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philosophie de Philagora: http://www.philagora.net/philo.htm
ROUSSEAU, Émile - Livre V
LA
JUSTICE - NATURE ET ORDRE -
Rôle pédagogique des lois.
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ROUSSEAU, Émile - Livre V
Avant tes voyages, je savais quel en serait l'effet;
je savais qu’en regardant de près nos institutions, tu serais bien
éloigné d'y prendre la confiance qu'elles ne méritent pas. C'est en
vain qu'on aspire à la liberté sous la sauvegarde des lois. Des lois!
où est-ce qu'il y en a, et où est-ce qu'elles sont respectées?
Partout tu n'as vu régner sous ce nom que l'intérêt particulier et
les passions des hommes. Mais les lois éternelles de la nature et de
l'ordre existent. Elles tiennent lieu de loi positive au sage; elles
sont écrites au fond de son cœur par la conscience et par la raison;
c'est à celles-là qu'il doit s’asservir pour être libre; car il n'y
a d'esclave que celui qui fait mal, car il le fait toujours malgré lui.
La liberté n'est dans aucune forme de gouvernement, elle est dans le cœur
de l'homme libre; il la porte partout avec lui. L'homme vil porte
partout la servitude. L'un serait esclave à Genève, et l'autre libre
à Paris.
"Si je te parlais des devoirs du Citoyen, tu me
demanderais peut-être où est la patrie, et tu croirais m'avoir
confondu. Tu te tromperais, pourtant, cher Émile, car qui n'a pas une
patrie a du moins un pays. Il y a toujours un gouvernement et des
simulacres de lois sous lesquels il a vécu tranquille. Que le contrat
social n'ait point été observé, qu'importe, si l’intérêt
particulier l'a protégé comme aurait fait la volonté générale, si
la violence publique l'a garanti des violences particulières; si le mal
qu'il a vu faire lui a fait aimer ce qui était bien, et si nos
institutions mêmes lui ont fait connaître et haïr leurs propres
iniquités? Ô Émile! où est l'homme de bien qui ne doit rien à son
pays? Quel qu'il soit, il lui doit ce qu'il y a de plus précieux pour
l'homme, la moralité de ses actions et l'amour de la vertu. Né dans le
fond d'un bois il eut vécu plus heureux et plus libre; mais n'ayant
rien à combattre pour suivre ses penchants il eut été bon sans
mérite, il n'eut point été vertueux, et maintenant il sait l'être
malgré ses passions. La seule apparence de l'ordre le porte à le
connaître, à l'aimer. Le bien public, qui ne sert que de prétexte aux
autres, est pour lui seul un motif réel. Il apprend à se combattre, à
se vaincre, à sacrifier son intérêt à l'intérêt commun. Il n'est
pas vrai qu'il ne tire aucun profit des lois; elles lui donnent le
courage d'être juste, même parmi les méchants. Il n'est pas vrai
qu'elles ne l’ont pas rendu libre, elles lui ont appris à régner sur
lui." …
|
ROUSSEAU, Emile- Livre V - PLéiade (pages 855, 858): fonction pédagogique
des lois.
Dans le cours de son oeuvre, Rousseau distingue deux
formes de contrat social:
-
Celui du deuxième discours a pour origine l'invention d'un riche:
seul contre tous il a l'idée d'utiliser les forces des pauvres pour
défendre sa possession: il invente la loi qui énonce des
conduites.
-
Le contrat social a pour origine la raison, la production d'un
être de raison: la loi avec sa double universalité (pour tous et
par tous), source d'égalité et de liberté: l'auteur, c'est
Rousseau qui se situe à l'autre bout de l'histoire.
Mais distinguer ne revient pas à opposer radicalement les deux
contrats: ils naissent en effet d'une même situation, l'état de guerre,
et ont pour origine l'art comme réflexion qui "prend la relève de
la nature" (Goldschmidt, Anthropologie et politique, page 571).
Dans les deux cas il s'agit bien d'unir et de diriger les forces, dans
le premier contrat en faveur du riche et dans le second en faveur du
bien commun.
Ce qui les distingue apparaît clairement dans ce texte d'Émile: dans
son voyage, Émile n'a pas vu, n'a pas rencontré ce qui doit être et le
visible le fait désespérer de l'intelligible: ce qui doit être
n'existe pas et ce qui existe n'est pas conforme à ce qui doit être. Or Rousseau sait que
l'existence se joue toujours dans une société au point que le besoin
d'autrui est facteur de moralité en tant que révélateur des
virtualités humaines. C'est sous le premier contrat social, Émile l'a constaté, que
l'existence se déploie. Si le discours du riche et
sa conséquence sont préférables à l'état de guerre c'est que dans
le premier contrat social, celui du riche, en lui même il y a une
positivité par laquelle il participe au "vrai" contrat
social.
C'est la positivité, l'ordre: toute loi porte une marque qui la fait
être loi, quel que soit son contenu: une marque de participation à
l'essence de la loi: si elle énonce des conduites, elle participe au
vrai contrat social.
La distinction ne doit donc pas aller jusqu'à opposer radicalement
les deux contrats et le débat sur le vrai et sur le faux contrat social
perd de son intérêt puisque c'est le fait de vivre dans une société
civile qui importe.
Joseph Llapasset
- Nature et ordre: page 1
- page 2 - page
3- Notes de cours sur ce texte, commentaire de monsieur Clair.
(préparation à l'agrégation).
Pistes de lectures- Rousseau,
== La Nouvelle
Héloïse, cinquième partie, III, Lettre à Milord Édouard,
Pléiade II, pages 557 à 586: "Tout concourt au bien commun
dans le système universel."
== Fragments politiques, 6, Pléiade III, pages 504 et 505
(incontournable)
== Goldschmidt, Anthropologie et politique, pages 567 à 586.
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