III-
Résumons: l'humanité s'exprime dans la technique qui implique la possibilité:
1-De
se représenter mentalement l'action à accomplir (simulation)
2-D'inventer la forme de
l'outil la mieux adaptée à la tâche.
3-De choisir les matériaux
les plus adaptés à l'action.
La technique des premiers temps induit des actes de libertés: l'être humain
dans son action imagine, invente, produit en utilisant son corps et
singulièrement ses mains.
Mais l'évolution de la technique et
les inventions successives ont engendré la division du travail en
-
travail manuel
et
-
travail intellectuel avec pour conséquence immédiate l'inscription
d'une interdépendance entre les hommes et, pour conséquence lointaine,
-
la séparation du
savoir et du
faire,
l'aliénation de l'un comme de
l'autre.
Alors que dans le savoir faire premier, non seulement le savoir, grâce au faire, gardait la mesure de la nature,
mais encore le faire se pénétrait d'intelligence et d'imagination, au
contraire dans la technique actuelle, le faire, articulé nécessairement
à la science, a perdu la liberté de la conscience comme source, tandis que
le
savoir théorique, préoccupé du résultat comme rendement, isole et abstrait
les systèmes étudiés de l'écosystème qui pourtant soutient leur existence et
conditionne leur survie.
-La nature physique et la condition humaine sont donc sacrifiées
parce que le savoir est justifié non plus par la connaissance à
atteindre, mais par le pouvoir qu'il donne:
==> Savoir
pour pouvoir suffira donc aux pragmatistes, ces modernes sophistes.
-D'ailleurs, l'évolution de la
technique marque bien cette course à la puissance, ce refus du risque impliqué par la
vie, au mépris de la nature et du travailleur: la main était trop prise dans l'action,
alors l'outil sauva la main: la main était asservie à l'outil et freinée par sa force
limitée: la transformation de l'outil en machine soulage la main et décuple les forces.
Avec la machine "asservie" disparaît la main et avec elle le faire.
-Derrière la division du travail, il y a le souci de l'intensification des
tâches ordonnée au rendement. La conséquence de cette division est la
distinction des capacités intellectuelles et des capacités manuelles qui produit une
ségrégation des individus, mouvement inverse de l'humanisation.
-Comme capacité à obtenir un
résultat, une amélioration du niveau de vie, comme capacité à libérer du travail et
à faire naître un monde de loisirs, la technique s'impose comme ce à quoi il faut dire
oui; cette même capacité à obtenir un résultat peut servir aussi bien le juste que
l'injuste jusqu'à détruire l'écosystème et l'ensemble des hommes; cette même
capacité à libérer du travail a été source de chômage et de déshumanisation.
-Certains affirment qu'il faudrait dire
oui et non en même temps à la
technique: il y a quelque naïveté et quelque incohérence dans ce genre d'affirmation,
comme si on voulait à tout prix donner une bien hypothétique "essence" à la
technique qui n'est pourtant qu'un processus matériel à déclencher ou à ne pas
déclencher, comme si on voulait faire d'elle un objet transcendant, maléfique en soi,
dans une perspective du panthéisme contemporain. Il s'agit plutôt de dire oui ou
non à la violence des acteurs, au désir de celui qui utilise la technique.
-On peut situer la
technique:
-c'est un
pouvoir sur la matière donné par un processus matériel. Or, un pouvoir en lui même
n'est pas à craindre, car il n'apparaît que s'il est exercé et si on le laisse bien
s'exercer. Dans ces conditions, c'est celui qui utilise ce pouvoir qui doit se maîtriser
ou s'il en est incapable être maîtrisé par la loi.
-La technique renvoie donc à l'origine du pouvoir de décision, comme
rassemblement d'hommes égaux dans une liberté partagée: contre la monstruosité d'une
technique vide de pensée morale, le seul recours est la pensée, la concertation qui fait
naître l'éthique, la loi née de la réflexion morale. Il serait vain d'attendre des
solutions de la technique elle même, d'une essence qu'elle n'a pas. Il faut donc
l'articuler sur autre chose que sur la science, une sorte de retour au savoir
faire premier que l'éthique transfigure en autonomie comme obéissance à la loi
qu'on s'est prescrite, la seule forme de liberté compatible avec la coexistence
pacifique.
Quelques
citations:
"L'intelligence, envisagée dans ce qui en paraît être la démarche originelle,
est la faculté de fabriquer des objets artificiels, en particulier de outils à faire des
outils, et, d'en varier indéfiniment la fabrication" Bergson,
"L'évolution créatrice"
"Oui! à la technique, mais à la
technique dominée par l'homme" Friedmann "
"Un procès
(processus)
de production dont l'opération est réduite au fonctionnement d'un dispositif
matériel et dont le produit n'est constitué que des éléments eux-mêmes objectifs et
matériels de ce dispositif, c'est un procès en lequel plus rien ne subsiste de la vie,
un procès de mort. Michel HENRY , "Du communisme au capitalisme"
Quelques pistes de
lectures:
Platon: Timée, 29a, b
Aristote: Physique 2, 8, 199a
Rousseau: Discours sur l'origine de l'inégalité
Bachelard: Le rationalisme appliquée p.105 ...
Heidegger: Essais et conférences, "la question de la technique" Gallimard, p.10
Pierre Francastel: Art et technique
G. Friedmann: L'homme et la technique, 1977 Denoël-Gonthier
Léon-Louis Grateloup: dialogue sur la technique, cours de philosophie p.446
Michel Henry: Du communisme au capitalisme, théorie d'une catastrophe. Odile Jacob 1990
Dans la collection "Optiques"
Hatier: Nature et Technique de Dominique Bourg,
avec une excellente bibliographie.
=>Voir dans
Philagora:
Conférence de Philagora (mai 98) La crise actuelle
comme oubli de la vie
"Le travail contribue-t-il à unir les hommes ou
à les diviser?"
Philo-express:
Le travail. - La
technique.
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Joseph
Llapasset
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