¤
Philagora.net
¤
¤
Forum
2001
vos annonces-
¤
Forums:
-
Dissert de philosophie
- Échanges
TPE
- Discussions ¤
Philosophie:
- Philo-Bac
- Cours
- philo-express
- Citations
- Philo-Prépas
- Philo-Fac
-
Prepagreg
- Le
grenier
- Aide aux
dissertations
- Methodo
¤ Epistémologie
¤
ART
- Musées
- Fêtes
- cuisine
- emploi
¤ Français
poésie,
théâtre, prose
Bac français, parcours initiatiques
¤
Mare nostrum
¤ Lectures,
des aperçus
¤ Travaux
Personnels Encadrés
Forum TPE
¤
Contes pour
enfants en
musique!
¤ Occitan-Catalan
¤ Revue
Pôle- international
¤ Francophonie
¤
L'Association
philagora
Pourquoi ce site?
- Philagora tous droits réservés. ©
www.philagora.net
www.philagora.com
-CNIL n°713062-
philagora@philagora.net
¤ Infos-Pub-
-
|
|
Pouvoir et
figures politiques du
mal
chez Sartre
par Bertrand
Saint-Sernin |
L'ENFER
PRATICO-INERTE
|
|
-
ÉTVDES
-
Décembre 1983
|
|
|
- page1
- page2 - page3
- page4 - page5
-
Toute l'aventure humaine -au moins
jusqu'ici- est une lutte acharnée contre la rareté " (201) (les
chiffres renvoient à la Critique de la Raison dialectique Gallimard, 1960).
On pourrait imaginer d'autres planètes où d'autres vivants ne seraient pas
assujettis à cette contrainte. Mais "cette contingence fondamentale"
s'impose à nous et modèle "notre caractère d'hommes ", elle
constitue "la singularité propre de notre Histoire. Ainsi, malgré sa
contingence, la rareté est une relation humaine fondamentale (avec la Nature et
avec les hommes) " (201).
Tout d'abord, "les
trois quarts de la population du globe sont sous-alimentés, après des
millénaires d'Histoire" (201). L'homme n'est pas roulé par la rareté
comme les galets par la vague; au contraire, il déploie toutes les ressources
de son génie pour lui faire face, pour tenter de la dépasser. De la sorte, la
rareté ne désigne pas seulement la relation des organismes humains au monde
qui les entoure, elle marque l'ensemble des relations entre les hommes.
Pour Sartre, elle ne peut
pas être exorcisée, et ne disparaîtra pas de l'histoire humaine, car elle
s'attache à la matière avec la même nécessité que la pesanteur. Elle ne
constitue pas seulement un écart constaté, et peut-être réductible, entre la
population et les ressources, comme dans l'économie classique. Elle opère à
l'intérieur de chaque homme, elle est à l'œuvre dans chaque société. Elle
ne touche pas uniquement la situation matérielle des hommes, elle investit et
pénètre leur être tout entier, elle fonde un "ordre ou
un "règne", c'est-à-dire un champ de forces, un milieu, qui impose
sa marque, sa déclinaison, sa puissance à toutes les actions. La rareté,
attribut essentiel de la matière, affecte de part en part notre liberté.
La matière, que nous
rencontrons en nous et hors de nous, n'a pas chez Sartre -que l'on songe à La
Nausée- une puissance génésique, une douceur maternelle. Pour les hommes,
elle se comporte en marâtre, faisant de leur existence un exil, un inégal
combat. Non seulement la Terre nourrit mal les hommes, mais, au lieu de
resserrer leurs liens, elle les altère et les brise: Caïn tue Abel, le frère
devient l'ennemi.
Or, rien
d'intrinsèquement pervers n'existe dans l'individu, aucune cruauté naturelle
ne l'afflige. Tout au contraire, l'état dont il sent en lui comme la trace
serait la réciprocité, la communauté. Dès lors, le mal n'a pas sa racine
dans le cœur de l'homme. Il tire son principe de la matière, ou, plus
exactement, de la rareté. L'homme n'en est pas pour autant disculpé: la
grandeur de Sartre est de descendre aux enfers, c'est-à-dire dans l'Histoire,
en inventoriant les figures du mal, en mettant au jour le processus selon lequel
l'homme de la rareté devient un démon, sans jamais l'exonérer de la
responsabilité du mal. |
L'enfer pratico-inerte
Comment soutenir à la
fois que l'homme est un être libre et que, sous l'empire de la rareté, il
s'altère en démon tout en restant responsable de ce qu'il fait, et assujetti
à la nécessité? "L'Histoire, prise à ce niveau, offre un sens terrible
et désespérant; il apparaît en effet que les hommes sont unis par cette
négation inerte et démoniaque qui leur prend leur substance (leur travail)
pour la retourner contre tous sous la forme d'inertie active et de
totalisation par extermination" (200).
La matière, pour Sartre,
constitue à la fois la Nature, la Terre, et l'étoffe dont nous sommes faits.
Malgré la profusion des inventions techniques, malgré l'abondance des
productions industrielles, créatrices de richesses, elle engendre de
l'inhumain. Bien plus, si la rareté, comme phénomène économique,
s'estompait, le mal associé à la matière ne disparaîtrait pas.
Le maléfice de notre
condition ne dérive pas uniquement de la rareté, il procède de la matière
qui, par elle-même, induit une dispersion des efforts, une altération des
liens, une détérioration des relations. Pétris de matière, affrontés a une
nature inhospitalière, les individus, bien que réduits au même sort,
répugnent à s'unir. La matière les divise, la rareté les arme les uns contre
les autres. La formation de communautés vivantes, cet aspect dialectique et
proprement humain de la praxis, ne peut en aucun cas être contenu(e)
dans la relation de rareté elle-même (204). A son pouvoir séparateur, à sa
puissance de fragmentation, que multiplie la rareté, la matière ajoute son
pouvoir déformant: ce que les hommes, seuls ou collectivement, inscrivent en
elle par leur travail, leur revient altéré, déformé, chargé d'effets
pervers ou "contre -finalités". En ce sens, l'action de l'homme est
une "praxis volée". Toute passive et inerte
qu'elle soit, la matière n'obéit pas docilement à l'homme, ne répercute pas
fidèlement ses desseins: elle peut retourner contre lui les actes qu'il
accomplit, en les affectant de conséquences négatives. Elle agit avec
malignité, même si elle n'a ni intention ni conscience.
Sartre évoque les
paysans chinois, déboisant des terres pour se nourrir, et modifiant ainsi le
régime des pluies et le climat, de sorte que se produisent des inondations qui
ruinent leurs efforts. Comme nul ne parvient à conjurer les pouvoirs
inséparables de la matière et de la rareté, "chacun intériorise cette
structure en ce sens qu'il se fait par ses comportements l'homme de la
rareté" (207). De cette action de la matière résulte l'apparition du
démoniaque dans l'Histoire. La matière, en effet, joue le rôle d'une faute
originelle, qui ne se transmet ni par héritage ni par filiation, mais par
situation.
Le processus selon
lequel, sous le règne de la rareté, la Terre devient "l'enfer
pratico-interne" est, selon Sartre, simple: "La rareté réalise la
totalité passive des individus d'une collectivité comme impossibilité de
coexistence: le groupe en la nation est défini par ses
excédentaires" (205). Bien
sûr, mis a part les cas d'extermination ou de génocide, une société
"choisit discrètement ses morts" (205).
Toutefois, des
mécanismes soit de mise à mort, soit de réduction délibérée du
nombre des vivants existent dans toutes les sociétés et courent tout au long
de l'histoire. Les vivants sont toujours des survivants; ils ne tiennent pas
leur supplément de vie de la chance, mais de l'élimination, furtive ou
voyante, de victimes désignées par une conduite sociale. Celle-ci peut n'être
ni réfléchie ni consciente elle n'en reste pas moins intentionnelle.
Les hommes en sont responsables.
Tel est le mal extrême
et élémentaire auquel notre condition nous confronte. Entre 1956 et 1959,
quand il écrit La Critique de la Raison dialectique, deux problèmes
obsèdent Sartre: la décolonisation, et la guerre d'Algérie notamment, d'une
part; la pauvreté et la faim dans le monde, de l'autre. La misère du tiers
monde ne lui paraît ni innocente ni fatale: il y voit, à la dimension du
globe, un processus de sélection des morts et des vivants. S'oupsonne-t-il là,
sans le dire, un enchaînement semblable à celui qui se produisit dans les
camps de la mort?
Ici-bas, le choix des
victimes n'est pas personnalisé: "On peut déterminer le nombre des
excédentaires, mais non leur caractère individuel" (206). Entre les
individus, il y a "commutativité", substitution possible. De ce fait,
"chaque membre du groupe et en même temps" apparaît
"comme un survivant possible ou comme un excédentaire à supprimer"
(206). Cette hésitation du destin qui s'abat sans raison sur l'un ou sur
l'autre tranche comme à la hache l'initiale réciprocité entre les individus:
comme mon prochain est aussi mon semblable, et que nous ne savons pas qui
survivra et qui sera anéanti, il cesse d'être mon frère pour devenir un
ennemi. "Mieux encore, ce risque constant d'anéantissement de moi-même et
de tous, je ne le découvre pas seulement chez les Autres mais je suis
moi-même ce risque en tant qu'Autre, c'est-à-dire en tant que désigné
avec les Autres comme excédentaire possible par la réalité matérielle
de l'environnement" (206). Le désir de survivre, sous l'effet de la
rareté, se métamorphose en pulsion meurtrière, sans qu'il y ait rien
d'homicide en moi. La situation fait de moi l'agent conscient ou aveugle d'un
processus par lequel la société à laquelle j'appartiens désigne ses membres
excédentaires. Comme ce mécanisme ne choisit pas nommément les victimes, il
s'ensuit que je peux travailler à ma propre mort.
Tel est le fil conducteur
selon lequel s'opère la descente dans le premier cercle de l'enfer. Pour la
rendre plus sensible, montrons que l'homme, ici, devient pour l'homme non plus
un dieu, comme chez Spinoza, ou un loup, comme chez Hobbes, mais un "double
démoniaque".
|
Le double démoniaque
L'histoire, sous l'effet
de la rareté, se fait manichéenne, car le mal, comme menace de mort, pour
chaque homme, c'est l'Autre. Cet Autre, en même temps, nous savons qu'il est
comme nous-même, et que, nous aussi, nous figurons pour les autres l'ennemi. Si
bien que l'"autre espèce", en qui réside le mal, est "notre
double démoniaque" (208).
L'enfer sartrien est
froid. Il s'entretient par des impuissances conjuguées, par des énergies
dispersées, par des solitudes exacerbées. La cruauté vient du froid.
L'histoire est pleine de bourreaux et de victimes, le même individu passe d'un
état à l'autre, mais, si l'on sondait son cœur, on n'y trouverait rien
d'autre qu'un désir acharné de survivre, d'échapper à tout prix à la mort.
Le mal n'a rien de gratuit, il ne se tapit pas dans notre être, il ne
s'enracine pas dans la liberté.
Le Prince à peine nommé
de l'enfer, c'est la mort. La matière inerte, "le limon dont nous sommes
sortis", en dessine le premier visage. Comme les naufragés sur le radeau
de la Méduse, "nous sommes unis par le fait d'habiter tous un monde
défini par la rareté" (211). La mort ne vient pas d'ailleurs. Elle
circule parmi les hommes, elle agit à travers eux, elle se confond avec eux.
Pourtant, dans La Critique de la Raison dialectique, elle n'apparaît
jamais comme une détermination intrinsèque de leur être: elle conserve la
forme de l'Autre, objet de peur, ou plutôt d'horreur. Instrument ultime de
puissance, condition de survie et menace d'extermination, elle régit les
destins et règne sur l'histoire. Comme elle ne peut être ni conjurée ni
transfigurée, et qu'elle constitue la forme sensible du néant, elle ne lâche
jamais les hommes. Quand ils essaient de sortir de l'enfer pratico-inerte, le
poids d'une mort alternativement et indissolublement infligée ou subie ne cesse
jamais de les étreindre. Ils s'en divertissent plus qu'ils ne s'en délivrent.
|
Aller à la page
suivante: Conjuration et terreur
Retour
à Philo-aide/prépas - Aller à
la rubrique "J'aime la philosophie"
Retour
à la page d'accueil de philagora
|