Elle est
pourtant bien intéressante la scène que le hasard vous a impartie.
Ce serait une erreur de vouloir à tout prix plaquer sur elle les
concepts du thème au programme. Vous risquez dans cette hâte
pragmatique de passer à côté de l'essentiel. Il s'agit d'élever
la lecture à un art et de restituer à la scène ses dimensions
visuelles et auditives, pour ainsi dire.
Analyser une scène c'est mettre sa structure en valeur et faire
apparaître l'art qui soutient la structure, les noces de l'art et
de la vie productrice de l'illusion théâtrale.
Quoiqu'on en dise (le "je me dépêche d'en rire de peur que
d'en pleurer" est un anachronisme romantique ...), le Dom Juan
de Molière est d'abord une comédie qui use et abuse de tous les
registres du comique et cette scène 3 de l'Acte II vise donc à
nous faire rire. (Il ne s'agit pas ici de sourire). |
L'admirable dans cette scène, c'est
que la structure s'appuie sur l'art comme technique pour provoquer le
rire.
-
Vous ne serez
donc pas impertinent en marquant les techniques employées et les deux
principales puisque vous pouvez distinguer trois parties.
C'est un texte qui a pu inspirer et en tout cas ravir Bergson car il
fourmille de ces artifices "mitoyens entre la nature et
l'art" (Bergson, Le rire, dernière ligne du chapitre I).
a)
Le rire par le ressort que l'on repousse et qui revient sans cesse,
un peu comme polichinelle sort de sa boîte ou encore comme celui que l'on
chasse par la porte, montre sa figure par la fenêtre: un mécanisme
inséré dans la nature: le comique s'oppose à la grâce plutôt qu'à la
beauté (pour la grâce voir les sublimes pages de Bergson sur le
sentiment esthétique dans le chapitre premier de l'Essai sur les données
immédiates de la conscience). Le comique c'est un peu l'échec de l'âme
qui ne sait plus vouloir, dont le corps fait le contraire de ce qu'elle a
décidé.
Pour cet effet ressort, qui anime la première partie, vous
pouvez par exemple relever:
- Pierrot pousse Dom Juan qui le repousse.
- Notez la succession des soufflets avec chaque fois un juron de Pierrot
- Dans le dialogue Charlotte / Pierrot: par exemple:
"Ne te fâche pas => Je veux me fâcher" etc.
b) Analyser l'effet comique produit par la distance
entre l'âme et le corps, le mécanique plaqué sur du vivant. Par
exemple:
- "Je ne crains personne" dit Pierrot en s'éloignant.
- "J'en ai vu d'autres", en se sauvant...
- etc
-
Après avoir
analyser votre scène, du point de vue de l'art et de la structure,
vous avez à montrer que tout est dit et que l'analyse permet par elle
même de comprendre le rapport avec le thème mesure et démesure:
vous sortez le lapin du chapeau dans une de ces conclusions
"boulet de canon" qui force l'admiration d'un jury et permet
très souvent de réussir à un oral de concours. Voici quelques pites
parmi d'autres:
a)
La démesure n'est-elle pas d'abord dans l'inadéquation entre l'âme et
le corps: tenez-vous, demandait Pierrot; mais peut-il
le demander si lui-même ne se maîtrise pas? Dans cette scène, on ne se tient
pas (développez brièvement si votre auditoire n'a pas l'air de
comprendre.)
b) La mesure n'est-elle pas ridiculisée dans
la mesure où elle est prônée par Pierrot et Sganarelle qui sont bien
incapables d'être mesurés?
c) La mesure (avant d'être bafouée par ceux
qui la prônent), apparaît au début de la scène.
A la fin de la scène Pierrot va cafarder (n'est-ce pas une démesure) et
Dom Juan célèbre la démesure: "Que de plaisirs." Or le
plaisir figure la mort car il disparaît dès qu'on l'a, figure la fuite
dans ce qui fuit. Or la mort en mesurant l'existence n'est-elle pas aussi
le comble de la démesure?
Vous avez, bien entendu, dans l'analyse suivi de près les trois premières
lignes et les trois dernières. Par exemple la mesure habite les trois
premières lignes: tout est mesure, la douceur, la maîtrise de soi,
la politesse, la dénonciation de l'emportement qui nuit à celui qui
s'emporte: vive la tempérance!
Si on compare le début et la fin, on peut se demander si la part la plus
belle n'est pas faite à la démesure, si la démesure n'a pas le dernier
mot ...
- Vous aurez raison de souligner l'alliance de la femme qui n'aime pas
Pierrot, qui est incapable de lui marquer de la passion (lire au moins la
scène 1 et la scène 2), et qui se sent libre de suivre la nature c'est
à dire le désir (c'est très moderne dans une pièce très classique) -
et de Dom Juan.
- Le dialogue entre Pierrot et Charlotte, n'est-il pas un monologue à
deux. La femme est très futée: elle joue sur les sens du verbe
aimer (désirer ou vouloir le bien de quelqu'un). Peut-on dire que là
encore la mesure n'y est pas? (C'est mal ajusté, ça fait rire)
Curieux -
Marquez comment Sganarelle passe du respect au mépris, comment
"Maroufle" est mal ajusté à Pierrot qui est en train de sortir
de son registre comique en s'adaptant à la vie et en évitant le soufflet
ce qu'il aurait pu faire depuis longtemps; mais alors le "comique de
ressort" aurait disparu. C'est Sganarelle qui devient la mécanique
plaquée sur du vivant. Pierrot n'est-il pas authentique? En tout
cas sa parole est mesurée à ses sentiments.
Personnellement la seule mesure que je vois dans
cette scène c'est le triomphe de la norme sociale et des préjugés.
C'est tellement vrai que Molière invente le
dialecte paysan, ça n'a pas tellement d'importance puisqu'ils vivent
comme des bêtes (La Bruyère) et qu'un paysan, quand il joue s'envoie des
mottes de terre et quand il parle à un noble ne peut que
s'incliner.
C'est donc le triomphe de Dom Juan, le triomphe de la démesure grâce à
la protection de la norme sociale c'est à dire d'une mesure qui s'accommode
très bien des écarts des privilégiés qu'elle institue.
=Arrivez à votre
colle persuadé d'avoir eu la chance de tomber sur une des scènes les
plus significatives de la mesure et de la démesure. Annoncez-le dans
deux phrases d'introduction: c'est Tellement Vrai que vous ne ferez le
rapport avec le thème du programme qu'à la fin pour ceux qui en auraient
besoin. N'oubliez pas qu'il y a un pouvoir des mots et que si vous
n'employez pas ce pouvoir on vous corrigera avec des mots.
Bien entendu, vous considérez tout cela comme une simple esquisse:
vous avez le champ libre... et surtout gardez votre fierté. Rebondissez
devant ce que, dans un premier moment, vous avez considéré comme un
coup du sort.
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Joseph
LLapasset ©
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