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La
sensibilité (suite)
La promesse de la sensibilité
? limmanence: une vie.
par Jean Louis Blaquier
Sommaire:
2.
Discussion: Le débat de Lacan avec Kant
Limites de la représentation:
lautonomie du signifiant et lincidence du réel.
Discordance ou asymétrie de la sensibilité.
3.
Horizons contemporains:
Vers une éthique des quantités intensives et/ ou une esthétique des intensités.
A. Premier
exemple: le Droit.
B. Second exemple: les nouvelles
technologies.
C. Petit
bilan anthropologique
Ne pas
conclure. ~
2/ Discussion --Le
débat de Lacan avec Kant (retour au sommaire)
Limites de la représentation:
lautonomie du signifiant et lincidence du réel.
Freud
nest pas le premier a repérer lespace sensible et terrifiant du psychisme
-lenfer de la connaissance de soi (Kant)- dans la dimension
insigne du temps de lenfance, bloc originaire du refoulement, insensible au
signifiant. Non pas le temps prophétique de lhistoire (Hegel), ou le temps
extatique ce qui vient, de ce qui est à venir (Heidegger et Lévinas) mais plutôt le
temps logique de la psychanalyse, le fameux nuage du refoulement originaire, ce bloc
denfance en devenir qui vient tout droit de la tragédie décrite par Sophocle à
propos dOedipe. Linconscient structuré comme un langage
ne se prend pas tout, aux mailles autonomes du symbolique, le temps
du futur antérieur des pulsions subvertit la supposée unité psychologique du Je, comme
du Moi en leur asymétrie même. Là où insiste le ça ne va pas du
symptôme se trace le destin sensible du sujet qui lié avec linconscient peut
révéler lhorreur imparlable dun réel qui, par incidence, se répète à
linsu du sujet. Comme si la jouissance attachée au Réel
ne pouvait pas se toute dire. Le Réel, ce qui résiste à toute
pensée, à toute symbolisation sera toujours le miroir immobile de la sensibilité, de
laffectif totalisable. Le Réel, au sens de Deleuze ou de Lacan, au-delà des
différences, des différences, déploie lintégrale des sensations, de
lintensité, du corps. Ce sont les éléments discontinus, non représentatifs du
dedans du socle transcendantal du sujet identifiable au plan dimmanence du Désir,
à ce quune vie peut devenir... Pour Platon, la sensibilité est
lutopie négative, limpossible radical de la pensée qui pour naître à
elle-même doit sextraire, sabstraire. Le monde sensible est non-lieu
intemporel ou devenir vide sans fond, sans fondement de nos erreurs, nos illusions,
de tous simulacres qui égarent le jugement. Un des personnages préférés de Platon,
Philèbe insiste
expressément sur ceci: une qualité ou un rapport sensible ne sont pas distincts
dune disparité, dune contrariété, dune contradiction même
inhérente au sujet auquel on les attribue.
Discordance ou asymétrie de la sensibilité.
Le sensible ne saffranchit jamais du
mensonge du devenir, de la folie. Rien ni personne ne deviennent: on ne devient pas plus
méchant ou plus dur, on la, dans le fond, toujours
été. Chez Platon, la sensibilité est toute entière assignée à la résidence
surveillée de la contrariété, de la disparité fatale dans la qualité (logique)
de lobjet. Il faudra toute la force renversante de Nietzsche
pour remettre en perspective la sensibilité, là où Platon larrête: lier,
ligaturer la question
scandaleuse de lintimité de la vérité à une structure qui suppose la
symbolicité du temps: lillusion, la fiction, lens imaginarium. Selon lui,
lêtre du sensible nest pas dans la disparité infinie de la qualité hors du
sujet, mais réside dans la différence dintensité dont la valeur de simulacre
appartient à la fabrique de lEternel Retour, de la vérité orientée non vers le
Même mais vers lAutre. Ladmirable chez Platon, cest davoir saisi
que lordre du divisible forme une nature en soi quen intégrant la
compréhension de linégal, de lasymétrique propre au sensible. Faudra -t -
il suivre le fil dAriane dun Nietzsche qui, justement, dans sa volonté de
renversement du platonisme réhabilite, au-delà de Kant, la faculté du sensible en tant
que précisément celle-ci ne peut plus du tout être suspectée dintention ou de
jugement mais dun écart différentiel vis-à-vis de ces deux fonctions de la
représentation: lintensité, la saisie plurielle des sensations? Bref, la
difficulté initiale de la sensibilité connotent lasymétrie que cette faculté
témoigne à légard de limagination, de lentendement ou de la raison.
Le nom de cette asymétrie, de cette discordance entre faculté sensible et faculté de
jugement par exemple renvoie à la grande question de lintensité en ses trois
caractères;
- linégalité à soi
- laffirmation de la différence
- la quantité impliquée, enveloppée, exprimée embryonnée notera
finement Deleuze.
Kant récupère de Platon, le savoir des Idées qui revenant à la faculté
rationnelle, rabat ce plan de transcendance vers une fiction de vérité qui va
transformer lélan métaphysique en attitude éthique où précisément
linsensibilité, lapathie, la distance à légard du sensible sera le
critère le plus sûr de la recommandation éthique. Ne jamais traiter le sujet comme une
chose, mais en personne: non pas en individu subjectif, sexué, homme ou femme, mais
dun point de vue générique, à la fois abstrait et universel. Le minimum
de limpératif catégorique de léthique kantienne est paradoxalement
symétrique à celui de Sade: ne jamais glisser le moindre élément de sensibilité dans
notre
faculté de juger (le Bien, le Bon). Le coeur de linsensibilité kantienne
est parallèle à linsensibilité sadienne: ne pas être affecté, ne pas introduire
lélément du sentiment dans la valeur, la valence de la détermination de
lintention morale. Lacan dans Kant avec Sade8 a parfaitement
repéré ce paradoxe qui depuis la découvert de Freud met en abîme le principe de raison
ou ce qui est identique décèle le creuset délirant de son principe. La limite, le
tort probablement de lanalyse
kantienne dans lanalyse des conditions transcendantales de la sensibilité,
cest de refuser au temps -comme à lespace- pourtant cadres a priori de
notre humaine sensibilité, une extension logique,
tout en maintenant -à linstar de Descartes- une extension géométrique.
Les intuitions sensibles, apriori ou pas, toutes les intuitions sont
définies comme des quantités extensives. comme si la représentation des parties
précédaient autant quelles rendaient possibles les
représentations du tout.
3/ Horizons contemporains: (retour au sommaire)
Vers une éthique des quantités intensives et/ou une
esthétique des intensités.Vers une éthique des quantités intensives et/ou une
esthétique des intensités.Vers une éthique des quantités intensives et/ou une
esthétique des intensités.
Premier exemple: le Droit.
Ni intentionnelle, ni réflexive, la
relation du sujet à lacte sensible pose cependant une question de droit. A quelles
conditions, lêtre parlant peut-il en dire quelque chose? En dire quelque chose à
quelquun enfin, puisque la sensibilité nous entraîne sans réserve vers
lautre fond sans fond qui nest pas détant, mais dEtre,
lEtre autrement quêtre (Lévinas) lAutre invisible en son visage même.
Lapport de Lévinas reste, selon nous, décisif; lexaction nazie
ayant porté à son incandescence la chute de la sensibilité à son point le plus grave,
le plus catastrophique: linsensibilité du sujet devant le visage de lAutre
dont on organise la meurtre en série. Ce projet fut celui dune organisation
délirante de la mort de lAutre jusquà lincroyable volonté de faire
disparaître tout témoignage sensible.
En Occident, le droit, notamment dans la tradition de
sa reprise romano- chrétienne, canonique expressément est, par principe, insensible à
la présentation du sujet singulier devant la loi laquelle figure emblématiquement un
tiers institutionnel -le Roi, LEtat, la République, le Juge.... Ce tiers institué
représente limage visible, sensible de lAutre au principe transcendantal de
la Loi. Mais, ce dont tout sujet peut se soutenir, implique un impératif catégorique
universel qui réglant juridiquement le montage politique de toute société définit un
enjeu invariable pour lhumanité: le respect inconditionnel de la filiation. Cet
impératif catégorique élevé au niveau de la logique dEtat a parti lié avec la
reproduction de lespèce humaine en sa triple spécificité ontologique, politique
et subjective. Telle est la responsabilité politique du sujet-citoyen devant le socle
généalogique de la loi: instituam vitere: instituer la vie, sage formule des juristes
romains. Nous savons que la folie, la psychose peut semparer des institutions
politiques comme des peuples.
Second exemple: les
nouvelles technologies. (retour au sommaire)
Cette équivocité fondamentale de la
sensibilité dont lautre nom le plus moderne est dans le fond lIntensité, est
redoublée par lessor de la révolution cybernétique qui, par delà
lexplosion des médias et multimédias, donne à limage, en sa visibilité
sensible/insensible (intouchable) une part jusquici dévolue avec circonspection par
les traditions théologiques ou religieuses aux emblèmes, aux icônes. Le danger, la
confusion des images trop souvent souligné évoque le déferlement, la montée en
puissance dune démocratie de masse de plus en plus asservis une spectacularisation
de linformation et une instrumentalisation commerciale des connaissances
scientifiques ou du
Capital Lettre en général selon la belle formule dun
philosophe contemporain. Lhistoire nous apprend cependant deux choses lourdes à
méditer en ce qui concerne le ventre mou ou le point sensible comme on dit des masses,
des multitudes humaines. Dune part, lorsquHilter pris
le pouvoir, il le fît démocratiquement, et dautre part, la victoire contre le
nazisme ne fut pas celle de la force des arguments, du Droit ou la Raison mais celle des
armes. Il est donc clair que lart politique du gouvernement (étymologie du mot
cybernétique) de la sensibilité des masses doit prendre en acte des agencements
dénonciation virtuellement collectifs. La perfectibilité
de la démocratie selon le néologisme de Rousseau ou de la République ne passe-t-elle
pas, pour la première fois dans lhistoire de lhumanité, par
lagencement cybernétique de lintelligence collective? Tel est sans doute un
des enjeux anthropologiques majeurs de lInternet et des nouvelles technologies.
Lactualisation grandissante des nouvelles
technologies en jouant la carte de la simulation, de la virtualisation de la réalité, du
redoublement de loriginal en production de copies de copies à linfini,
exacerbe les capacités naturelles de la sensibilité humaine. Kant, par sa
réflexion sur le temps comme cadre a priori et condition de la sensibilité pour
toute expérience possible, congédie limpasse métaphysique où le destin de la
copie vers le simulacre séloignait irréversiblement du modèle, de
loriginal. Le temps est venu du renversement possible du simulacre en modèle
créatif doriginaux. De nouvelles prothèses machiniques inventent des univers de
subjectivation, des liens sociaux de nouveaux types selon des modèles
dénonciations plus singularisant et davantage collectifs. LInternet, par
exemple, produit concrètement des virtualisations nouvelles de léconomie, du
partage et de léchange du savoir, des affects, bien au-delà des déjà vieux
consensus médiatiques que les différents pouvoirs avaient su plus ou moins domestiquer.
La Toile daraignée (http://www) électronique devient lagencement nouveau
dune sensibilité, dune intelligence virtuellement plus collective créant les
conditions inédites = dactualisation du lien démocratique. Ce sentiment-là
(feeling), sil nest pas la répétition des idéologies romantiques, qui, au
nom de la nature tournent le dos à la raison, peut réinventer une pédagogie ironique du
décentrement de tous les pouvoirs monocéphales.
Acquis
anthropologiques (retour au sommaire)
La sensibilité nest ni vraie, ni
fausse, elle nengendre ni erreur, ni illusion: elle cerne un topos, un lieu secret
de la subjectivité humaine où la diversité sensorielle, perceptive trouve dautant
mieux sa loi, le principe symbolique de son efficace quelle ne se substitue jamais,
mais au contraire, suppose la faculté de juger. Ainsi, lensemble de notre
réflexion vise à lui restituer non seulement son intérêt mais sans doute aussi sa plus
haute destination nécessaire possible: le lieu le plus intime, le plus extime.
Limaginaire est bien le seul topos central doù émerge le nom de
lhomme, le sujet. En tant quêtre sensible à la parole, il devient lieu de
résistance par louverture aux autres, à
lAutre symbolique. Cest de (se) libérer de lordre signifiant, que le
sujet saisit loccasion majeure de faire reculer le magma narcissique des sensations
qui définissent aveuglement le corps. Le corps, lieu de présentation de la sensibilité
est néanmoins lieu de la Loi permettant à tout sujet daccéder au principe de sa
propre symbolicité: la parole. Nous lavons dit: tous les empirismes ont salué en
la sensibilité le thème incontournable de léducation. Selon Condillac,
Rousseau, il y aurait une relation essentielle entre lhumain, lhumanité et la
sensibilité, et à lexcellence dun affect central en tout devenir éducatif:
la tendresse. Depuis Rousseau, chaque psychologue, chaque
psychanalyste sait cela: la médiation, le souci de transformation entre les pulsions et
lintellect, entre les sensations et les idées est le noeud gordien du secret du
psychisme et de lensemble de ces décisions subjectives, intellectuelles,
esthétiques, scientifiques, éthiques.
Chaque artiste -comme quiconque- sait que loeuvre dart
-lexistence elle-même- est toujours une investigation de la sensibilité
(Deleuze):
la peinture est dévoilement de linvisible, la musique de linouï, la
danse par le corps dansant vise-t-elle limmatériel?
Lexpérience sartrienne de la Nausée est
une reprise contemporaine du vertige dun Socrate devant linépuisable invasion
du factice, de linauthentique contre quoi la jeunesse de lesprit spontanément
sinsurge. Henri Wallon dans la Vie mentale plaçait la sensibilité au commande de
ce que Freud, le praticien de la psychologie de lenfant devait apprendre du rapport
initial de linfans, à celui qui ne sait encore parler, aux Choses du monde
objectif.
Lattention portée à cette dimension sensori-motrice de la
subjectivité accompagne la révolution psychanalytique: la puissance psychique de
la répétition, de linconscient, du corps comme réseau, dispositif pulsionnel,
asignifiant, index du Réel qui rassemblent sur le plan psychique lidentification
par Kant du sens interne et de lintuition du temps.
Le négationnisme commencerait-il avec loubli de la découverte
freudienne? Cest à propos de la folie exterminatrice quAnna Arendt
décrit longuement au titre de la banalité du Mal les mille mésaventures du
sensible et de linsensible. La liberté procède toujours dune
extrême sensibilité à la responsabilité pour lAutre (Lévinas). Lautre en
sa radicalité anthropologique, cest lInconscient, en sa radicalité éthique,
cest la Personne, le Visage. Lessentiel sera toujours ceci: lexpérience
sensible, la sensibilité passe de la surface empirique dans la dimension du
transcendantal tel est le parti pris pour les choses de la vie, les devenirs intensifs
mineurs qui se déploient sur le plan dimmanence. Le mystère laïque de la
sensibilité nest pas sans concerner le Corps Sans Organe dun Spinoza ou
dun Artaud. Tous les amoureux, les chercheurs, les inventeurs, ceux qui aiment
lêtre de la vie lexpérimentent concrètement. Désirer conjure le
ressentiment, la haine, celle du monde, comme des autres ou de soi.
Le désir nattend aucune consolation de lAutre: il affirme
positivement son expression contre le dard des séparations, des ruptures, de la mort,
au-delà enfin de toutes transcendances de lIdée coupée du sensible, par-delà
lillusion hallucinée daucun arrière-monde.
--Ne pas conclure. (retour au sommaire)
La légitime défense de la
sensibilité passe par la reconnaissance du fait quelle est un des grands carrefours
de la psyché participant aux premiers processus de symbolisation. Kant découvre que la
psyché est affectée, que la forme de cette intuition existant préalablement dans
lesprit, détermine par la représentation du temps la manière dont le divers est
réuni par lesprit11 . Comme telle, la sensibilité véritable est impalpable,
incorporelle, immatérielle, transcendantale; elle rassemble toutes les virtualités qui
appellent lactualisation des procès singularisants et créatifs. Si nous
savons remonter la pente de la Caverne de Platon vers les simulacres qui sont conditions
transcendantales de lIdée, fiction structurante de laccès au vrai, alors un
Gai savoir de la sensibilité incorporelle est accessible, puisque cest du chaos
aléatoire, turbulent, indéterminé que certains appellent encore la Vie, que
lintensité de lUn se profile arrachant la série des multiplicités de la
peau du sensible au même titre que la transcendance émerge, advient, provient toujours
dune immanence, dune
vie.
Fondamentalement laporie du sensible interroge lincompatibilté
de lamour et du sexuel (psychanalyse) du calcul et du penser (philosophie), ces deux
discours résistent à ceux de linformation et la communication. Parmi les
philosophes, cest Heidegger qui radicalisa le
paradoxe que la sensibilité nous oblige à penser: lhomme est radicalement aliéné
au Symbolique, fondamentalement le sujet est endetté par rapport à la parole, mais
simultanément, il sagit pour lui de reconnaître lautorité dun appel,
celui de la voix de la conscience laquelle se donne comme ad-vocation, vers le
Dasein -lêtre-là. Le Dasein est le signe de lauthenticité à légard
de soi-même, responsable que nous sommes vis--vis de lAutre, de laltérité
de la Loi. Celle-ci pour Lacan convoque le fameux Che vuoi? En fait, le
secret de la sensibilité advient, pro-vient de la promesse de notre enfance.
Le fils dAriane de ce fragile labyrinthe logé au centre de notre psyché ouvre un
ensemble disparate de problèmes philosophiques qui peuvent trouver leur solution
ontologique dans un simple impératif éthique: apprend à bien-dire
le point sensible de ton désir ou encore, respecte sans condition limmanence des
choses et des êtres. Lautre nom de
limmanence désigne laccueil , le don du Visage de lAutre lequel engage
toute ma responsabilité, sans aucun réserve.
Cest toujours, déjà, la promesse de
lintensité de lAutre vital qui donne le cap au devenir singulier
dune vie. |
Texte de Jean-Louis Blaquier: jealier@wanadoo.fr
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