveur de la vie. Avant d'aborder son apport en tant que philosophie, il me fallait souligner ce trait, qui lui confère tant de fraîcheur. Mais cela signifie aussi, par corollaire, qu'il n'est pas du tout nécessaire de connaître la philosophie personnaliste pour s'inscrire dans le paradigme personnaliste (alors qu'il est problématique de se prétendre marxiste sans maîtriser ne serait-ce que les rudiments du socialisme scientifique). On peut être personnaliste sans le savoir. Appliquer au personnalisme le statut d'un paradigme assigne d'emblée un rôle limité à la philosophie. Celle-ci se veut modeste, sachant que son sujet d'étude ne se laisse pas épuiser par une réflexion qui prétendrait en faire le tour. Le discours philosophique parle du personnalisme mais ce dernier, comme réalité vécue, y est seulement évoqué. Il n'est pas entièrement parlé dans ce discours. Il le déborde de toute part. C'est pourquoi, le personnalisme échappe à toute " systématisation définitive " (Emmanuel MOUNIER), à toute totalisation .
Mais la vraie raison de l'impossibilité d'une compréhension définitive réside dans la personne elle-même, dans chaque personne. Toute personne demeure un mystère . Paraphrasant le philosophe Jean BRUN , on pourrait dire que ce n'est pas nous qui parlons du personnalisme et des personnes, c'est lui et ce sont elles qui nous parlent.
Moyennant cette mise au point, il est possible d'identifier un noyau dur dans la philosophie personnaliste. Il consiste à affirmer la prééminence d'un événement qui conditionne l'accession de l'homme à son humanité. Cet événement est celui de la " relationalité" . Le noyau dur de la philosophie personnaliste consiste à situer l'accession de l'homme à son humanité dans l'événement de la relation, l'événement de la rencontre . Cela veut dire que nous ne naissons pas hommes, nous le devenons dans la rencontre des autres, à travers le face-à-face des visages et l'élection à la responsabilité. " Au commencement est la relation", selon la forte formule de BACHELARD. Une sorte d'impératif catégorique personnaliste se dessine : " agis toujours de telle façon qu'Autrui puisse grandir en tant qu'être relationnel, conformément à l'à-venir de son humanité. "
Poursuivant son travail d'interprétation, la réflexion philosophique découvre que la relation est elle-même à l'origine de la raison. L'éthique, c'est-à-dire l'événement de la responsabilité, précède la connaissance, engendre la raison. L'éthique (le devoir) précède l'épistémologie (le savoir). C'est là une autre affirmation centrale du personnalisme, dérivée de ce noyau dur de la " relationalité ". " Le monde n'est pas que pour moi ", " Je n'en suis pas le centre affamé " : voilà l'essentiel du discours à l'origine de la raison, cette puînée (sœur cadette) de la " relationalité ". En somme, en reconnaissant l'existence d'une raison pratique, " raisonnable " parce qu'humaine, le personnalisme réintroduit un principe de réalité au cœur de la rationalité.
Le travail qu'opère la philosophie personnaliste à partir de la " relationalité " se prolonge dans une vision originale de l'organisation de la société. Cette vision forme une véritable idéologie.
Vers 3 Restaurer la place de l'idéologie
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