PHILAGORA

- -

¤ Recevoir les nouveautés!

¤ RECHERCHER

¤ CHAT1   ¤ CHAT2

www.francexpress.com/ Hébergment professionnel

Vers 

l' Espace découverte
 

¤ Philagora.net

¤

¤ Forum 2001
vos annonces-

¤ Forums: aides aux dissert de philosophie
- Échanges TPE

¤ Philosophie: 
- Philo-
Bac
-
cours  
- philo-express  
- Citations
- Philo-
Prépas 
- Philo-
Fac - Prepagreg  
Le grenier
- Aide aux dissertations

¤ Epistémologie 

¤ Art, Musées, fêtes,  manifestations culturelles, cuisine, emploi

¤ Français  poésie, théâtre, prose
Bac français, parcours initiatiques

¤ Mare nostrum

¤ Lectures, des aperçus

¤ Travaux Personnels Encadrés Forum TPE

¤ Contes pour enfants en musique!

¤ Occitan-Catalan

¤ Revue Pôle- international

¤ Francophonie

¤ L'Association philagora
Pourquoi ce site?

- Philagora tous droits réservés. ©
www.philagora.net
www.philagora.com 
-CNIL n°713062-
philagora@philagora.net


¤ Infos-Pub-
-

 

Pouvoir et 
figures politiques du mal
chez Sartre

par Bertrand Saint-Sernin 

Trois formes majeures de processus infernaux

- ÉTVDES - 
Décembre
1983

- page1 - page2 - page3 - page4 - page5 -

   La Critique de la Raison dialectique recense trois formes majeures de processus infernaux le capitalisme, le colonialisme et le stalinisme. Tous trois déclenchent un mécanisme selon lequel "l'homme est l'Être par qui l'homme est réduit à l'état d'objet hanté" (749). Une profonde émotion traverse l'œuvre. On ne sait si l'auteur, lui aussi happé par les pièges qu'il démonte, se comporte en visionnaire ou en possédé. Parodiant avec outrance La Belle et la Bête de Cocteau, il dépeint ainsi le colonialisme: "Le colon vit sur 'l'île du docteur Moreau' entouré de bêtes effroyables et faites à l'image de l'homme mais ratées, dont la mauvaise adaptation (ni animaux ni créatures humaines) se traduit par la haine et la méchanceté: ces bêtes veulent détruire la belle image d'elles-mêmes, le colon, l'homme parfait. Donc, l'attitude pratique immédiate du colon est celle de l'homme en face de la bête, vicieuse et sournoise" (677). Dans La Critique de la Raison dialectique, l'insurrection algérienne tient une bien plus grande place que les indépendances qui furent obtenues sans guerre, comme si, à ces dernières, avait manqué, aux yeux de Sartre, le sacrement sanglant de la violence.

   La colonisation étant violente, sa fin ne peut résulter que d'une contre - violence: "La violence de l'insurgé, c'est la violence du colon ; il n'y en a jamais eu d'autre" (687). Par là-même, le terrorisme, quand il s'agit de réaliser l'indépendance nationale, est, sinon innocent, du moins légitime. Le soulèvement permettra l'apparition d'"un homme nouveau, de meilleure qualité" (préface des Damnés de la Terre, de Franz Fanon). L'Histoire, pourtant, reste tragique, car "la seule violence concevable est celle de la liberté sur la liberté" (689).

   Bref, qu'il s'agisse de la construction du socialisme ou des guerres de libération, l'horreur ne peut être évitée, mais l'espoir d'une Apocalypse, révélation et métamorphose, fait contrepoids à la tragédie. Telle est la position. de Sartre dans Le Fantôme de Staline ou dans sa préface aux Damnés de la Terre. Dans La Critique de la Raison dialectique, la vision s'assombrit. L'Histoire y est comme une partie indécise. Pourra-t-on réduire l'"adversité du monde" (749) et empêcher que l'homme ne soit pétrifié, réifié par l'homme? Car, entre des mains humaines, la liberté se fige en destin et les "paradis radieux", comme les nomme Zinoviev, se muent en enfers.

Sartre pense contre lui-même, contre ce qu'il espère ou croit. 

   Tout pouvoir, montre-t-il, se rattache à un Führerprinzip, et tombe dans le totalitarisme. Ses professions de foi dissimulent, et d'abord à ses propres yeux, le caractère insupportable de la découverte qu'il estime avoir faite. Si toute liberté s'altère en terreur, et tout serment en séquestration, il ne reste qu'une issue, à peine signalée d'ailleurs: préférer, au meilleur des régimes totalisateurs, une lutte sans fin entre des pouvoirs partiels. De ce pluralisme, Sartre, au fond, ne veut pas: la démocratie lui paraît organiser la "sérialité", la séparation des éléments de la société. Seuls des groupes souverains peuvent libérer l'homme et faire l'Histoire. Mais alors, on est au rouet: les groupes en fusion se refroidissent; les serments ne les ressoudent que pour un temps; un souverain organise les individus et les asservit.

   On a l'impression que Sartre, tout en voulant constituer une "anthropologie politique", se laisse fasciner par un mécanisme qui dissout la morale et la politique dans une nécessité fatale. Or, comme le remarque Montesquieu "la nature du gouvernement républicain est que le peuple en corps, ou de certaines familles, y aient la souveraine puissance" (Esprit des Lois, III, 2). Il ajoute: ... "dans un état populaire, il faut un ressort de plus, qui est la vertu" (III, 3), c'est-à-dire, précise-t-il, "l'amour des lois et de la patrie" (IV, 5). En effet, dans les démocraties seules, "le gouvernement est confié à chaque citoyen" (IV, 5). La dramaturgie sartrienne, en revanche, décrit le processus selon lequel les membres des groupes ou, si l'on veut, les citoyens des États sont dépossédés de leur souveraineté. Si le mécanisme est fatal, il engloutit à la fois la morale et la politique, puisque, en fin de compte, le troisième cercle de l'enfer contient le premier et le reconstitue, l'Histoire rebroussant ainsi vers son origine.

   Cette grande méditation sur les figures politiques du mal est le récit d'une involution et d'un déluge. Elle évoque un monde où des êtres, réduits à une liberté empoisonnée par la peur, détruisent en eux-mêmes leur humanité. Les sursauts retombent, les révoltes s'éteignent, la lave libertaire s'épaissit; un Prince, semblable à la mort, détient l'empire.

La "morale de Sartre", celle qu'aurait pu susciter cet essai sur le mal, n'a pas été écrite (ou du moins publiée). On peut imaginer les trois questions auxquelles elle se serait proposé de répondre, car elles se posent à chaque homme.

  1. Comment fonder à la fois la liberté et la singularité de l'individu?

  2. Comment édifier une théorie de la vie sociale, où le ciment entre les hommes ne serait plus la peur, ou la mort, mais des valeurs communes de justice et de respect ?

  3. Comment concevoir aujourd'hui la fondation des cités, sans en faire la reproduction de nos expériences antérieures ou de nos rêves?

   L'anthropologie sartrienne, par une sorte de retournement paradoxal, traite moins de la vie que de la mort: les puissances sont confisquées, les actions volées, les libertés reniées. Il n'y a pas de morale, parce qu'il n'y a, en fin de compte, ni salut individuel ni salut collectif. Par là, Sartre, malgré sa grandeur, n'est pas un maître. Il est dans la caverne le premier des prisonniers.

   Certes, la force de son entreprise est de nous préserver de l'angélisme en politique. Mais, comme dramaturge, il peint des enchaînements, des mécanismes et des pièges; là où, du philosophe de la liberté, on attendait un espoir, une voie. Il a montré comment s'altèrent les cités, non comment elles se fondent.
Bertrand Saint-Sernin  

Retour à Philo-aide/prépasAller à la rubrique "J'aime la philosophie"

Retour à la page d'accueil de philagora

¤ Philagora.net, Espace Culture Enseignement  http://www.philagora.net/ -Tous droits réservés. ©
¤
Aller vers Philagora.org, Espace Découverte http://www.philagora.org/