Une des notions
qui a valu à l'ouvrage que nous allons étudier une importance considérable dans le
champ de l'épistémologie contemporaine est celle d'épistémè. L'objet principal
de l'analyse de Michel Foucault est, en effet, de dégager une nouvelle conception de
l'histoire des connaissances et ce en rupture avec les interprétations historiques
classiques qui perdurent encore aujourd'hui. Cette appréhension originale, Foucault la
nomme "archéologie" (archè et logos) (d'où le sous-titre: une
archéologie des sciences humaines). Il s'agit effectivement d'interroger le récit
que nous offre l'histoire afin d'y retrouver les conditions de possibilité, c'est-à-dire
les configurations ou pratiques discursives qui "ont donné lieu aux formes diverses
de la connaissance". Ce sont ces conditions de possibilité qui constituent les
épistémè.
Autrement dit, "l'archéologie, s'adressant à l'espace général du savoir, à ses
configurations et au mode d'être des choses, définit des systèmes de simultanéité,
ainsi que la série des mutations nécessaires et suffisantes pour circonscrire le seuil
d'une positivité nouvelle" (p. 14). Cette approche indique avant tout que l'histoire
des savoirs ne s'est pas déroulée de façon linéaire et continue comme si, par exemple,
celle-ci ne constituait qu'une ligne parcourue de segments indiquant une évolution par
découvertes successives et par de plus grandes attentions accordées au monde. Avec
Foucault, au contraire, l'histoire est discontinue. Les épistémè ne se succèdent
pas de manière fluide mais par ruptures. De plus, cette succession n'implique nullement
qu'il faille accorder une valeur plus grande à une positivité par rapport à celle qui
la précède.
La réflexion menée dans Les mots et les choses s'attachera,
dès lors, à l'une de ces épistémè: l'âge classique qui s'étend de la fin de
la Renaissance (epistémè de la représentation) au début de la Modernité
(criticisme). Voyons donc dans les grandes lignes quels furent les caractères principaux
et différenciants de ces deux premières épistémè afin de saisir
l'importance du concept de classification. I. 2.
La configuration épistémique précédant celle de la représentation est toute entière
dominée par la ressemblance. C'est autour de ce concept que le savoir de la Renaissance
se forme et s'articule. Et a fortiori, c'est à partir de la ressemblance que le
savant de l'époque appréhende le langage et la connaissance. Connaître au XVI° c'est
interpréter et, je cite, "interpréter c'est aller de la marque visible à ce qui se
dit à travers elle" (p. 47). Cette marque des choses qui s'offre à nos yeux est en
fait la signature, le signe de la ressemblance que les choses entretiennent entre elles.
L'harmonie ou la cohérence du monde sont donc assurées par la similitude qui unit les
choses. C'est Dieu qui déposé ces marques pour que nous les recueillions et que nous
reconnaissions Son oeuvre. Toutefois, pour qu'existent une connaissance, un discours
scientifique qui soient en adéquation avec son objet, il faut un langage qui puisse
correctement désigner les choses. Une nouvelle fois, c'est la ressemblance qui va être
invoquée et assurer la rectitude de dénomination langage: les mots doivent être
semblables aux choses ou, plus précisément, aux marques des choses (ex: langue unique
avant babel; Hébreu, ...). Aussi, "savoir consiste à rapporter du langage à du
langage". Nous pouvons maintenant comprendre pourquoi la classification ne jouait
aucun rôle majeur à la Renaissance. Le tableau des connaissances est linéaire. Il
s'agit de découvrir les marques indiquant les ressemblances qui unissent les choses, de
les répertorier et, si possible, de retrouver les mots qui ressemblent le plus à ce
qu'ils désignent. Ainsi était-ce un savoir du Semblable, c'est-à-dire du même où
aucune tentative systémique ou méthodique de classification ne fut entreprise. L'homme
n'a pas à classer parce qu'il n'a pas à ordonner: il n'a qu'à déceler les
ressemblances dans le monde que Dieu a ordonné.
I. 3. Au XVII°, la ressemblance paraît insuffisante pour expliquer la relation entre les mots et les choses. Une première critique majeure mérite d'être relevée à ce propos.
Avec Cervantes, nous découvrons un Don Quichotte qui tente, mais échoue, de démontrer la conformité des signes langagiers aux choses
(troupeaux = armées; servantes = dames; auberges = châteaux). Alors que dans la seconde partie du livre, des personnages rencontrent et reconnaissent Don Quichotte pour avoir lu la première. Nous assistons ici à l'émergence d'une nouvelle place et d'un nouveau pouvoir accordé au langage à savoir le pouvoir représentatif des mots. C'est grâce à la théorie de la représentation que va apparaître une nouvelle forme de savoir. "Le signe cesse d'être une figure du monde et cesse d'être lié à ce qu'il marque par les liens de la ressemblance". Maintenant, cette liaison est assurée par la représentation: le signifié est représenté par le signifiant et inversement; sans intermédiaire. Le signe ne préexiste plus au langage humain. Le langage devient transparent. C'est donc à partir du langage même qu'il convient d'établir un ordre. Mais non un ordre, répétons-le, déterminé par la similitude présente dans le monde car, comme l'indique Buffon, la nature est remplie de choses différentes et d'exceptions; de plus, les mots peuvent désigner plusieurs choses alors qu'elles peuvent être différentes. La pensée ne doit plus s'exercer selon la similitude mais selon la comparaison qui détermine les identités et les différences. La comparaison génère de cette façon un ordre. Il est donc question de créer un ordre à partir de l'analyse des identités et des différences et plus de répéter infiniment le Semblable que l'on retrouve dans l'univers. La science générale de l' ordre c'est la mathesis. Et, naturellement, le prolongement se matérialisera dans la taxinomia: disposition en tableaux ordonnés d'identités et de différences. Mais aussi et surtout, une conséquence pour toute connaissance de la nature à l'âge classique: la classification que je vais exposer plus en détail maintenant.
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