Au contraire pour Gabriel
MARCEL, il y a une connexion profonde de lintime je et du transcendant
tu, dans une co-présence: la relation est donc créatrice du je et
du tu parce que attendre de quelquun cest dabord
donner la parole, reconnaître la liberté dautrui dans laquelle je se
retrouve: cest être dans lautre comme lautre est en moi: les
retrouvailles de la liberté, création de lespérance.
Cest dire que le toi,
dans son individualité, est, comme liberté, irréductible aux intérêts comme aux
jugements. Au regard du toi aimé, les déterminations objectives (lautre
désarticulé) sont insignifiantes. (Introduction de Joseph)
Journal
métaphysique : 11 novembre 1932
"
Rien ne fera
que les autres ne soient pas ma pensée des autres
Je crois que
cest précisément cette position quil faut refuser radicalement. Si
jadmets que les autres ne sont que ma pensée des autres, mon idée des
autres, il devient absolument impossible de briser un cercle quon a commencé par
tracer autour de soi. Si lon pose le primat du sujet-objet de la
catégorie du sujet-objet ou de lacte par lequel le sujet pose des objets en
quelque sorte au sein de lui-même, lexistence des autres devient impensable
et sans aucun doute nimporte quelle existence quelle quelle puisse être
"Lorsque je
traite un autre comme un toi et non plus comme un lui, cette différence de traitement ne
qualifie-t-elle que moi-même, mon attitude envers cet autre, ou bien puis-je dire qu'en
le traitant comme un toi je pénètre plus avant en lui, que j'appréhende plus
directement son être ou son essence?
Ici encore il faut
prendre garde; Si par "pénétrer plus avant ", ou par " appréhender plus
directement son essence" on veut dire parvenir à une connaissance plus exacte ou en
un sens quelconque plus objective il faut sans aucun doute répondre non. A cet
égard, il sera toujours possible, Si l'on s'en tient à un mode de détermination
objective, de dire que le toi est une illusion. Mais remarquons que le terme même
d'essence est extrêmement ambigu; par essence on peut entendre ou une nature ou une
liberté; il est peut-être de mon essence en tant que liberté de pouvoir me conformer ou
non à mon essence en tant que nature. Il est peut-être de mon essence de pouvoir
n'être pas ce que je suis; tout simplement de pouvoir me trahir. Ce n'est pas
l'essence en tant que nature que j'atteins dans le toi. En effet en le traitant comme lui
je réduis l'autre à n'être que nature: un objet animé qui fonctionne de telle
façon et non de telle autre. Au contraire, en traitant l'autre comme toi, je le traite,
je le saisis comme liberté; je le saisis comme liberté, car il est aussi liberté
et non pas seulement nature. Bien plus, je l'aide en quelque sorte à être libéré, je
collabore à sa liberté - formule qui paraît extrêmement paradoxale et contradictoire,
mais que l'amour ne cesse de vérifier. Mais d'autre part c'est en tant que liberté qu'il
est véritablement autre; en tant que nature en effet il m'apparaît identique à
ce que je suis moi-même en tant que nature -et cest sans doute par ce biais et par
ce biais seulement que je puis opérer sur lui par suggestion (confusion redoutable et
fréquente entre l'efficacité de l'amour et celle de la suggestion).
Par là s'éclairent
mes formules de ce matin. L'autre en tant qu'autre n'existe pour moi qu'en tant que je
suis ouvert à lui (qu'il est un toi), mais je ne suis ouvert à lui que pour autant que
je cesse de former avec moi-même une sorte de cercle à l'intérieur duquel je logerais
en quelque sorte l'autre, ou plutôt son idée; car par rapport à ce cercle l'autre
devient l'idée de l'autre - et l'idée de l'autre ce n'est plus l'autre en tant qu'autre,
c'est l'autre en tant que rapporté à moi, que démonté, que désarticulé ou en cours
de désarticulation. " Gabriel Marcel |
"La réflexion sur l'être et l'avoir
va l'aider à analyser ce que nous avons appelé l'intersubjectivité dégradée dans son
opposition et sa relation à l'intersubjectivité parfaite." (Préface de ÊTRE ET AVOIR, Editions Universitaires 1991- page 10
- Jeanne Parain-Vial)
Autrui
est-il un problème?
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Beaucoup de sujets sur Autrui tourneront autour de la distinction:
obstacle, moyen, problème , mystère. Voici un texte de Gabriel Marcel à qui nous
devons la distinction entre problème et mystère etc
(Voir les figures dautrui)
"Il semble bien en effet qu'entre un
problème et un mystère il y ait cette différence essentielle qu'un problème est
quelque chose que je rencontre, que je trouve tout entier devant moi, mais que je puis par
là même cerner et réduire - au lieu qu'un mystère est quelque chose en quoi je suis
moi-même engagé, et qui n'est par conséquent pensable que comme une sphère où la
distinction de l'en moi et du devant moi perd sa signification et sa valeur initiale. Au
lieu qu'un problème authentique est justiciable d'une certaine technique appropriée en
fonction de laquelle il se définit, un mystère transcende par définition toute
technique concevable. Sans doute est-il toujours possible (logiquement et
psychologiquement) de dégrader un mystère pour en faire un problème; mais c'est là une
procédure foncièrement vicieuse et dont les sources devraient peut-être être
cherchées dans une sorte de corruption de l'intelligence. Ce que les philosophes ont
appelé le problème du mal nous fournit un exemple particulièrement instructif de cette
dégradation.
Par le fait même qu'il est de l'essence du mystère d'être reconnu ou à
reconnaître, il peut aussi être méconnu et activement nié; il se réduit alors à
quelque chose dont "j'ai entendu parler", mais que je récuse comme n'étant que
pour d'autres, et cela en vertu d'une illusion dont ces "autres" sont
dupes, illusion que je prétends quant à moi avoir percée à jour.
Toute confusion entre le mystère et l'inconnaissable doit être soigneusement évitée:
l'inconnaissable n'est en effet qu'une limite du problématique qui ne peut être
actualisée sans contradiction. La reconnaissance du ) mystère est au contraire un acte
essentiellement positif de l'esprit, l'acte positif par excellence et en fonction duquel
il se peut que toute positivité se définisse vigoureusement. Tout paraît se passer ici
comme Si je pouvais bénéficier d'une intuition que je possède sans savoir
immédiatement que je la possède, d'une intuition qui ne saurait être, à proprement
parler, pour soi, mais ne se saisit elle-même qu'à travers les modes
d'expérience sur lesquels elle se réfléchit et qu'elle illumine par cette réflexion
même. La démarche métaphysique essentielle consisterait dès lors en une réflexion sur
cette réflexion, en une réflexion à la seconde puissance par laquelle la pensée se
tend vers la récupération dune intuition qui se perd au contraire en quelque
façon dans la mesure où elle sexerce. "
Gabriel Marcel, Journal métaphysique - 23 Décembre 1932.
Voir dans "aides aux dissertations": Les consciences
peuvent-elles communiquer les unes avec les autres?
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