LA
HONTE!
"Je fouillerai les gens, les faits, les noms. les titres
Porte-sabres et porte-mitres;
Je les tiens dans mon vers comme dans un étau.
On verra choir surplis, épaulettes, bréviaires,
Et César, sous mes étrivières,
Se sauver, troussant son manteau!
" (I 11 III)
Injures,
insultes, épithètes infamantes ou ironiques, vont se déverser tout au long
des pages, si nombreuses, si variées qu'il serait fastidieux de les citer toutes, ou d'en
donner systématiquement les références. Le justicier stigmatise Napoléon III, tous
les personnages en place, dignitaires, militaires, ecclésiastiques,
banquiers, possédants ... qui se sont faits complices et bénéficiaires de ses forfaits, mais
aussi:
la masse aveugle qui y a souscrit. Ces derniers, les passifs qui
ont laissé s'installer l'inacceptable, sans s'indigner ni lutter, le poète les accable
de son mépris:
"Ils sont ce qui murmure, applaudit, siffle, coule,
Bat des mains, foule aux pieds, baille, dit oui, dit non,
N'a jamais de figure et n'a jamais de nom,
Troupeau qui va, revient, juge, absout, délibère,
Détruit, prêt à Marat comme prêt à Tibère..." (IV
9)
Pour flétrir Napoléon et ses complices, criminels conscients, l'indignation de
Victor Hugo a des ressources inépuisables.
Cris de RÉPROBATION
et de DÉGOÛT: contre l'empereur,
" infâme, maudit, misérable, tyran , oppresseur, meurtrier,
assassin ..., bandit, corsaire, coquin, faussaire, gueux, scélérat, larron au
front bas, escroc du scrutin, laid, vil masque à moustaches, haillon humain, hibou
déplumé, bête morte
"
et contre ses partisans, pris individuellement ou
collectivement,
"ruffians, sacripants, filous hardis, bâtards de la fortune
obscène, les plus vils, les plus abjects, embonpoint de la honte, admirable canaille,
gredins immondes, majestueux fourbes, valets, selles à tout tyran, Triboulets, sénateurs
omnibus, Verrés goutteux, gros mandarins chinois, affreux poussahs, talapoins"...
La prise peu glorieuse du pouvoir est inlassablement
évoquée. Napoléon III est:
"traître abject, escroc du scrutin, brigand des lois, voleur de
nuit, lâche conquérant, sans foi ni loi ",
"le pire gredin qui soit sur cette
terre, monarque malandrin "...
Dans cette triste affaire, les militaires
complaisants en
prennent pour leur grade:
"sabres de Lilliput , soldats de décembre, soldats
dembuscade contre votre pays , vainqueurs de charnier, bourreaux toujours sanglants,
toujours divinisés, tueurs au fer rongé de rouilles",
Les juges sont traités de "marchands
en simarre", lun d'eux de "bourreau douçâtre" et de "proscripteur
plaintif".
Un Jjournaliste de "vexillaire"
(porte-enseigne antique).
Le page est un "bonze", l'archevêque de Paris, dont le
vêtement a été "taillé dans
un suaire", est un "vieux prêtre infâme",
les membres du clergé dociles à l'usurpateur sont de "cyniques brocanteurs", des "bateleurs de
l'autel"...
Les FRILEUX, qui songent avant
tout à se protéger sont sévèrement mis en
cause:
"troupeau que la peur mène paître entre le sacristain et le garde
champêtre... braves gens qui croyez en vos foins...âmes que l'argent touche et que l'or
fait dévotes... noircisseurs de papier timbré, planteurs de choux... tas de
brutes... plates créatures..." (tout cela en III 4), et
ailleurs: "prêtres du dieu
Boutique", "crétins", "Géronte (=vieux
gâteux) qui vote", "sénat
d'automates"...
Il trouve dans l'Histoire des assimilations peu
flatteuses pour le nouvel empereur:
"Néron, "Tibère, "Séjan", "Judas" "Mandrin
mal lavé (qui) se déguise en César", "Charlemagne taillé par Satan
dans Mandrin", "Tom-Pouce Attila"...
et
surtout, des comparaisons humiliantes avec le grand Napoléon (constamment
présentes , elles culminent dans l'Expiation, que nous étudierons plus tard):
"caricature","Napoléon le nain",
"petit, petit", "pirate empereur, Napoléon dernier"...
Il met en cause la vie personnelle du monarque et le "tripot hardi"
de ses courtisans-profiteurs:
"histrion, fumier sous ce dais de brocard",
"cassé de débauches", "pourceau dans le cloaque",
"bouffon", "paillasse", "pitre", "scélérats
transformés en valseurs", "affreux bohémiens ", "pasquins
agitant leurs grelots", "faunes", "chiens obscènes",
"égouts débordés", "pourritures", "goinfres courtisans"
Tout un bestiaire, enfin, anime la mercuriale:
"monstre" ,"chat-huant" , "hydre",
"bête fauve", "loup", "chacal",
" singe ", "perroquet"... pour le prince, et pour les siens:"des vautours et des oies", "cortège hideux",
"figures difformes", "avortons", "pieds plats",
"ours", "rats","belettes", "vipères",
"dragons", "hommes requins", "hyènes, loups, chacal. non
-prévus par Buffon", "caméléons", "cafards",
"mille-pattes", ...ajoutons-y
ce végétal inattendu:
"citrouilles".
Voila une partie de ce que j'ai glané à travers tout le
volume, tissé dans la trame des textes. Jaillissant au milieu d'un récit, d'une chanson,
d'un réquisitoire, ces mots d'infamie sont comme la respiration du poème. Ils
étourdissent, ils accablent et nous prouvent: la fertilité verbale de Victor Hugo, son inextinguible colère, la
hardiesse de ses attaques.
Encore vous ai-je fait grâce du "bal" (VI 5)
Jetez-y un coup d'il, vous serez édifiés - et des innombrables passages où le
poète cite nommément des personnages connus alors. Cette hardiesse montre à quel
point il est sûr de lui. Nous le verrons dans ses accusations.
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