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  L’ECART ENTRE L’ORAL ET L’ECRIT EN FRANCAIS: LA REFORME ORTHOGRAPHIQUE DE 1990   Nilgül SÖKMEN*

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          2.L’écart entre le système de signifiants phoniques et le système de signifiants graphiques en français

          L’écriture du français est fondamentalement phonétique; ce type d’écriture vise, en effet, à représenter un signe phonique par un signe graphique; cependant «les alphabets occidentaux ne sont pas, comme on le croit facilement, entièrement phonétiques: une même lettre désigne plusieurs sons et un même son est désigné par plusieurs lettres; certains éléments phoniques (par exemple l’intonation) n’ont pas d’équivalent graphique, certains éléments graphiques (par exemple la virgule) n’ont pas d’équivalent phonique ; certains signes graphiques (comme les chiffres) fonctionnent à la manière des hiéroglyphes, etc.» (Todorov, 1972). Le français en est un exemple typique: il dispose de 36 phonèmes (dont 16 voyelles, 17 cosonnes, 3 semi-voyelles), alors que le nombre des signes utilisés pour transcrire ces phonèmes ne dépasse pas 26 (dont 6 voyelles, 20 consonnes). C’est la raison pour laquelle le français écrit et le français parlé ne sont pas isomorphes, en d’autres termes, un signe graphique ne représente pas toujours le même son à l’oral et inversement. En voici quelques exemples : le graphème s correspond au phonème / s / dans «suite» et  / z / dans «causer» ; les deux lettres ch représentent un seul son / ∫ /  dans «chanson» ou / k / dans «chaos» ; le phonème / s / est transcrit par s, c, ç, t (sac, cent, leçon, station). Le g représente à la fois / g / ou / j / selon la voyelle qui le suit ( s’il se place devant a, o, u il se prononce /g/, devant e, i  / j /  (gaie, gitan) etc.

          Il existe, en outre, des graphèmes qui ne se prononcent pas à l’oral, dont l’origine est à rechercher dans l’étymologie du mot; ils peuvent être placés au début, au milieu ou à la fin du mot (hier, vingt, cas). Ainsi le marque du pluralité s ne trouve pas une réalisation phonique dans l’oral (femme /fam/, femmes /fam/) (Ce qui gêne le plus les anglophones apprenant le français).

             En français moderne, il est impossible de distinguer à l’oral l’ami de l’amie ou bien les amis de les amies hors texte tandis qu’en ancien français, c’est-à-dire à l’époque où l’opposition de la voyelle longue/brève était vivante et la dernière voyelle d’un mot feminin ou pluriel se prononçait plus longue; ainsi, la prononciation des mots ami et amie,  dieu et dieux étaient-elles différentes l’une de l’autre. L’omission de plus en plus de ce trait distinctif dans l’oral amène une autre distorsion entre l’oral et l’écrit du français (Beaume, 1986).

          D’autre part, les mots homophones qui ont les prononciations identiques mais dont les signifiés et les écritures sont différents, pris isolément du contexte, provoquent la confusion entre la prononciation et la représentation graphique du français. Ils peuvent se rapprocher par leur catégorie grammaticale comme: c’est/s’est ; c’était/c’étaient; manger/mangé/mangeait/mangeaient; conte/compte; voie/voix; pois/poids etc. ou bien appartenir à des classes grammaticales toutes différentes: ver/vert/vers/vair; cinq/saint/sein/ceint; sans/sens/cent; ce/se; c’est/ses/ces/; de/deux; on/ont; sont/son/(le)son; à/a; et/est; il/ils/ile; cours/court/cour etc.

          Les divergences entre l’oral et l’écrit du français, dont nous avons cité quelques unes, sont regroupés par V.G. Gak, linguiste russe, en trois catégories (Peytard-Genouvrier,1970: p.69):

          1.a) graphèmes simples (ex: x) transcrivant un phonème complexe: / ks / (excuse),  / gz / (exact);

            b) graphèmes complexes (ex: ch) transcrivant un phonème simple / ∫ / (charbon).

          2.a) graphèmes synonymes (ex: ai, ei) transcrivant un phonème identique / Є / (chataigne), (teigne);

            b) graphème homographe (ex: ill) transcrivant des phonèmes différents: / j /, / ij /, / il /   (paille, quille, ville).

          3-a) graphème incomplet transcrivant un mot ou une lexie: M., C.G.T. (Monsieur, Confédération générale du travail);

             b) graphème plein transcrivant un phonème zéro (non prononcé) (ex: ct)  (aspect). 

Ces cas typiques qui illustrent l’écart entre le code oral et le système graphique du français amènent certains écrivains à lancer des débats sur le sujet. Déjà, au XVIe siècle où l’écriture du français commençait à se façonner, Ronsard recommandait une écriture purement phonétique en disant: «Tu éviteras toute orthographe superflue et tu ne metteras aucunes lettres en tels mots si tu ne les prononces pas en lisant »(REFLET,1989). Deux siècles plus tard, Voltaire décrivait l’écriture de la manière suivante: «L’Ecriture est la peinture de la voix. Plus elle est ressemblante, mieux elle est » (op.cit.).  

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