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rubrique science économique http://www.philagora.net/scienco/scieco1.htm

Une science de l'incertain est-elle encore une science?

-p.1: discussion sur le statut des Sciences Économiques 
-p.2: Formaliser les comportements économiques
-p.3: L'incertitude économique
-p.4: La monnaie
-p.5: Qu'est-ce qu'une science économique?

Second postulat, il est possible de formaliser les comportements économiques.

Le postulat initial de la rationalité économique des agents permet de modéliser les comportements économiques. La loi de l'offre et de la demande en est une bonne illustration. Le problème est de savoir comment déterminer un prix? Deux courbes qui se croisent sur un graphique simple suffisent a en comprendre la logique. Une courbe descendante représente l'augmentation des quantités de produits demandés (la demande) lorsque les prix baissent. Une courbe ascendante exprime l'augmentation des quantités de produits fabriqués (l'offre) lorsque les prix montent. Il est alors facile de comprendre que, malgré ces comportements contradictoires, l'intersection des deux courbes représente une situation idéale où vendeurs et acheteurs peuvent se rencontrer. C'est le prix.

Dès les années 30, les économistes vont développer l'usage du langage mathématique pour illustrer leurs hypothèses. Leon WALRAS écrivit en 1874 un des premiers ouvrages de mathématique économique intitulé "Éléments d'économie politique pure" en tentant de construire son modèle abstrait de concurrence "pure et parfaite". Il considérait d'ailleurs l'économie comme une des branches des mathématiques. Cet ouvrage ne fut traduit en anglais qu'en 1954, c'est à dire au moment où les mathématiques se généralisèrent en économie. De même, les travaux qui suivirent la publication de la "Théorie générale de l'emploi de l'intérêt et de la monnaie" de J.M. KEYNES en 1936 s'inspirèrent-ils largement des mathématiques, malgré la méfiance du maître de Cambridge à l'égard de ce langage. Par exemple, la formule Y + M = C + S + X synthétise l'ensemble des activités de production et d'échange dans un espace économique donné. Or, la somme de ces quelques signes recouvre une myriade d'actes individuels, de motivations diverses, de succès et d'échecs, de joies et de peines.

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La complexité humaine est réduite à la dimension d'une variable mathématique. Le particulier, le spécifique, l'original, sont négligeables puisque seules les variables signifiantes (qui ont un sens collectif) sont prises en compte.

Ainsi, la formalisation mathématique a-t-elle, tout à la fois, permis d'éclairer les "mécanismes" économiques et d'opacifier le désir humain. Dans "Le Savant et le Politique" en 1924, le sociologue Max WEBER avait très tôt dénoncé les risques de cette rationalisation scientifique. L'homme n'est-il que raison? Pour l'économie, fondamentalement, oui.

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  Troisième postulat, tous les phénomènes économiques ont une dimension monétaire.

La place des mathématiques en économie exige d'utiliser une unité d'abstraction et de calcul commode. La monnaie constitue naturellement cette unité de mesure. L'échange monétaire synthétise de manière simple les niveaux de satisfaction atteints; selon que l'on a plus ou moins de monnaie on se positionne dans une échelle de reconnaissance universelle. L'économiste libéral Milton FRIEDMAN considère ainsi que toute activité économique dépend essentiellement du volume de monnaie en circulation. Il en fait même une "loi observée depuis des siècles et qui a la même régularité que celles des sciences naturelles" (Michel BEAUD, La pensée économique depuis Keynes, Points Seuil, p. 274). Dans ce cas, la motivation économique est directement dépendante de l'existence de monnaie.
La monnaie comporte, de plus, l'avantage d'être une unité de compte universelle, qui, par simple jeu d'addition et de soustraction, transmet des informations essentielles. Elle est la langue économique par excellence.

Pourtant toute relation d'échange ne se réduit pas à ce moyen.

Le don, par exemple, constitue une forme d'échange dont Marcel MAUSS a montré, dans son "Essai sur le don" de 1924, combien il était créateur d'alliances et non de séparation, comme l'est la propriété. De même le troc, parce qu'il ne nécessite pas d'échange monétaire, est marginalisé du discours économique. Or l'un comme l'autre, ne peuvent être évalués. Ils n'entrent donc pas dans le champ des sciences économiques mais se trouvent relégués dans l'outillage exotique de l'analyse ethnologique. Ce qui démontre assez bien comment les Sciences Économiques se pensent avant tout comme sciences des échanges monétaires.

billet1.jpg (6481 octets) Concluons cette première étape.

Dès leur création, les Sciences Économiques ont cherché à intégrer le statut enviable des sciences dures. Or, les trois postulats posés ( rationalité des agents, formalisation des comportements, place de la monnaie) finissent par produire un système d'analyse. On peut entendre "système" d'un double point de vue.
Les Sciences Économiques construisent d'abord un système formel (voir Jean LADRIERE, "Système", Encyclopédia Universalis, ed. 1996, T. 21, p. 1029) au sens où un tel système est constitué de "propositions formulées dans un langage particulier (...) et qui forme un tout articulé dans lequel chaque proposition a une relation avec chacune des autres". Dans le cadre de cette définition, les trois postulats précédemment posés sont bien interdépendants. Les économistes déduisent de la rationalité économique des agents qu'elle peut être mesurée par un outil spécialisé, la monnaie, et que la construction de modèles cognitifs est alors possible.

Mais ensuite, d'un autre point de vue, les théories économiques finissent par élaborer une représentation du monde dans laquelle elles sont le moyen et la fin. A ce titre, elles "font" système. Toute analyse théorique aboutit à construire ce qu'elle s'est donnée d'interpréter. Par exemple, la lecture keynésienne de la crise des années 30 dans la "Théorie Générale..." fut le point de départ de toutes les politiques économiques d'après guerre. Car, en effet, la théorie économique a ceci de particulier qu'elle n'est pas purement spéculative. Elle devient pratique sociale. Or, dans cette circularité logique, que se passe t-il lorsque l'un des postulats fondateurs est remis en question ?

Autrement dit, quand l'incertitude vient poser un coin sur la rationalité des agents, n'écorne t-elle pas le statut scientifique des Sciences Économiques ?

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