Réflexions sur la nature de l'esprit
par Pierre Lachièze-Rey
p.11
p:1
Introduction
p:2 Nature et hasard
p:3 L'esprit directeur
p:4 La répétition intentionnelle
p:5 Esprit et mémoire
p:6 Esprit et fidélité à soi
p:7 Esprit et progrès par
l'intersubjectivité
p8: Les problèmes de
l'intersubjectivité
p9: Caractéristiques de l'esprit
p10: Esprit et liberté
p11: Liberté et valeur -
Conclusion
Liberté et valeur - Conclusion
La
question est morale au point de vue de l'intervention de la valeur. Si
l'on réfléchit en effet à la question on ne peut s'empêcher de
reconnaître que la liberté dépend de la valeur et la valeur de la
liberté. Liberté et valeur sont deux termes corrélatifs qui se
conditionnent réciproquement. Mais que faut-il entendre par valeur?
Nous avons dans un article mis en garde contre des confusions. Nous
avons éliminé la valeur subjective qui n'a qu un intérêt individuel.
Nous avons éliminé la valeur du type, car pourquoi le type ou, plus
exactement, un type déterminé aurait-il une valeur? Kant se posant la
question et se demandant Si l'humanité était la valeur suprême de la
création se posait l'interrogation: Pourquoi y a-t-il des hommes? Doit
être éliminée toute valeur éphémère: " Aimez ce que jamais on
ne verra deux fois ". Mais que signifie ce qui passe quand il n'y a
point de souvenir, et le souvenir lui-même que signifie-t-il pour celui
qui est passé? C'est en vain que l'homme cherche à s'éterniser par le
souvenir. Quand il est passé, il n'est plus rien et il est comme s'il
n'avait jamais été. Mais l'éternité qui n'est pas une éternité de
valeur n'est rien. Nous avons également éliminé le progrès comme
valeur suprême, le progrès dont parle spécialement le marxisme
puisque ce progrès suppose le sacrifice de toutes les générations
antérieures sans qu'aucune génération puisse être considérée comme
la génération élue. En fait, comme la liberté, la valeur doit être
à la fois individuelle et collective, elle doit être historique et
transhistorique.
D'autre
part toute valeur est relative, provisoire, absolue pour une période
donnée, mais absolue pour cette période seulement, et elle doit être
a la fois absolue et transcendée. Il y a là une série d'antinomies
qu'il s'agit de résoudre. La solution ne peut être trouvée que dans
une collaboration de l'immanence et de la transcendance. Quand il s'agit
de la personne qui est humainement parlant la seule valeur puisque seule
consciente, il faut que le salut soit effectivement à la fois collectif
et individuel. Quand il s'agit des autres valeurs, par exemple des
valeurs esthétiques ou de vérité, la transcendance ne doit plus
intervenir sous la forme d'immortalité personnelle, mais simplement
sous la forme de référence ou de symbole à quelque chose qui dépasse
toujours le moment actuel et en garantit simplement la vérité.
Nous
avons vu que les trois caractéristiques fondamentales de l'esprit sont:
-
1)
la fidélité à soi-même dans une reprise constante de ses
opérations dans leurs lignes fondamentales: pensée, action,
affectivité, reprise qui suppose une possession de soi, une loi
toujours identique, une norme reconnue constamment comme telle, et
non pas du tout la loi transcendante d'un mécanisme, loi qu'on
ignore et que l'on ne fait que supposer pour expliquer l'identité
constatée de l'extérieur d'un même mouvement, identique pour un
spectateur en troisième personne, mais non pour lui-même. Cette
identité voulue, cette règle opératoire qui fait communier toutes
nos actions et toutes nos pensées dans un même dessin n'est pas
d'ailleurs une simple loi de répétition pure et simple. Dans le
domaine individuel ou social, il ne s'agit pas de reprendre pour
répéter, mais pour s'adapter et aller plus loin. Autrement dit
cette répétition qui suppose une norme de la répétition est en
même temps une norme nécessaire du progrès; elle en est
essentiellement la condition;
-
2)
la possession par l'esprit de toutes les lois ou formes spirituelles
possibles avec toutes leurs conséquences rationnelles, et cela dans
leur individualité la plus absolue, de telle sorte que
l'intersubjectivité est toujours possible, dans l'espace et dans Je
temps, avec toutes les modalités de l'influence des individus les
uns sur les autres;
-
3)
le pouvoir de judication qui fournit en somme la direction du
progrès et qui ne connaît aucune limite, aucun objet qui lui soit
soustrait.
Nous avons indiqué au
début la dualité de l'esprit et nous avons vu que l'esprit nature,
l'esprit gouverné uniquement par des impulsions et des causes
aboutirait nécessairement à l'anarchie; ce n'est que l'esprit
directeur, l'esprit pilote qui peut imprimer une direction déterminée
et constante à l'individu ou à la collectivité. Mais nous avons vu
que l'interaction des deux termes est variable et infiniment variable.
La nature pénètre dans le pouvoir judicatoire et usurpe elle-même le
pouvoir de judication. Il n'est pas démontré que cette usurpation et
cette anarchie ne seront pas définitives. Il est difficile de décider
Si la valeur l'emportera...
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