Dieu: Le
pari de Pascal par Jules Lachelier
-B : Critique du pari
Le pari de Pascal, ou plutôt le raisonnement par lequel il le justifie, est-il logiquement irréprochable ? " L'instinct ", dit M. Havet,
" avertit qu'il doit y avoir un défaut dans cette démonstration étrange, mais on a de la peine à le démêler. " Il ne saurait être question de fautes de calcul mais n'y a-t-il pas un sophisme caché dans les données du calcul ?
Ces données sont, d'une part, le rapport des chances de gain aux chances de perte, qui paraît être, pour Pascal,
un rapport d'égalité; de l'autre, les trois idées, inséparables
avons-nous dit, dans sa pensée, de Dieu, de la vie éternelle, et du
renoncement à nous-mêmes."
On pourrait demander d'abord si ces trois idées sont inséparables. Ne serait-il pas possible, par
exemple, que Dieu fût et que nous n' eussions cependant rien à espérer après cette vie ? Poser cette question serait, je
crois, mal comprendre Pascal ou, en tout cas, son pari. Le Dieu pour lequel il nous propose de parier n'est pas celui
qui a créé le monde et en qui subsistent les vérités géométriques: c'est celui qui nous aime, celui qui veut nous
sauver et nous rendre éternellement heureux. La vie éternelle, d'autre part, n'est pas un état de félicité, en quelque sorte, physique, dont Dieu pourrait être la cause, sans en
être en même temps la matière: c'est l'union de notre âme avec Dieu, c'est Dieu même, de caché devenu visible
et présent à notre conscience. Il n'y a donc pas là, en réalité, deux idées, mais une seule, qui est celle de notre béatitude. Le gain attaché au succès du pari est l'objet même du pari.
Demandera-t-on maintenant s'il y a un rapport nécessaire entre le gain et l'enjeu, si nous ne pouvons vraiment
parvenir à la vie éternelle qu'en renonçant au monde et à nous-mêmes ? Sans doute, si cette vie ne devait être qu'une sorte de revanche de la nature sur la mort, le triomphe définitif de notre
moi, mis désormais à l'abri des atteintes du temps, on ne voit pas pourquoi nous ne pourrions nous y préparer qu'en renonçant à nous-mêmes: ce serait le cas, au contraire, de nous aimer sans réserve, puisque nous
serions assurés de ne jamais nous perdre. Mais il n'en est pas de même si elle doit consister dans l'union de notre âme avec Dieu: car, dans le tout que nous formerons alors avec lui, notre moi comptera pour bien peu de chose, si
tant est qu'il soit encore quelque chose et ne s 'évanouisse pas en participant de l'infini. On comprend alors que la
condition de notre félicité future soit la renonciation à l'amour-propre: car celui qui fait de lui-même son centre
et son tout refuse, en quelque sorte, d'avance, d'être uni a Dieu et de vivre de la vie divine. Qui cherche son âme,
dit l'Evangile, la perdra.
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