Ce qu'un moment critique met en lumière:
Du côté des maîtres:
Malgré la bonne entente qui règne chez lui, nous constatons que monsieur
Orgon et ses enfants (auxquels nous ajouterons Dorante, qui est du même milieu)
conservent, à l'égard des gens de service, le sentiment de leur
supériorité. Cette intime conviction amène parfois des attitudes ou
des paroles peu supportables de la part de ces personnes pourtant très
sympathiques.
Quand Silvia demande à Lisette de prendre sa place, c'est évidemment pour
mener son jeu à elle, de même pour Dorante avec Arlequin, la chose va de soi,
elle est parfaitement légitime.
Mais il ne leur vient pas à l'idée que, dans cette opération,
leurs serviteurs puissent eux aussi porter des rêves ou poursuivre une
idylle. Aussi coupent-ils court brutalement à leurs approches amoureuses
quand ils le jugent nécessaire pour eux-mêmes, en exigeant de leur doublure
une attitude décourageante à l'égard du futur.
En revanche, quand, avec honnêteté, Lisette annonce à monsieur Orgon que
le prétendu Dorante est sur le point de la demander en mariage, il se contente
de rire aux éclats, en lui permettant de courir sa fortune, et la laisse se
bercer d'illusions au lieu de la détromper.
Malgré leur tablier ou leur livrée, Silvia et Dorante peuvent interrompre
à tout moment une conversation de leurs "maîtres",
et ils ne se gênent pas pour les invectiver vigoureusement s'ils sont
mécontents de leur prestation. Dorante, qui, de toute façon, n'a pas autant
d'estime pour Arlequin que Silvia pour Lisette, le traite de "butor"
et
lui reproche ses "façons de parler sottes et
triviales". Il ne le ménage vraiment pas: "misérable...
maraud... coquin... je te chasse... tu mériterais cent coups de bâton..."
Toute proportion gardée, nous retrouvons un peu de la violence de
Don Juan, celle des privilégiés.
Sans lui accorder le moindre intérêt, Silvia compte bien tirer parti
de son compagnonnage avec le domestique de Dorante: "Les
valets sont naturellement indiscrets... j'en ferai l'historien de son maître".
Nous rencontrons le même ton de mépris quand, fâchée par la
perspicacité de Lisette, elle se plaint aigrement d'elle: "avec
quelle impudence les domestiques ne nous traitent-ils pas dans leur esprit!...
comme ces gens-là vous dégradent!"
"Ces gens-là"!
Il semble par moments qu'ils sont d'une autre espèce!
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un moment critique- Des serviteurs sans complexes.
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