L'art
I. AUTOUR DU
MOT: Science et technique
Alors que
la science s'efforce de produire un savoir théorique justifié, alors que la technique
s'épuise à présenter des procédés de travail ou de production réductibles au savoir
faire que développe un apprentissage, l'art a pour fonction de créer le beau: la seule
fin de l'art est l'œuvre, la beauté de l'œuvre.
Si l'on confond la science, la technique et l'art c'est parce que les
mathématiques sont belles, la technique n'est plus, de nos jours que l'application de la
science, l'artiste utilise nécessairement des techniques dans la production de
l'œuvre.
Mais si on considère l'objet de ces disciplines, pour les mathématique
l'objet en général, pour la technique la réalisation de modèles performants, pour
l'art la réalisation du beau, il faut nécessairement les distinguer. D'ailleurs cette
distinction apparaît en pleine lumière au niveau même de la réflexion comme
"retour sur": épistémologie pour la science, philosophie morale pour la
technique, esthétique pour l'art.
Avec José Bonhomme
Sculpteur catalan
II. LA NOTION
Si l'art a pour fonction de créer une oeuvre et sa beauté, l'esthétique,
discipline qui réfléchit sur l'art, ne peut éviter la question: qu'est-ce que le beau?
Cela revient à demander: y-a-t-il un critère, un instrument de reconnaissance du
beau? L'esthétique se comporte en discipline philosophique chaque fois qu'elle cherche
ainsi la vérité, en s'efforçant d'ajuster un discours à son objet et de trouver un
concept qui permettrait, en déterminant une intuition sensible, de porter un jugement de
connaissance sur un objet. Mais cette tentative de réduction du beau au vrai se révèle
vite une impasse du point de vue de la beauté naturelle, ce qui n'étonne pas puisque
l'homme n'a pas créé la nature, comme du point de vue de la beauté artistique ce qui
est plus étonnant puisque l'artiste semble bien le créateur de l'œuvre belle.
-La beauté naturelle
Si on admet qu'un critère (ou un concept) est universel dans son
domaine d'application tous les critères de beauté naturelle (forêt, montagne, rocher,
mer fleuve...) proposés se révèlent, tous, particuliers: or un instrument de mesure qui
ne mesurerait qu'une fois sur deux devrait être abandonné: ainsi la puissance, la
grandeur, la petitesse, l'harmonie elle-même ne sauraient avoir rang de critère
universel car la puissance peut effrayer (on est loin de la satisfaction esthétique) la
grandeur décourage et éloigne parfois, la petitesse ne retient pas toujours le regard et
jusqu'à l'harmonie d'un paysage qui peut lasser par sa fadeur.
Même l'accord de la nature et de nos sentiments loin de nous
satisfaire peut nous désoler et nous amener à clore les volets sur ce coucher de
soleil, qui évoque la cruauté d'un deuil. Ce ne serait d'ailleurs qu'un critère
subjectif.
Quant à ceux qui veulent faire de l'adaptation d'un corps à sa fonction un
critère de beauté du corps biologique, ils confondent la beauté et l'utilité, l'art et
la technique, soumettant le beau à bien des variations culturelles en fonction de
l'égoïsme humain: on passera des formes généreuses et fécondes propres à la
reproduction à la forme unisexe où le semblable aime le semblable.
-La beauté artistique
Se demander
si l'art imite la nature, c'est se donner la réponse dans la question, puisque l'art est
une production et que la nature est donnée dans l'intentionnalité d'une conscience
ek-statique.
Si quelque chose de l'œuvre est souvent emprunté à la nature, le beau est dans l'écart
que l'œuvre instaure entre une nature donnée et un monde où l'esprit est chez lui: de
la forêt aux piliers des cathédrales, du trèfle des champs au trilobé gothique, du
corps humain à celui de l'athlète, du corps de femme à l'origine du monde de Courbet,
il y a cette distance dans laquelle jaillit le beau comme une surprise.
Autant dire que l'artiste est le créateur par qui apparaît un monde des
possibilités qu'il porte en lui, celui de la vie, de ce qui s'éprouve soi-même et donne
forme à la vie en produisant une oeuvre vivante. Il ne copie pas la nature (à quoi
bon?), il n'abdique rien parce que le soi ne peut se séparer de soi: il donne la vie en
enfantant la beauté, la vie de l'œuvre qui se recueille en elle-même dans sa plénitude
comme si l'artiste donnait à voir l'invisible.
Si l'artiste n'imite pas la nature exposée au voir, à la distance, au
"trou de lumière" de l'intentionnalité, il crée un monde où la vie s'éprouve
dans la jubilation de l'œuvre.
Voilà pourquoi l'artiste élargit notre capacité d'admiration, il nous fait comprendre
la nature en peuplant ce "cadavre de Dieu", en la peuplant de vivants: en ce
sens l'œuvre belle est un mensonge sauvé par la beauté, mais un mensonge libéré des
aliénations du besoin et du désir. L'art ne relève ni de la morale, ni du besoin car ce
n'est pas une technique.
Sans concept, la
beauté ne se prouve pas: la beauté n'a de but qu'elle-même et, comme la vie elle est
gratuite. Parce qu'elle n'a de but qu'elle même comme la vie elle est immortelle
"comme un rêve de pierre".
Citations:
"Le beau est ce qui est représenté, sans concept, comme l'objet d'une satisfaction
universelle" Kant Critique du jugement p.46, Vrin
"Le beau se définit comme la manifestation
sensible de l'idée." Hegel Esthétique, p.160, Flammarion
"L'art a toujours pour fonction de créer un monde où
l'esprit soit chez soi et qui soit à sa mesure" H. Delacroix Psychologie de
l'art p.161
"L'art vise à imprimer en nous des sentiments plus
qu'à les exprimer" H. Bergson, Essai sur les données immédiates de la
conscience p.14
"Le propre de l'art c'est de donner une forme à ce
monde de possibilités que nous portons au fond de notre conscience" Lavelle Traité
des valeurs II, p.329
Pistes de lecture:
Kant: Critique du jugement (on s'aidera de l'excellent commentaire de Louis Guillermit,
lectoguide, Editions Pédagogie Moderne)
Hegel: Esthétique
H. Delacroix: Psychologie de l'art
M. Henry: Voir l'invisible sur Kandinsky -aller
vers l'aperçu-
M. Haar: L'oeuvre d'art -aller vers l'aperçu-
Pour compléter, voir:
Citations: l'art
Philo-notions/bac la page sur L'ART
philorecherche/fac Paul Ricoeur (arts, langage...)
de Michel Henry (Kandinsky).
Philo-express, le parcours sur l'art.
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