Nous avons évoqué dans notre
second chapitre cette figure proche de celle de Victor Hugo, justicier en exil. Protégé
par Yawhé, dont il reçoit les directives, Josué est investi d'une autorité sacrée. En
dépit de toutes les apparences, son point de vue triomphera et il conduira les siens à
la victoire.
Le poète suit la tradition
biblique, mais il débute son récit après que Josué a donné ses instructions aux
prêtres et aux combattants, il se limite au septième jour de circonvolution et il
supprime l'énorme cri de guerre qui doit déclencher la ruine de Jéricho. L'action ainsi
resserrée dans le temps et simplifiée y gagne beaucoup de force.
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Commençons par lire le texte:
"Sonnez, sonnez toujours, clairons de la pensée."
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D'où ce vers tient-il son charme?
-de ses impératifs
insistants, qui sont tout à la fois ordre, encouragement, prière?
-de son rythme (2-4-6) qui va croissant,
comme un appel, s'amplifie, et se prolonge dans l'illimité de "toujours" et de
"pensée"?
-de l'alliance étrange des
"clairons" sonores, et de "la pensée" silencieuse? Qui entendra le
mystérieux appel?
Ce
premier vers est de haut vol.
Les
trois suivants, où "la trompette" répond aux clairons, y ajoutent un
caractère sacré, par la procession inspirée de "Josué
rêveur, la tête aux cieux dressée", "prophète irrité" (le qualificatif "irrité"
traduirait plutôt les sentiments du poète proscrit que ceux de Josué).
Chef de peuple, il s'avance, "suivi de tous les siens", il s'installe dans la durée par deux imparfaits, il prend possession de
l'espace entier, avec la verticale de sa "tête
dressée", l'horizontale de sa marche, le cercle envoûtant de sa sonnerie "autour de la cité".
(Les singuliers "sonnait" et
"fit" lui attribuent toute l'importance).
Le rôle des autres prêtres et
guerriers se précisera aux vers 8 et 9:
"...l'arche allait en avant,
Puis les trompettes, puis toute l'armée en marche".
L'ordre choisi met le défilé
militaire sous le signe du divin (rappelons qu'en Israël, les trompettes servaient aussi
bien dans le rituel que dans la bataille). Cette déambulation ordonnée par un "rêveur" nous transporte vers un ailleurs, vers les
"cieux".
Les gens de
Jéricho, ignorants des choses sacrées, ne peuvent pas imaginer quelle formidable
puissance meut cette armée. Deux mondes, ici, coexistent. Une danse, une ronde les
lient par un naïf refrain de chanson enfantine: "au
premier tour...au second tour...à la troisième fois..."
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Il faut ici atteindre le chiffre sacré, le sept, pour que s'accomplisse la
catastrophe finale (nous sommes aussi au
septième livre de Châtiments).
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On se rassure donc.
"Au premier tour
qu'il fit, le roi se mit à rire"
et on revient à ses occupations. Quelques touches rapides,
font surgir la vie quotidienne, les "petits enfants",
qui jouent et font du bruit, les femmes, qui "s 'asseyaient en
filant la quenouille", les "aveugles et boiteux", le "roi joyeux"
avec sa cour, les anciens qui, le soir sont assis au temple et délibèrent".
(manquent les hommes en âge de porter les armes!).
Mais la patience de ces assiégeants imperturbablement pacifiques, parce qu'ils sont forts
de la promesse divine, éveille vite le désir d'humilier.
"Au second
tour, riant toujours, il lui fit dire:
Crois-tu donc renverser ma ville avec du vent?"
le souffle léger des quatre
V
oppose sa faiblesse dérisoire au bouleversement du mot "renverser"
et à l'orgueilleuse assurance de "ma ville", qui
sera reprise plus tard dans la description de la tour "de
granit", "si haute", "si dure".
(vous rappelez-vous le souffle victorieux des soldats de l'an deux et
le vent qui disperse la grande armée? une constante, chez Victor Hugo).
Après le roi, qui ne craint rien en haut de son donjon, les
enfants, inconscients des dangers, viennent se moquer, ils "venaient
cracher sur l'arche" et "imitaient le clairon", la suite des
imparfaits montre qu'on s'accoutume aux bizarreries des Hébreux, les femmes "se moquaient, jetant des pierres"...les "huées
raillaient".
Vers le soir, quand les murs sont
"ténébreux"
et que les clairons sont devenus "noirs", après
les invalides voici venir le roi, "riant à gorge
déployée", tous rient autour de lui, on s'est bien amusé à écouter ces
"bons musiciens", car décidément ces guerriers juifs ne
sont pas plus redoutables que des baladins. Justement, ils repassent:
"A
la septième fois, les murailles tombèrent".
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