Revue - Ecole-en-Regard
FAITES-LES TAIRE!
Treize bons conseils pour obtenir le silence absolu dans mes classes
1 La représentation de la situation de communication dans la classe, partagée par nombre de mes collègues, de mes élèves et de leurs parents, est la suivante : le professeur parle, les élèves écoutent. Et donc se taisent. La parole est ma prérogative. C'est parfait.
Surtout, ne pas mettre à jour cette représentation, ne pas la mettre en jeu, et encore moins en question.
2 Je suis celui qui a la parole. Que je sois aussi celui qui la donne. Que tout passe par moi. Que ce soit à moi qu'un élève s'adresse pour savoir s'il peut demander un stylo à un camarade. Mis en situation de risquer un refus, sa spontanéité ligotée, le sentiment d'impuissance de l'élève devant mon pouvoir absolu lui nouera la gorge.
Surtout ne pas favoriser la forme de communication qui intéresse le plus les adolescents, à savoir la communication entre pairs. Ne jamais pratiquer le travail de groupe. D'ailleurs je n'y ai pas été formé. Tant mieux.
Ne jamais, non plus instituer un élève comme distributeur de la parole dans la classe.
3 Je suis le maître de la parole. Que le silence non plus n'échappe pas à mon contrôle. J'exige le silence, je romps le silence à ma guise, je décide du bon et du mauvais silence.
Le bon silence est celui des élèves lorsqu'ils m'écoutent, le mauvais silence est celui des élèves qui ne répondent pas à mes questions, ou qui ne se dénoncent pas lorsque je demande qui vient de siffloter.
Surtout, ne pas croire que le travail fait du bruit. Le signe que les élèves travaillent, c'est qu'ils se taisent.
4 S'il m'arrive de proposer la parole à la classe, lorsque je pose une question par exemple, ne jamais interroger les élèves les plus à l'aise, qui risqueraient de la monopoliser. Au contraire, faire parler les élèves timides, ou en difficulté, qui n'ont pas levé le doigt. S'ils ne disent rien, c'est parfait, je peux continuer à faire cours.
5 La communication dans la classe relève de règles, soit. Mais c'est moi qui les fixe. Et je n'y suis pas soumis : où irait-on si je levais le doigt pour demander la parole ou si je ne pouvais pas interrompre celui qui parle ?
Surtout ne pas croire que les échanges pourraient relever d'un contrat, et encore moins penser que les élèves pourraient être associés à l'élaboration de ce contrat, à sa renégociation régulière.
6 S'il m'arrive de donner la parole à un élève, ce n'est pas pour qu'il communique ce qu'il sait, mais pour que je vérifie ce qu'il est censé savoir.
C'est moi qui ai les connaissances, c'est moi qui les mets en circulation.
L'élève, privé d'un des plus grands plaisirs de la communication - faire part à l'autre de ce qu'on sait et qu'il ne sait pas, lui apprendre quelque chose, le lui faire découvrir - préférera se taire. Tant mieux, ça évitera les bavardages.
7 Si les élèves souhaitent parler, qu'ils fassent des exposés. Très bien les exposés. La bonne recette est la suivante : un sujet imposé, un élève inquiet de récolter une mauvaise note, qui parle sous mon contrôle et que je peux interrompre à tout moment pour le corriger ou le reprendre, un auditoire captif que le sujet n'intéresse pas nécessairement. Voilà une situation de communication qui a fait ses preuves.
8 Mon rôle n'est pas de faciliter les échanges, mais d'être le gardien de l'orthodoxie formelle de la communication.
Interrompre un élève pour le reprendre sur la correction de son
énoncé, ou parce qu'il n'intervient pas à son tour, ou parce qu'il dit quelque chose de juste trop tôt, anticipant sur mon « programme », c'est lui apprendre que le respect de la forme ou de la norme compte davantage que l'efficacité du message.
Et la forme la plus pure, c'est le silence.
9 Je décide qui parle, quand et comment on parle, mais aussi de quoi on parle en classe. Tout échange qui n'a pas pour sujet la matière de mon cours est bavardage et doit être proscrit.
Surtout, ne pas croire que les élèves ont besoin de liberté dans la communication, de faire part d'une anecdote, d'une critique, d'une question.
10 La classe, ce n'est pas la vie. Dans les échanges en classe, surtout ne pas laisser place à l'improvisation, à la spontanéité, à l'initiative, au désordre.
Ne pas oublier non plus que si, dans la vie, c'est celui qui ne sait pas qui interroge, en classe, c'est moi qui pose des questions. Ni qu'il est plus probable, lorsqu'un élève me répond qu'il dise une bêtise que quelque chose de sensé. Froncer les sourcils, avoir l'air suspicieux avant même de l'écouter, voilà qui devrait l'empêcher de dire n'importe quoi.
11 Parti pris, violence verbale, mauvaise foi, compétition sont interdits aux élèves. Quant à moi, je peux me fâcher, me montrer grossier ou brutal. Tout particulièrement quand c'est pour faire régner l'ordre et l'harmonie.
12 Honte aux menteurs. L'élève doit m'avouer ses erreurs, ses doutes, ses ruses, ses paresses, ses contradictions.
Surtout ne pas croire que le mensonge peut être un moyen utile de déguiser sa pensée, de se protéger des tendances inquisitrices d'autrui, donc d'exister comme sujet.
13 Rien de ce qui se passe en classe ne doit m'échapper. Il est de mon droit, et même de mon devoir d'intervenir dans une conversation privée entre élèves et de leur demander d'en faire part à haute voix, ou d'intercepter et de lire un billet qui circule. Et pourquoi limiter à la classe mon champ d'investigation , Décris ta chambre, fais le portrait de ta mère, raconte tes vacances, fais part de ce que tu as éprouvé en assistant à une injustice...
Il était interdit de parler, il est maintenant interdit de se taire.
Conclusion
J'ai fait, il y a deux ans une petite enquête auprès de tous les élèves de 3" de mon établissement. L'une des questions posées était la suivante : «Au collège, d'après vous, parmi tout ce qu'on vous demande de faire, qu'est-ce qu'on vous demande le plus souvent ? »
Réponse à 80 % : « se taire »
Ça marche !
Frédéric Teillard - Professeur de collège a publié en 2000 Petit manuel de savoir vivre à l'usage des enseignants (Hachette).
lydie.villemard@ac-versailles.fr
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