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Oui-oui: Ces
quais, ces voiles m'inspirent. Ah partir! Mais pourquoi partir si je dois
revenir?
Hibou:
pour un mouvement d'aller et retour: pour échanger
par exemple donner et recevoir ?
Oui-oui
(impertinent): Allons donc. Quand je donne c'est sans contre-partie. Parce que
ça me plaît de le faire ... A qui je veux! Pas à tous.
Hibou:
Pourtant, si je reçois en échange c'est que ce que je reçois est bien donné:
je peux en disposer à mon gré, selon ma volonté. Il faut bien que j'ai
commencé à donner quelque chose, à le laisser à la volonté d'un
autre.
Oui-oui: L'échange
serait-il une forme particulière du don?
Le don serait donc premier?
Hibou:
Il y aurait eu d'abord
partage
des biens conquis à la chasse ou à la pêche,
puis circulation des biens à
l'intérieur d'un groupe social ou dans les familles, enfin dans certaines
sociétés des échanges entre producteurs, le troc
ou le marché avec l'intermédiaire d'une monnaie.
Mais le thème dit "l'échange" et
non pas les échanges.
Si le don a pour condition le sentiment il n'est pas pour tous, si l'échange a
pour condition la raison, le calcul, il est théoriquement pour tous. C'est la
vieille distinction entre aimer et respecter.
Oui-oui: Il
nous reste donc à faire une enquête pour savoir ce
que cela est l'échange:
nous dirions d'abord qu'un de ses caractère est d'être universel
c'est à dire tourné vers tous, ce qui me semble
faire intervenir l'idée d'humanité plus que le
don (?) Je veux dire que le respect dépasserait
l'amour, dans la mesure où l'échange s'élargit aux dimensions de l'humanité
comme ensemble de personnes respectables.
Hibou:
Quoi qu'il en soit, nous sommes en quête de la bonne définition qui mette à
jour un ou plusieurs caractères essentiels de l'échange.
En parlant des échanges ne
te semble-t-il pas que nous sommes allés trop vite , évoquant des exemples de
transfert de biens ou de services , alors que l'échange
concerne aussi bien notre dialogue actuel.
Oui-oui:
Diable! On pourrait échanger des idées
bien constituées ou même des vérités.
Hibou:
Au risque de s'enfermer dans un temple comme le
fanatique, ce qui fait dire à J. Lacroix dans Le Sens du dialogue (page
130). "Ceux qui ne sont pas des êtres de dialogue sont des fanatiques."
D'ailleurs si tout est constitué, il n'y aurait plus que monologues
à deux.
L'échange comme dialogue,
ne serait-ce pas le moyen idéal de former des idées devant et avec autrui,
penser par soi-même avec un autre?
Oui-oui:
J'ai peine à te suivre. Je comprends bien que dialoguer c'est
communiquer. Actuellement oui-oui et Hibou communiquent.
Mais où est l'échange? Qu'est-ce qui est échangé? Qu'est-ce que je donne?
Qu'est-ce que je reçois?
Hibou:
N'est-ce pas d'abord, à l'origine du dialogue, la considération que chacun
porte à son interlocuteur qui est échangée?
En effet, le dialogue ne peut débuter sans cette reconnaissance, une sorte de
mouvement, d'intention réciproque de chacun des deux interlocuteurs vers
l'autre. Tu peux appeler cela l'attention:
chacun en appelle à l'humanité de l'autre. Chacun donne et reçoit.
Oui-oui: Mais
comment échanger ce qui est semblable: c'est inutile! si je l'ai je n'en ai pas
besoin , je perds mon temps.
Hibou:
Ce qui est échangé c'est une reconnaissance que je ne peux me donner à moi
même: elle est pour autrui. Je la donne et je la reçois ,c'est un échange. Ce
n'est pas un objet contre lequel je recevrais un autre objet de valeur
équivalente mais la capacité d'un sujet contre laquelle je donne ma capacité
de sujet. Je mets en commun et autrui met en commun une capacité de
penser. Si je te dis comment je forme une idée, ton
intervention peut être précieuse car, grâce à elle, ce que mon esprit forme
peut être rectifié, reformulé et dans le meilleur des cas partagé. Le
dialogue est la route vers l'universel. Penser par soi
même avec autrui n'est plus un paradoxe : dans le mouvement d'un dialogue , en
exprimant la formation de ce qui n'est qu'une opinion chacun, grâce aux
remarques de l'interlocuteur et à ses efforts, participe à la formation des
idées. Ce n'est donc pas l'idée figée et morte qui est échangée mais la
capacité des Sujets à être auteur de leurs représentations, à les ajuster
de mieux en mieux qui est partagée. Pour ainsi dire dans le dialogue
j'expose ce que je crois aux feux des objections. "Démonstration,
réfutation, objection,... la logique apparaît historiquement sous la forme du
dialogue et prend le nom de dialectique." Goblot, Traité de
logique, page 37
Oui-oui: Et
réciproquement ! C'est donc bien un échange.
Hibou:
Bien dit! Réciproque se dit d'une activité qui s'exerce à
la fois d'un premier terme à un second et du
second au premier: l'exposition, le feu des objections, la re-formulation; le
locuteur devient auditeur et l'auditeur locuteur tour à tour. L'échange
dans le dialogue est aussi un échange de rôle.
C'est la disparition du maître et de l'esclave et l'avènement une liberté
partagée.
Oui-oui: Je
comprends mieux: l'échange serait
donc un acte, une sorte de mouvement, une intention réciproque, qui réunit
deux sujets pour mieux penser. J'ai une objection à ton discours: dans tout
échange il y a une certaine égalité entre ce qui est échangé: or si je te
pose une question et si tu réponds peut-on sérieusement parler d'échange: une
question contre une réponse !
Hibou:
La question est bien l'activité d'un sujet sinon, il répèterait "par cœur":
croyant à ce qu'il voit et à ce qu'il entend, il ne questionnerait pas.
L'origine de la question n'est-ce pas un exercice de la raison, un calcul déçu
qui provoque un étonnement? Une question bien posée n'oriente-t-elle pas vers
la réponse? Ce qui est échangé dans le dialogue c'est donc plus une
activité, une recherche que des idées. Penser n'est-ce pas savoir interroger
et savoir répondre comme le dit avec bonheur Platon?
Oui-oui (pensif,
comme s'il se parlait à lui même): Alors, même seul, je dialogue.
Hibou:
Oui, c'est le même qui sait interroger et qui sait
répondre. Penser c'est toujours penser sous le regard d'autrui, ce doute qui
sauve la pensée de la particularité et l'empêche de retomber dans l'opinion.
Dans Le règne des fins, page 171, J. Pucelle écrit: "Quant au
doute, il peut se comprendre comme un dialogue intériorisé. Questions et
réponses
s'échangent dans
un for intérieur, le sujet se dédoublant en deux interlocuteurs qui, tour à
tour, demandent et répondent."
Oui-oui:
Nous cherchions des caractères essentiels de l'échange
et nous voilà dans l'intersubjectivité.
Hibou:
"Les consciences sont réciproques. Leur existence est dialogue et leur
unité consiste à vivre les unes des autres dans un échange et un
enrichissement mutuels" Écrits, Madinier dans Conscience et
signification, page 109. En philosophie, quand on croit aborder, on se
retrouve au large, et quand on se croit au large, on n'est pas loin d'aborder.
L'échange n'est-il pas dans tous les cas, au sens général comme aux sens
particuliers, un mouvement réciproque, une circulation de biens, de services,
de paroles, d'idées? Dans la réciprocité, il y a l'idée d'une égalité: de
valeur pour les objets, les services, d'activité pour les paroles et
la formation des idées. C'est tellement vrai que si, dans une dialogue, un des
interlocuteur cesse d'être actif, le dialogue devient monologue de celui qui
reste actif ou cesse. De même l'échange d'un bien: si la valeur des objets est
sans commune mesure (valeur de sentiment) l'échange
ne se fait pas ou se réduit à un don sans
contrepartie possible toujours quelque peu humiliant pour celui qui reçoit.
Oui-oui: Soit.
Mais je distingue tout de même l'échange des objets( si j'abandonne et je
reçois, je ne suis ni plus riche ni plus pauvre) et le dialogue, cette mise en
commun dans laquelle je ne perds rien et je m'enrichis sans cesse. En fait ce
que je perds c'est l'opinion, mais ça me délivre, et ce que je reçois
c'est l'accès à l'universalité de la pensée.
Comprends moi bien: je te donne 10 Euros, je reçois ton stylo. Mais si j'expose
une idée, je reçois une autre idée: j'ai deux idées plus des objections,
plus des réponses ... Et en échange je n'ai rien donné.
Hibou:
Ce "rien", c'est la pensée qui sauve l'existence. Saint-Exupéry nous
le rappelle, L'homme est un nœud de relations ... Les relations comptent
seules pour l'homme."
Voilà pourquoi un de mes maîtres , Aimé Forest, écrivait dans L'homme
et son prochain (page 210), "c'est dans le dialogue que les idées
se forment plus encore qu'elles ne se communiquent." Il parlait
donc d'une genèse réciproque.
L'enjeu de notre thème, l'échange , c'est
tout simplement l'humanité.
Au travail !
Oui-oui (inspiré):
Et si on se partageait le travail !
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Joseph
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