Pour découvrir
le sens et la direction de l'oeuvre de Francis PONGE.
Dialogue
entre Oui-oui et
le Hibou 
"Le parti pris
des choses"
et "La rage de l'expression"
(Poésie/Gallimard)
Hibou: Quelle tête tu fais devant ces deux intitulés qui
regroupent des écrits de Francis Ponge!
Oui-oui: Je n'y comprends rien:
je viens de lire "La
guêpe et le tramway" :
rapprocher un animal inutile et un objet
fabriqué bien utile! Il devait aimer s'engager dans les impasses.
Hibou: Je te propose d'être moins pressé: que nous
disent ces deux titres?
Oui-oui: L'un parle de la réalité,
des choses, et l'autre d'un discours sur cette réalité,
d'un effort pour l'exprimer.
"L'on ne peut comparer
la marche du feu qu'à celle des animaux" (Le parti pris des choses. page 47)
Hibou: Que nous dit maintenant ce texte extrait de
la première oeuvre:
"Si j'ai choisi de
parler de la coccinelle c'est par dégoût des idées. Mais ce dégoût des idées? C'est
parce qu'elles ne me viennent pas à bonheur, mais à malheur"
("Le parti pris des choses" Gallimard page
193)
Oui-oui: ce texte parle de dégoût des
idées. Serait-ce qu'une idée, à quoi rien d'observable ne correspond, peut servir de prétexte à tyranniser le sensible
comme dans
le fanatisme,
celui que Georges Brassens attaque dans "Mourir pour des idées".
Hibou: bien dit, les idées le dégoûtent par
l'usage ignoble qu'on en fait: au lieu de s'en servir comme principe régulateur, on
les érige en réalités absolues ce qui permet de massacrer en leur nom. La
raison au service de la force! On voudrait bien faire découler le droit de
l'idée. Si l'idée a tous les droits il sera juste de plier le sensible à l'idée, de le
nier. Mais, comme l'idée est par définition sans contenu (par exemple, l'idée de
bonheur) chacun peut donner à l'idée le contenu qui lui plaît...
Oui-oui: je commence à comprendre le dégoût de
Ponge et, par réaction, son attention délibérée au sensible, aux objets.
 
"... si je consens à l'existence c'est à
condition de l'accepter pleinement..."
(Le parti pris des choses. page 173)
Hibou: D'autant plus qu'après des siècles pendant
lesquels les idées ont été des reines, Ponge se prend à espérer un monde où les
objets retrouveraient leurs droits. Après tout c'est se tourner vers l'existence,
vers la vie et en même temps vers l'essence, ce que la chose est: il s'agira de
l'exprimer dans toute la mesure du possible.
Oui-oui:
la coccinelle! Je comprends
maintenant le titre "Le parti pris des choses":
dégoûté des idées sources de malheur et d'injustice, il se tourne vers les objets, les
vivants comme les objets fabriqués. Ne fait-il pas un amalgame?
Hibou: Réfléchissons, qu'est-ce qui
permettrait de distinguer radicalement une guêpe d'un tramway, un vivant d'un objet
fabriqué? qu'est-ce qui permettrait de les rassembler?
Oui-oui: Je
les distingue parce que l'un a été produit par l'homme et l'autre
non.
Hibou: mais on peut les rassembler en disant
qu'ils sont tous les deux visibles et qu'on peut donc les observer, dans
une croyance aux données des sens, comme dans la ligne tracée par Socrate (La
République, fin du Livre VI). Maintenant pourquoi ne pas s'attarder sur
l'expression "Le parti pris..."
Oui-oui: C'est clair: si son parti
est pris c'est qu'il est conscient de s'engager dans une impasse, en quelque sorte un
préjugé: il ira jusqu'au bout et nous racontera ses échecs successifs.
Hibou: voilà exactement le sens, la
signification et la direction de son oeuvre: présenter les tentatives et les échecs
successifs pour exprimer la chose. A un préjugé qui provoque le malheur
des petits, des humbles, des "mèches qui fument", il oppose un parti
pris généreux: se tourner vers le visible, vers la terre
la terre
(le galet, le mimosa, l'escargot, la jeune mère)
scrutant ainsi le
minéral, le végétal, l'animal et même l'humain avec le fol espoir de donner aux choses une
épaisseur dans l'esprit de l'homme. Le point de vue ressort du matérialisme et de
Feuerbach évidemment.
Oui-oui: un effort de description
alors "Ainsi, écrivant
sur
la Loire d'un endroit des berges de ce fleuve, devrai-je y replonger sans cesse mon
regard, mon esprit. Chaque fois qu'il aura séché sur une expression,
le replonger dans l'eau du fleuve." ("La
rage de l'expression" -Gallimard p.10)
Hibou: En quelque sorte. Résumons,
Ponge dégoûté des idées métaphysiques et du n'importe quoi de l'ontologie se tourne
vers le visible, vers l'audible, la nature au sens de ce qui est donné, pour tenter
d'en dégager l'essence. Mais il est entraîné, de par les
objets choisis, à en développer l'existence. Comme l'entreprise est vaine et qu'il
ne peut aboutir à l'expression parfaite parce qu'il n'est pas Dieu, il est pris d'une
passion, "la rage de l'expression"; mais cette passion est aussi une action: la
suite des échecs aura pour effet d'exorciser le silence, l'injustice envers les choses de
la terre. C'est le moment de relire dans Noces de Camus "Le désert".
"Je n'arriverais pas à conquérir ce paysage, ce ciel de Provence? Ce serait trop
fort!... Je me dis qu'il faudrait que j'y retourne... "
(La rage de l'expression -Gallimard p.185)
Ponge prend le parti de ceux
dont les idées nient l'existence, de ceux que le silence mou étouffe: pour ainsi dire il
leur donne la parole. "L'objet est toujours plus
important, plus intéressant, plus capable (plein de droits): il n'a aucun devoir
vis-à-vis de moi, c'est moi qui ai tous les devoirs à son égard".
(La rage de l'expression -Gallimard
p.10)
Nous voilà prêts à admirer dans "La rage de l'expression"
(page 16)
l'analogie de la guêpe et du tramway
électrique "A tout désir
d'évasion, opposer la contemplation et ses ressources" (Le
parti pris des choses. p. 174)
texte de Joseph Llapasset
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