LA FONTAINE ... et les femmes!
*En VII 13 elles
sont un sujet de discorde, Les Deux Coqs qui "vivaient
en paix" se font une guerre sans merci quand "une
poule survint". Elargissant le point de vue La Fontaine rappelle:
V3 "Amour tu perdis Troie."
*En IX 7 dans La Souris Métamorphosée en Fille, elles
sont fantaisistes. Une beauté qui pouvait prétendre aux plus splendides mariages porte
son choix sur:
V45 "Un rat! un rat! c'est de ces coups
Qu'Amour fait, témoin telle ou telle".
*En VII 6 La
Fille, préfigurée en VII 5 par Le Héron et aussi prétentieuse que lui, se
moque de tous ses amoureux:
V50 "C'était ceci, c'était cela
C'était tout car les précieuses
Font dessus tout les dédaigneuses"
Délaissée après avoir fait la fine bouche, elle sera finalement:
V76 "...tout aise et tout heureuse
de rencontrer un malotru".*En VII 5 dans Les
Devineresses on voit une femme habile:
V15 "Son fait consistait en adresse:
Quelques termes de l'art, beaucoup de
hardiesse,
Du hasard, quelquefois..."
Elle fait fortune et réussit à ménager à son mari un bon rang. |
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*En VII 10 dans La
Laitière et le Pot au Lait, Perrette aussi serait une femme fort avisée, si
elle modérait sa vivacité! Hélas, après avoir renversé son lait, elle
V27 "Va s'excuser à son mari,
En grand danger d'être battue."
L'ancien Maître des Eaux et Forêts, qui avait longtemps parcouru sa campagne champenoise
connaissait la rude autorité des hommes sur leurs épouses!
*En VII 2 dans Le
Mal Marié La Fontaine déclare que de toute façon on trouve:
V4 "....peu de beaux corps, hôtes d'une belle âme",
et inversement, aussi:
V6 "Ne trouvez pas mauvais que je ne cherche point"
Il poursuit:
V7 "J'ai vu beaucoup d'hymens, aucuns d'eux ne me tentent:
Cependant, des humains, presque les quatre parts
S'exposent hardiment au plus grand des hasards;
Les quatre parts aussi des humains se repentent."
L'exemple qu'il donne ensuite et d'une façon très drôle montre en action une épouse
V14 "Querelleuse, avare et jalouse,"
si exigeante avec son mari et ses domestiques que tout le monde la prend en grippe.
Rappelle-t-il son expérience conjugale malheureuse? On comprend qu'il ait très vite
quitté sa femme!
*En VII 6 avec Les
Souhaits nous avons une note un peu plus optimiste. On y aperçoit un couple qui
semble sympathique puisque tous deux se font aimer du follet qui les sert, un couple uni
puisqu'ils expriment ensemble leurs trois souhaits et intelligents puisque l'expérience
les rendra sages.
Il serait injuste de clore ce chapitre
concernant les femmes sans parler de Madame de La Sablière qui fut une
providence pour le fabuliste et à laquelle il vouait un culte de reconnaissance et
d'admiration. Cette grande dame très fortunée qui vivait, séparée de son mari, une vie
sentimentale assez libre joignait à une culture très étendue une intelligente brillante
et curieuse de tout, lisant les philosophes, recevant le voyageur et orientaliste Bernier,
prenant des cours auprès du mathématicien ROBERVAL (l'inventeur de la balance qui porte
son nom).
La Fontaine lui rend hommage dans Le Discours à Madame de La Sablière
qu'il lui dédie à la fin du livre IX. Il lui donne le beau nom d'Iris, celui de la
gracieuse messagère des dieux:
V1 "Iris, je vous louerais, il n'est que trop aisé."
Il apprécie chez celle que la flatterie laisse indifférente:
V13 "Propos, agréables commerces,
Où le hasard fournit cent matières
diverses."
Avec elle il peut discuter d'égal à égale de tous les problèmes. Quand elle se
retirera dans un couvent, il perdra la plus sûre de ses amies.
Un adieu?
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Peut-on quitter La Fontaine?
On croit bien le connaître et il réserve encore des surprises, une phrase qui
brusquement s'éclaire, un vers d'où surgit une silhouette, des mots qui se mettent à
rire ou à chanter...
"Ouvrez-le sur votre oreiller... vous verrez se lever l'aurore!"
disait un critique du siècle dernier.
Là où d'abord on ne voit qu'un dispute, un mésaventure, un fait divers, qui amusent ou
distraient, on découvre des connaissances inépuisables et multiformes. Dieux et héros
de l'Antiquité, auteurs du Moyen-Âge, personnages de Rabelais ou des Mille et Une Nuits
circulent à leur aise dans ses pages.
J'aimerais rappeler aussi l'ouverture de La Fontaine à l'actualité de son époque et la
façon dont il la transmet à son oeuvre; En effet si la culture prend racine dans le
passé, elle vit et se nourrit du présent. |
Nous avons reconnu les accents
du grand Bossuet puis ceux de la satire pascalienne dans Les Animaux Malades de la
Peste. La Fille, si dédaigneuse, c'est en mineur, le drame
d'Armande dans les Femmes Savantes. Les "deux vrais tartuffes"
qui font pèlerinage dans Le Chat et le Renard, adressent un clin d'oeil
à l'ami Molière, dont la comédie, la fausse piété a eu tant de mal à triompher de
l'opposition des dévots. Les "tendresses raciniennes"
trouvent un écho dans la douloureuse séparation des Deux Pigeons. Un long passage du Discours
à Madame de La Sablière résume et discute avec clarté les théories de
Descartes sur les animaux. La Souris Métamorphosée en Fille fait état
des croyances à la transmigration des âmes qui intriguaient les contemporains de La
Fontaine. Un Animal dans La Lune met en cause la fiabilité des sens,
dont on se prenait à douter, en exposant le phénomène de la réfraction de la lumière.
Les relations des grands voyageurs inspirent Les Souhaits, L'Homme
qui court après La Fortune... , Le Dépositaire Infidèle.
Merveilleux La Fontaine,
"Miracle de Culture"! comme disait André Gide.
*La sagesse
de La Fontaine, elle non plus, ne se livre pas du premier coup, elle se fait jour peu à
peu. On commence par se dire: quel pessimisme! quel absence d'altruisme! quelles
préoccupations terre à terre et étriquée! La morale n'était pas l'affaire de notre
conteur!
Et si au contraire, il avait voulu dissiper une illusion, nous libérer d'une éthique
trop chargée à la fois d'interdits et de préceptes pour nous ramener tout bonnement à
notre simple nature "d'animal supérieur"?
La morale chrétienne qui marque encore notre Occident trace une ligne de conduite si
exigeante qu'on ne peut y contraindre tout le monde. Présenter les comportements humains
de façon neutre et purement laïque, sans juger, sans s'indigner, sans prêcher,
demandait beaucoup de lucidité et de courage, à une époque baignée de religieux et
dominée par la piété du roi.
*Evitez tout excès, gardez-vous des puissants, ne soyez pas naïfs: la sagesse de
La Fontaine évite les désillusions et préserve la sérénité face à ce qui pourrait
blesser ou décevoir des esprits trop bien pensants ou trop idéalistes.
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*Il approchait de la cinquantaine quand ayant mis au clair sa vision du
monde il a publié ses premières fables. Il lui aura fallu ce long temps de maturation
pour fondre véritablement son expérience de français du Grand Siècle
dans celle de ses devanciers, Esope, l'esclave venu de Phrygie, Phèdre le moraliste
romain, Pilpay le conteur oriental, et tant d'autres, dont notre fabuliste, internaute
de génie, a recueilli le message, pour l'adresser au monde, par delà le
temps et l'espace. |
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